Livre. « La guerre des métaux rares » anticipe un monde de pénurie

jeudi 5 juillet 2018.
 

Publié en janvier 2018, le livre de Guillaume Pitron (1) arrive à point nommé pour mettre un peu de plomb dans la cervelle des décideurs politiques et économiques qui oublient trop facilement que la « transition écologique » tournée vers la production d’énergies renouvelables est aussi lestée d’un important bilan carbone en amont. Il nous prévient aussi que la pénurie de métaux rares en sera l’étape suivante.

La guerre des métaux rares de Guillaume Pitron éditions Les liens qui libèrent , 296 pages , 20€

Ce livre arrive au bon moment. Beaucoup de gens gagneraient à le lire à commencer par les décideurs politiques quelque soit leur niveau de responsabilité, tant ils ont des choses à apprendre pour réapprendre à devenir cohérents. Cela est vrai aussi pour les décideurs économiques, voire parfois pour leurs interlocuteurs syndicaux, sans oublier le grand public. L’ouvrage de Guillaume Pitron nous donne une idée de ce que seront les prochaines décennies sur une planète déjà fortement marquée par le réchauffement climatique.

Cet ouvrage paraît quelques mois après la volonté affichée par Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, de mettre hors circuit, d’ici 2040, tous les véhicules diesel et à essence pour les remplacer par des voitures électriques. Mais, nous dit Guillaume Pitron, dès l’introduction de son ouvrage, « soutenir le changement de notre modèle énergétique exige déjà un doublement de la production de métaux rares tous les quinze ans environ, et nécessitera au cours des trente prochaines années d’extraire davantage des minerais que ce que l’humanité a prélevé depuis 70 000 ans ».

L’une des questions que nous pose ce début de siècle en France est la suivante : pouvons nous, d’un côté, accélérer la fermeture des centrales nucléaires et de l’autre produire toujours plus d’électricité à partir de l’éolien et du solaire pour nourrir en énergie toujours plus de voitures sur les routes, de frigos, de congélateurs et de climatisation dans les maisons ; toujours plus d’ordinateurs dans les bureaux et les foyers, sans oublier les téléphones portables aux multiples fonctions. Car, outre l’énergie pour les faire fonctionner, tous ces nouveaux outils sont des gros consommateurs de cuivre, d’étain, d’argent, de nickel, de manganèse, de cobalt, de graphite, de lithium et quantité d’autres métaux. Surtout quand ces métaux proviennent des « terres rares » dont les principaux gisements se trouvent en Chine, laquelle se sert déjà en priorité.

Peut-on ainsi dépendre totalement des autres ?

Ce sont des questions que nos décideurs politiques ne se posent guère alors qu’il devient urgent d’en débattre. Ce à quoi nous invite Guillaume Pitron quand il écrit en page 113 de son livre : « Chaque habitant de la terre pris isolément ne consomme que 17 grammes de terres rares par an, mais le monde serait fortement ralenti sans ces quelques miettes d’écorce terrestre. Pourtant, rares sont les prospectivistes à s’être penchés sur l’importance acquise par ce petits métaux compte tenu des choix technologiques que nous avons opérés depuis les années 1970. Dépendre totalement de autres et le revendiquer : ce qui apparaissait il y a peu comme une parfaitement suicidaire est devenu la chose la plus admise ».

Mais la pénurie est plus proche qu’on ne le croit. C’est ce que suggère de bout en bout le livre de Guillaume Pitron. L’auteur a beaucoup voyagé à travers le monde pour différents médias dont le Monde Diplomatique. Il cite à plusieurs reprises la Chinoise Vivian Wu qu’il qualifie de « voix très autorisée dans l’industrie des métaux rares ». Cette dernière lui dit à propos de ce qu’est déjà la politique de son pays : « Plutôt que d’embargos, je préfère parler de leviers d’action à l’encontre du Japon ainsi que d’autres pays. Ces actions participent d’une stratégie, pilotée par l’Etat chinois, de restauration de notre image. Et il est possible qu’elles se reproduisent à l’avenir, avec les terres rares comme avec d’autres métaux ».

« Les ONG écologistes font preuve d’une certaine incohérence »

Récupérer de quoi produire les composants qui entrent dans les biens courants durant ce siècle dominé par le numérique implique une politique d’extraction polluante et énergivore. D’où cet avertissement de l’auteur : « les ONG écologistes font preuve d’une certaine incohérence, puisqu’elles dénoncent les effets du nouveau monde plus durable qu’elles ont-elles-mêmes appelé de leurs vœux. Elles n’admettent pas que la transition énergétique et numérique est aussi une transition des champs de pétrole vers des gisements de métaux rares, et que la lutte contre le réchauffement climatique appelle une réponse minière qu’il faut bien assumer ».

On en revient à notre point de départ : la grande faiblesse du plan de Nicolas Hulot visant à remplacer la voiture thermique par la voiture électrique d’ici 2040 sans réduire considérablement le nombre de véhicules en circulation ne sera pas tenable en France et ailleurs.

(1) Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, éditions Les liens qui libèrent, 296 pages, 20€.

Gérard Le Puill Journaliste et auteur, L’Humanité


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