Colbert, grand ministre de Louis XIV et esclavagiste bourreau du 17ème siècle

vendredi 27 octobre 2017.
 

- B) Colbert en accusation. Aux grands hommes, la patrie trop reconnaissante  ?

- A) Vos héros sont parfois nos bourreaux (tribune dans Libération du 28 août 2017)

B) Colbert en accusation. Aux grands hommes, la patrie trop reconnaissante  ?

Une tribune signée par plusieurs intellectuels appelant à débaptiser les collèges et lycées Colbert, ce ministre de Louis XIV promoteur de la traite et des esclavages, provoque un vif débat entre tenants du récit national et militants anticoloniaux.

Le 6 février 2017, le conseil municipal de la ville de Charlottesville, en Virginie, votait l’enlèvement d’une statue équestre du général sudiste et esclavagiste Robert Lee. Cette décision unanime des élus de la ville américaine allait entraîner la bataille que l’on sait  : plaintes devant la justice, manifestation de suprémacistes blancs, jusqu’au meurtre d’une contre-manifestante par un militant néonazi. Des faits spécifiquement liés au contexte et à l’histoire états-uniens  ? Pas si simple. De fait, partout dans le monde, la question de la célébration dans l’espace public de personnages historiques dont l’action ne fut pas toujours empreinte du plus grand humanisme se pose de plus en plus.

À Berlin, après la mobilisation en 2016 d’une association locale, Berlin Postkolonial, la municipalité a choisi de remplacer les noms de colonisateurs par ceux de résistantes africaines sur les panneaux des rues. En Afrique du Sud, c’est la statue du colonisateur Cecil Rhodes qui est déboulonnée à l’université du Cap, après que des étudiants ont mené une campagne «  Rhodes must fall  ». À Saint-Louis du Sénégal, c’est une statue et un pont en l’honneur du général Faidherbe qui fait actuellement l’objet de fortes contestations. « Les noms de rues sont fait pour célébrer les héros, pas les salauds  »

Et dans l’Hexagone  ? Depuis quelques semaines, une controverse enfle à propos de la figure de Colbert, ministre de Louis XIV, héros du développement économique du royaume de France, mais aussi initiateur du Code noir, régissant l’esclavage. À l’origine du scandale, Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), et le philosophe Louis Sala-Molins, auteurs d’une tribune ayant reçu le soutien de nombreuses personnalités (le journaliste Harry Roselmack, l’ex-footballeur Lilian Thuram, l’historien Olivier Le Cour Grandmaison ou encore l’ancien ministre socialiste Victorin Lurel). Le texte, publié dans le Monde, appelle à débaptiser les collèges et lycées portant le nom du ministre de la Marine du Roi-Soleil  : «  Comment peut-on enseigner le vivre-ensemble et les valeurs républicaines à l’ombre de Colbert  ?  »

À peine publiée, la tribune déchaîne les passions. De Robert Ménard au «  politiste  » Laurent Bouvet, en passant par Alain Finkielkraut, tout ce que le pays compte de réactionnaires adeptes du roman national lèvent comme un seul homme leurs boucliers pour protéger leur grand homme. Pourquoi cette réaction quand personne ne songerait par exemple à s’opposer à ce qu’une rue Philippe-Pétain soit débaptisée  ? Pour Louis-Georges Tin, «  accuser les méchants qui nous ont fait du mal n’est pas très compliqué. Dans le cas de l’esclavage, ce sont nous les méchants. S’accuser soi-même est plus difficile  ».

Accusé de communautarisme par les uns, le président du Cran réfute  : «  Nous parlons de crime contre l’humanité. Ceux qui nous parlent de communautarisme nous disent finalement que l’esclavage n’était pas un crime contre l’humanité, mais un crime contre une communauté.  » Taxé d’anachronisme par les autres, il rétorque  : «  Quand Colbert prépare le Code noir et le présente au Parlement de Paris pour le confirmer, ce dernier refuse au motif qu’il est contraire au droit français, au droit naturel et au droit divin. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne reste que “Code” noir et jamais loi. Dire que tout le monde était d’accord est donc faux.  »

La proposition des signataires de la tribune fait aussi l’objet de critiques moins caricaturales. Telle celle émise par Karfa Diallo, directeur de l’association Mémoires et partage, qui a lui-même mené en 2009 une campagne sur la signalétique urbaine à Bordeaux. «  Les noms de rues, d’édifices et les statues, par l’honneur rendu à des personnalités, racontent aussi l’histoire. (...) Ces lieux sont là pour nous faire réfléchir sur nos trahisons comme sur nos “lumières”, préservant ces dernières de toute mythification  », estime le militant dans une tribune à Jeune Afrique. Il propose une «  troisième voie  »  : «  Édifier des panneaux explicatifs présentant ces personnages décriés aujourd’hui préserverait justement la mémoire de l’indifférence, de l’oubli et de la mythification.  » Une proposition qui ne satisfait pas Louis-Georges Tin. «  L’idée de mettre une plaque “Rue Colbert, ministre de Louis XIV et esclavagiste” me semble aussi absurde qu’une plaque qui dirait  : “Rue Pétain, maréchal de France et collabo notoire”. Les noms de rues sont fait pour célébrer les héros, pas les salauds.  » L’écriture de l’histoire du fait colonial ne fait que commencer...

