Pour l’interdiction des armes nucléaires

jeudi 12 octobre 2017.
 

Le 7 juillet dernier, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Ce n’est pas grâce à la France, qui prévoit d’ici 2025 le doublement du budget alloué à la dissuasion nucléaire. Le fait que, trois jours avant le vote historique des Nations unies, Macron jouait au petit soldat dans les sous-marins de l’Île Longue, n’est donc en rien fortuit...(Nous reproduisons ici un article d’Abraham Behar, paru dans la revue Démocratie&Socialisme N°247 de septembre 2017).

Macron avait déjà annoncé la couleur lors du Congrès réuni en juin en affirmant que la dissuasion nucléaire était « la clé de voûte de la sécurité » du pays. Mais le suffrage tricolore n’était pas le seul à manquer à l’appel début juillet à New-York, puisque le TIAN a été adopté par 122 voix pour... et la non-participation de l’ensemble des États nucléaires et de leurs satellites ! Dans un communiqué commun, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, arguant le plus sérieusement du monde du péril nord-coréen, ont nettement rejeté ce texte qui « méprise clairement les réalités de l’environnement sécuritaire international ».

Que prévoit ce traité ?

Rien de moins qu’une interdiction complète des armes nucléaires et des activités associées. Il sera illégal pour des États d’entreprendre toute activité liée aux armes nucléaires. Le TIAN interdit l’utilisation, le développement, les essais, la production, la fabrication, l’acquisition, la possession, le stockage, le transfert, la menace d’utilisation, l’implantation, l’installation, ou le déploiement d’armes nucléaires (article 1)1. La vérification et le contrôle sont obligatoires. En outre, le traité interdit la menace nucléaire (et donc la dissuasion) pour les pays signataires. Il existe des traités similaires contre les armes chimiques et les armes biologiques, adoptés sans entrainer des réactions hostiles internationales. Pourquoi le TIAN soulève-t-il autant de protestations ? Pourquoi une coalition anti-traité est-elle née le 7 juillet au soir sous forme d’une triple alliance États-Unis / Grande-Bretagne / France ? Pourquoi est-ce la panique chez Le Drian ?

Le traité avec ses garanties constitue une attestation indiscutable du statut strictement non-nucléaire de l’État signataire. Ce statut est nettement plus crédible que les déclarations verbales des signataires du traité de non-prolifération (TNP) dont certains ont un programme atomique militaire plus ou moins secret, malgré les inspections de l’agence de Vienne. De ce simple fait, toute attaque atomique, y compris préventive, contre tout signataire est juridiquement une agression assimilée à un crime contre l’humanité eu égard à la dissymétrie actée par sa simple adhésion au traité.

La victime collatérale du TIAN est donc la dissuasion nucléaire française tous azimuts actuelle, définie comme instrument de la défense des « intérêts vitaux » (lesquels ?). Cette dissuasion, mise en place par Chirac et reprise par tous ses successeurs – Macron compris –, a aujourd’hui du plomb dans l’aile, tant elle manque de crédibilité : qui peut croire à une frappe atomique « d’avertissement » de la France contre un État certifié non-nucléaire ?

La deuxième victime collatérale est l’OTAN, car le TIAN est une alternative possible au parapluie nucléaire déployé par les États-Unis (et un peu par la France et la Grance-Bretagne). Faire partie de l’OTAN qui se définit selon Alain Joxe comme « une alliance nucléaire exclusive »2, devient contestable, la dissuasion actuelle étant décrédibilisée, et du coup cher payée car elle oblige les États membres à augmenter leurs dépenses militaires à 2 % du PIB.

D’où le plan B de la triple alliance anti-traité qui se déroule en trois temps :

Réactiver la vieille dissuasion anti-russe en s’appuyant sur les pays de l’Est de l’Europe, pour les convaincre de l’efficacité de la dissuasion, d’où la danse du ventre devant les États baltes et les Polonais, avec l’envoi de troupes, y compris françaises, sur le terrain.

Menacer d’exclusion les membres sceptiques de l’OTAN, qui constatent que cette dissuasion n’a pas fonctionné pour empêcher l’annexion de la Crimée.

Amorcer une politique de représailles pour les États européens qui ont voté pour le traité afin d’empêcher sa ratification par leur Parlement. C’est surtout la Suède qui est visée en sa qualité de partenaire de l’OTAN qui joue donc sa place virtuelle sous le parapluie nucléaire. Malgré la visite du vice-président US dans les États baltes, cette stratégie n’a pas eu un succès significatif en Europe, et les gesticulations de Trump proposant Kim Jong-Un comme adversaire principal n’ont pas arrangé les choses.

Que peut-on faire ?

Pour nous, ici et maintenant, nous devons stopper d’urgence les lamentables litanies des « spécialistes » politiques de la dissuasion, ceux que l’on a entendu durant la campagne présidentielle comme délégués des candidats (de Mélenchon à Le Pen, sans aucune exception parmi les cinq favoris). Tous ces « sachants » nous ont déversé leur messe en latin, toute à la gloire de la bombe, toute en faveur de l’augmentation des dépenses militaires à 2 % du PIB.

La seule voie possible est politique : il nous faut ouvrir un vaste débat populaire sur la dissuasion, sur « notre » force de frappe et sur la nocivité du plan B de la nouvelle Triple alliance.

Pour briser le discours en chêne massif des adorateurs des armes nucléaires, nous devons argumenter sur les conséquences de la menace atomique, humanitaires (c’est ce que nous faisons en tant que médecins), mais aussi économiques (2 % du PIB pour en partie moderniser l’arsenal nucléaire actuel ?) et morales (qui peut accepter l’assassinat collectif de centaines de milliers d’innocents pour défendre de supposés intérêts vitaux ?)

La seule voie possible pour ce faire est la création d’une coalition de partis, de syndicats et bien sûr des ONG actives dans ce domaine. Ce débat public est essentiel en France d’abord, en Europe ensuite. Nous nous y employons.

Abraham BEHAR, président de l’Association des Médecins Français pour la Prévention de la Guerre Nucléaire (AMFPGN). L’AMFPGN est affiliée à l’IPPNW (Internaional Physicians for the Prevention of Nuclear War) qui a reçu le prix Nobel de la Paix en 1985.

ONU, projet de traité sur l’interdiction des armes nucléaires déposé par le président de la Conférence, A/CONF.229/2017/L.3/Rev.1

Alain Joxe, « L’OTAN, alliance nucléaire et maintien de l’autonomie stratégique décisionnelle de la France », Défense & Stratégie 42, automne 2017.


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