Le KPD (Parti Communiste allemand), non responsable des succés de Hitler en 1932

samedi 22 avril 2023.
 

Ce 28 avril 2017, Bertrand Delanoé a déclaré sur les ondes de RTL "Vous savez, dans les années 30 en Allemagne, l’extrême gauche n’a pas voulu choisir entre les sociaux-démocrates et les nazis. Hitler a été élu par le suffrage universel. Alors, je ne culpabilise personne, j’appelle à la responsabilité, à la conscience et à la générosité. A un moment donné, il faut être pour la France avant d’être pour ses vieilles rancœurs."*

Bertrand Delanoé vient seulement d’étaler à nouveau sa faible connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier et socialiste. Ce n’est pas l’extrême gauche allemande qui est responsable de l’accession d’Hitler au pouvoir par un processus électoral en 1932 et 1933. Le Parti Social Démocrate allemand porte bien plus de responsabilité en ayant servi de cinquième roue du carrosse à un prétendu centre, expression des milieux d’affaires.

J’avais déjà rédigé un texte sur ce sujet en réponse à un message de forum stipulant "Aux élections de 1932, les partis de gauche (SPD et KPD) sont majoritaires.....mais pour le KPD, le SPD (les sociaux traitres) ne vaut pas mieux que les nazis. Donc l’arrivée au pouvoir d’ Hitler est la conjonction de nombreux facteurs et pas simplistement le soutien des capitalistes."

Je groupe donc ma réponse :

Merci monsieur pour votre message sur notre site en réponse à l’article

Allemagne 1931 1932 Patronat, armée et droite marchent au nazisme

Oui, l’arrivée au pouvoir d’ Hitler a été permise par la conjonction de plusieurs facteurs dont la crise économique et sociale provoquée en 1929 par la bulle financière due à des profits boursiers trop élevés par rapport à l’évolution de l’économie réelle

Ceci dit, une crise financière et économique ne débouche pas nécessairement sur le nazisme. Je maintiens totalement mon texte. Les principales forces qui ont installé le nazisme en Allemagne entre 1931 et 1933 sont :

- fondamentalement le patronat allemand (ainsi que le grand capital anglo-saxon)

- mais aussi l’armée, la police et la justice

12 septembre 1919 : Hitler est chargé par l’armée de construire le futur parti nazi

- mais aussi la droite catholique et forces semblables

30 janvier 1933 : Hitler devient le chancelier allemand. Responsabilités de Von Papen, dirigeant du Centre catholique, proche du futur Pie XII

Quant aux responsabilités du KPD (Parti Communiste allemand), ayant déjà lu ou entendu la même affirmation sur son sectarisme comme facteur de succès d’Hitler en 1932, je profite de votre message pour préciser mon désaccord : par son alliance avec un "centre" inexistant le SPD porte bien plus de responsabilité que le KPD dans l’arrivée au pouvoir des nazis durant l’année de janvier 1932 à janvier 1933.

1) L’orientation politique du SPD

Le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) des années 1918 à 1933 constitue l’exemple type du parti ouvrier bourgeois, ouvrier par son histoire et son implantation, bourgeois par sa direction (insertion dans les institutions et le champ politique, orientation gouvernementale menée...).

Ce qui se joue en Allemagne en 1932, c’est au minimum le risque d’un anéantissement du mouvement ouvrier et de la gauche anticapitaliste en raison de l’alliance proclamée entre patronat et nazisme. En fait, c’est le SPD qui a initié cet anéantissement en 1918 1919. Douze ans plus tard, toute une génération ne peut l’avoir oublié. Si Mitterrand avait dirigé le gouvernement en 1968 et avait fait assassiner les animateurs ouvriers et étudiants de la grève par des milices fascistes et paramilitaires, la gauche française resterait divisée par cet acte quarante ans plus tard.

Depuis 1918, le SPD est prisonnier de ses alliances électorales dans le cadre de la "coalition de Weimar" puis autour de celle-ci. L’objectif essentiel de cette coalition consiste dans la défense des institutions de la république de Weimar, essentiellement contre les communistes et le mouvement social (en 1918-1919 elle s’appuie sur l’extrême droite pour les écraser dans le sang). Malgré leurs violences permanentes, les nazis n’ont jamais vraiment été inquiétés par les partis au pouvoir de cette coalition de Weimar. Le Zentrum (Centre catholique) constitue le principal partenaire du SPD dans cette alliance ; or, il va jouer un rôle décisif de marche-pied pour l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Parmi les autres alliés électoraux du SPD dans les dix ans avant 1933, notons le BVP (ancêtre de la CSU bavaroise), le DVP (parti parlementaire des grands industriels jusqu’en 1931), le DDP (parti de hauts fonctionnaires et intellectuels).