Adrien Rouchaleou, L’Humanité

A) Vos héros sont parfois nos bourreaux (tribune dans Libération du 28 août 2017)

Des lycées, des rues portent son nom mais qui se souvient que Colbert était l’auteur du Code noir et le fondateur de la Compagnie des Indes occidentales ?

Avant que Libération ne publie son dossier du 23 août, la plupart des commentateurs français se sont contentés de dénoncer, à juste titre, l’attentat à Charlottesville, la statue du général Lee, les adeptes de la white supremacy, l’attitude du président Trump et le racisme américain en général (qui se maintient à un niveau très élevé, il est vrai), sans jamais voir la poutre dans l’œil de la France. Que dire de toutes ces rues qui portent des noms de négriers comme Balguerie et Gradis à Bordeaux (ville d’Alain Juppé), Grou et Leroy à Nantes (ville de Jean-Marc Ayrault), Masurier et Lecouvreur au Havre (ville d’Edouard Philippe) ?

La plupart des maires des villes concernées affirment qu’il ne faut pas changer ces noms, car il convient, paraît-il, de conserver la trace des crimes commis. Mais les noms de rue ne servent pas à garder la mémoire des criminels, ils servent en général à garder la mémoire des héros et à les célébrer. C’est pour cela qu’il n’y a pas de rue Pétain en France. D’autres proposent que l’on conserve ces noms de rues, avec une petite explication. Mais même avec une mention expliquant sa vie, son œuvre, une « rue Pierre Laval, collabo » ne serait guère plus acceptable. C’est pour cela qu’il n’y en a pas non plus. Ce n’est donc pas une solution. Et si l’on veut vraiment transmettre la mémoire, pourquoi ne pas proposer plutôt des rues au nom de Toussaint Louverture, le héros haïtien, ou au nom de Champagney, ce village français dont les habitants prirent fait et cause pour les victimes de l’esclavage, pendant la Révolution ? Il faudrait donc se poser cette question : lequel des deux pays est le plus problématique, celui où il y a un conflit autour de la statue d’un général esclavagiste, ou celui où il y a à l’Assemblée nationale une statue de Colbert, une salle Colbert, une aile Colbert au ministère de l’Economie, des lycées Colbert (qui prétendent enseigner les valeurs républicaines), des dizaines de rues ou d’avenues Colbert, sans qu’il y ait le moindre conflit, la moindre gêne, le moindre embarras ? Et pourtant, Colbert est l’auteur du Code noir, celui qui a organisé en France ce crime contre l’humanité, et aussi le fondateur de la Compagnie des Indes occidentales, de sinistre mémoire. N’est-il pas choquant que personne (ou presque) ne soit choqué ?

En 2013, Arnaud Montebourg, qui ne cessait de faire l’éloge de Colbert, avait même lancé un logiciel destiné à favoriser la relocalisation des entreprises en France. Le nom de ce dispositif ? « Colbert 2.0 ». Malgré les protestations du Cran, le ministre a continué à faire l’apologie d’un homme coupable de crime contre l’humanité. Son conseiller expliquait que M. Montebourg célébrait en Colbert non pas l’esclavagiste, mais celui qui avait développé l’économie française. Un peu comme ces gens d’extrême droite qui affirment qu’ils célèbrent en Hitler non pas l’auteur de la Shoah, mais celui qui a redressé l’économie allemande. L’explication donnée par ce conseiller n’est-elle pas scandaleuse ? Par ailleurs, comment Colbert a-t-il développé l’économie française au XVIIe siècle, si ce n’est sur la base de l’esclavage colonial, justement ?

Nous nous adressons ici aux Français qui, par des contorsions indignes, cherchent encore à justifier l’injustifiable : vos héros sont nos bourreaux. Dès lors, comment pourrons-nous vivre ensemble ? Il y a de nombreux Français, blancs ou noirs, qui ont lutté contre l’esclavage : pourquoi ne pas privilégier ceux-là ? N’y a-t-il pas un lien entre le piédestal où l’on met les esclavagistes et le mépris social que subissent les descendants d’esclaves ? Est-il normal que les territoires d’outre-mer, où l’esclavage a été perpétré, soient encore en 2017 les plus pauvres du pays tout entier ? Est-il normal qu’ils soient dominés, encore aujourd’hui, par les descendants des esclavagistes, qui ont été indemnisés en outre par la République après l’abolition ? Peut-on être à la fois la patrie des droits de l’homme, et la patrie des droits des esclavagistes ?

Il y a quelques jours, Emmanuel Macron a affirmé qu’il était « aux côtés de ceux qui combattent le racisme et la xénophobie » à Charlottesville. Nous demandons à Emmanuel Macron d’être aussi aux côtés de ceux qui combattent le racisme et la xénophobie en France et de lancer une réflexion nationale sur la nécessité de remplacer ces noms et statues de la honte par des figures de personnalités noires, blanches ou autres ayant lutté contre l’esclavage et contre le racisme. Bien sûr, cette décision relève de l’autorité des élus locaux, mais un débat national et collectif doit être engagé. On ne peut pas être dans l’indignation face à Charlottesville et dans l’indifférence par rapport à la France par rapport à toutes statues, toutes ces rues, qui défigurent nos villes. Il faut décoloniser l’espace, il faut décoloniser les esprits, c’est aussi cela la réparation à laquelle nous appelons le Président.

Louis-Georges Tin Président du Conseil représentatif des associations noires (Cran)


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message