Vue la crise économique et sociale énorme subie par l’Allemagne suite à la crise de 1929 et à la politique d’austérité imposée par des partis de la coalition de Weimar, le SPD se coupe des luttes sociales. Or, face aux nazis et autres forces d’extrême droite, le mouvement ouvrier pouvait assumer un rapport de forces indispensable. Les décisions du gouvernement comme les baisses d’allocations aux chômeurs et baisse des salaires préparent sans aucun doute le succès du projet politique commun patronat nazis qui réussit en 1933.

Pour l’essentiel, le SPD est un parti électoraliste classique fonctionnant autour de ses élus et de leurs intérêts comme couche sociale. Cela l’amène à des compromis politiciens tordus qui désorientent profondément l’électorat de gauche. Lors de l’élection présidentielle de 1925, le candidat du SPD Otto Braun obtient 29% au premier tour puis se désiste pour le second au profit du candidat "catholique" (14,5% au 1er tour). Lors de l’élection présidentielle suivante (1932), le SPD soutient dès le premier tour le maréchal Paul von Hindenburg, connu pour ses sympathies monarchistes qui appellera rapidement Hitler comme chancelier (premier ministre).

2) Le danger nazi de janvier à juin 1932

Durant les six premiers mois de l’année 1932, le mouvement ouvrier et la gauche allemande sont confrontés :

- à un durcissement autoritaire du pouvoir politique. Le chancelier "catholique" du Zentrum, Von Papen, est autant marqué par la tradition monarchiste anti-démocratique et anti-ouvrière que Hindenburg

- à un accroissement de la crise économique et sociale avec 5 à 6 millions de chômeurs.

- au climat de terreur que les SA et SS nazis (payés par le patronat) commencent à imposer sur toute l’Allemagne, y compris lors des manifestations du 1er mai.

- aux succès électoraux du parti nazi (municipales de Lippe en Westphalie, élections régionales en bavière, Anhalt, Wurtemberg, Hambourg, Prusse, Oldenbourg, Mecklembourg-Schwerin, Hesse)

- à des accords de plus en plus fréquents entre la droite et les nazis d’où un glissement de nombreux suffrages de droite vers l’extrême droite.

Dans ce contexte, le SPD croit se protéger en prétendant laisser les institutions remplir leur rôle, en fait en se couchant :

- soutien à Hindenbourg pour le premier tour de la présidentielle

- non protection de ses initiatives et de ses militants face aux nazis

- dissolution de son service d’ordre...

Le KPD (Parti Communiste allemand), lui, essaie de maintenir un rapport de forces dans la rue et dans l’opinion face aux nazis et à la droite proche des nazis (protection des réunions publiques, maintien des manifestations pour le 1er mai, refus de subir l’intimidation des nazis dans les collectivités territoriales élues d’où bagarres extrêmement violentes, renforcement de sa structure nationale de service d’ordre, semaine antifasciste début juin 1932 dont un défilé à Berlin (100000 personnes d’après la police).

3) La question de l’unité KPD SPD en 1932

Devant le rapport de force militaire imposé de plus en plus par les nazis grâce au financement patronal et à la progression électorale de l’extrême droite sur toute l’Allemagne, le KPD propose au SPD le 28 juin 1932 la mise en place d’un Front du Peuple pouvant regrouper :

- le SPD

- le KPD

- le SAP (Sozialistische Arbeiterpartei), Parti socialiste ouvrier d’Allemagne, formé en 1931 à partir d’exclus du SPD. Il compte plus de 15000 militants actifs plus 10000 dans son organisation de jeunesse ; il édite un quotidien. Il a proposé dès sa création un front unique anti-fasciste

- le KPD-O (Parti communiste d’Allemagne - opposition) composé d’exclus du KPD stalinisé et qui propose lui aussi un front unique au KPD et SPD

- l’aile gauche du DDP qui n’a pas accepté la fusion avec le DDP

- l’ADGB (confédération syndicale majoritaire proche du SPD) et le RGO (200000 membres) proche du KPD.

- plusieurs forces démocratiques, associatives et syndicales prêtes à s’engager face au fascisme

Le SPD refuse, ses grands élus préférant continuer leur cuisine politicienne avec le ramassis de réactionnaires et de bêtas moisis du parti catholique Zentrum.

Il est important de comprendre cette attitude du SPD comme un symbole de l’électoralisme foncier des partis de la mouvance internationale social-démocrate et socialiste. Ce sont les élus qui déterminent ses choix politiques en fonction de leur intérêt électoral à court terme. Si leur meilleure chance d’élection pour le scrutin suivant consiste en une union des gauches, il le font tout en donnant des garanties au patronat. Si leur meilleure chance d’élection pour le scrutin suivant consiste en une alliance avec leur droite, ils le font encore plus volontiers. Les crises consubstantielles au capitalisme ne font pas partie de leur horizon réel, les mouvements sociaux et le risque de dérive fasciste du patronat encore moins. Quant à penser un lien entre leur carrière électorale personnelle locale et une stratégie socialiste, c’est là mille fois trop leur demander.

Les bureaucrates syndicaux de l’ADGB, Allgemeine Deutsche Gewerkschaftsbund (Confédération Générale Syndicale Allemande) membres du SPD vont adopter une attitude aussi couarde face à Hitler. Après avoir supprimé les manifestations du 1er mai avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir (pour éviter les provocations), ils vont appeler au 1er mai national-socialiste de 1933 sous Hitler pour essayer de conserver leurs postes de permanents. Cette trahison n’empêche pas Hitler de dissoudre cette confédération syndicale le lendemain. Les locaux syndicaux sont investis par les SA, de nombreux syndicalistes présents bousculés ou même battus, quatre assassinés à Duisbourg. Face à l’extrême droite, l’attitude la plus dangereuse consiste à ne pas la combattre.

4) De juin à décembre 1932, Hitler approche du pouvoir

Le 20 juillet 1932, le chancelier "catholique" Von Papen :

- démet de ses fonctions le gouvernement régional SPD élu de Prusse

- décrète l’état d’exception en Prusse et Brandebourg pour éviter toute réaction

- place cet immense secteur géographique sous le contrôle de l’armée dirigée par le pro-nazi Von Rundstedt.

- épure l’administration prussienne de ses militants de gauche

Le KPD comme le SAP et le KPD-O renouvellent au SPD premier concerné la proposition d’unité afin de contrecarrer une décision ouvrant la voie au fascisme.

Le SPD refuse à nouveau, non seulement toute action commune mais toute grève des services concernés par les licenciements politiques et même toute action du peuple de gauche qu’il appelle à "garder son calme". La bêtise électoraliste n’a décidément pas de limite.

Lors des élections du 6 novembre 1932, le SPD (20,4%) et le KPD (16,9%) obtiennent ensemble plus de voix que le parti nazi lui-même. Cependant, à ce moment-là, pour l’essentiel, la droite, l’extrême-droite et les nazis ne font qu’un.

Le DNVP (droite conservatrice) d’Alfred Hugenberg participe au Front de Harzburg avec avec les nazis.

Le DVP (droite libérale) se situe à peu près sur la même orientation de droite totalitaire que le DNVP.

Quant aux partis classés au "centre" par les sites internet que je viens de consulter, parlons-en !

- Le BVP s’est battu contre une république parlementaire dès 1918 ; il est vrai que ses intérêts "catholiques" bavarois" ne coïncident pas exactement avec ceux des nazis mais toute alliance avec la gauche serait absolument contre-nature pour eux.

- Le Zentrum et le DDP vont voter les pleins pouvoirs à Hitler début 1933.

Les socialistes du SPD comptent toujours sur leurs alliés parlementaires et municipaux de la coalition de Weimar.

Pourtant, catholiques et "centristes" du DDP s’allient le 30 août 1932 pour élire Hermann Goering comme président du Reichstag (Parlement).

Il est vrai que le SPD obtient quelques petits succès dans la défense de la "légalité" et crie à chaque fois VICTOIRE !

L’analyse du KPD "le gouvernement Schleicher est le dernier avant Hitler" correspond beaucoup plus à la réalité vu l’implication quotidienne du patronat et souvent de l’armée pour que les plains pouvoirs soient donnés aux nazis.

CONCLUSION

Il est temps pour moi de revenir au message qui a occasionné cette réponse.

Je maintiens que l’arrivée au pouvoir d’ Hitler est "simplistement" la conséquence du soutien des capitalistes et non, pour l’essentiel la conséquence de la politique sectaire du Parti Communiste Allemand.

Ceci dit, je connais les erreurs politiques du KPD (surtout de 1918 à 1923 puis de 1929 à 1931) qui ont contribué à affaiblir le mouvement ouvrier comme la gauche, donnant d’autant plus de force aux nazis. Cela nous ferait sortir du sujet limité par votre message à l’année 1932.

Jacques Serieys

Les communistes allemands, responsables du nazisme Allons donc ! Arrêt sur images (Mathilde Larrère)

https://www.youtube.com/watch?v=iUI...


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message