Depuis 1920, toute information "anticonceptionnelle" est interdite ; contraception et avortement sont illégaux. En mai 1966, le député Lucien Neuwirth propose une loi qui légalise la pilule contraceptive.
Après bien des remous et modifications, l’Assemblée nationale l’adopte définitivement le 28 décembre 1967. Ce vote résulte du rapport de forces imposé dans la dynamique de l’avant mai 68 par le Planning Familial en particulier.
De cette période, Jean Malié, militant de la première heure du Planning Familial en Aveyron, se souvient d’une soirée en particulier : la première réunion publique, en 1963, où on avait passé un film sur l’avortement. Nous l’avions organisée dans la salle de la mairie. Elle était remplie, ce qui faisait à peu près 450 personnes.
Qui sont les initiateurs de la soirée ? une quinzaine d’hommes et de femmes qui forment le premier planning familial à Rodez et en Aveyron. Aux côtés de Jean Malié, il y a un pasteur de l’Eglise réformée, Robert Parmentier. Tous ensemble, ils militent pour le droit des femmes à décider de leur maternité.
Dans l’Aveyron des années 60, comme partout en France, la contraception n’est pas seulement taboue. Elle est interdite par la loi de 1920. Pas le droit d’en faire usage, ni d’en faire propagande.
Dès 1965 pourtant, des permanences d’information sont tenues par le planning familial dans toutes les villes du département. A Rodez, elles ont lieu au centre social du quartier des Quatre Saisons, à Onet le Château.
"On était dans une situation assez bizarre, note Jean Malié. Parler de contraception était interdit mais pas poursuivi. Il s’était installé une sorte de tolérance. Nos permanences étaient annoncées. Et on pouvait donner des informations à nos adhérents mais pas au grand public."
En 1967, la légalisation de la pilule contraceptive fut un premier pas vers la victoire. "C’était vraiment la démocratisation. La pilule, c’était surtout une délivrance pour les filles qui n’étaient pas riches. Parce que celles qui avaient les moyens se la procuraient à l’étranger" explique Annette Marion-Mignon, une militante parisienne arrivée en Aveyron en 1973. Elle entre naturellement au Planning familial. "Vous savez, même si la loi était passée, ça a mis un certain temps, continue-t-elle. La pilule était en vente libre mais seulement pour les filles majeures. A l’époque, c’était à 21 ans. Et les jeunes filles n’osaient pas demander à leurs parents. On était obligé d’en acheter pour elles, sous le manteau".
Réticence des parents mais aussi de certains pharmaciens. "Rien que pour acheter une crème spermicide, en vente libre à l’époque, on me répondait dans les pharmacies de Rodez qu’on n’en avait pas. Mais pour la pilule, ils étaient obligés d’en vendre parce que c’était une ordonnance".
Mélanie Houdin (Centre Presse)
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Nous estimons que l’heure est désormais venue de passer de la maternité accidentelle, et due souvent au seul hasard, à une maternité consciente et pleinement responsable. Ce n’est pas par le seul moyen d’une législation répressive – la preuve en est faite – que nous augmenterons le rythme des naissances. C’est, au contraire, en offrant à chacun la possibilité d’avoir des enfants quand il le désire, mais aussi la certitude de pouvoir les élever dignement. (…)
Donner la liberté paraît simple. Or celle-ci n’est qu’une illusion si l’on n’assure pas en même temps les conditions de son exercice pour tous, à commencer par les plus humbles, sans pour autant risquer d’apporter des troubles tant pour la société dans laquelle nous vivons que pour ceux qui la composent. C’est un pas considérable vers une nécessaire amélioration des conditions d’existence de la femme, laquelle a supporté seule, jusqu’à présent, tout le poids de la fécondité. (…)
Il reste que le problème fondamental est celui d’information, problème d’autant plus difficile qu’il sera nécessaire de toucher pratiquement tous les groupes de la population, et d’abord les enfants, pour lesquels il conviendra d’introduire dans les cours de sciences naturelles les explications relatives à la naissance. (…) Mais, de toute évidence, une action devra aussi être menée auprès des couples sur le plan direct de la contraception et auprès des parents en tant qu’éducateurs. (…)
Chez nous, il est impossible de continuer à contraindre des malheureuses à l’avortement, à la mutilation, au désespoir et à la névrose. Il apparaît aberrant de laisser des couples se désagréger, se déchirer, alors que la science, sous le contrôle des médecins, met à notre portée les possibilités, non seulement d’éviter des drames, mais aussi d’assurer l’équilibre et le bonheur de millions de couples. Cette situation ne peut se prolonger dans notre France de 1967, dans cette nation qui a donné la liberté au monde et dont la tolérance est la règle d’or. (…) Désormais, il existe une prise de conscience indéniable et collective de l’absurdité d’une telle situation. Le respect de la liberté des consciences est profondément incrusté en nous. C’est pourquoi il est parfaitement admissible que, par conviction morale ou religieuse, on se refuse à utiliser la liberté individuelle. Mais, en vertu même de ce principe, cette possibilité d’utilisation ne doit pas être interdite par la loi comme c’est le cas actuellement, pour tous ceux qui la souhaitent. (…)
Dans ce vaste domaine de la régulation des naissances, il convient de mettre en place toute une législation appropriée. Cela ne se fera pas grâce au vote d’une seule proposition de loi, mais exigera une mise en place progressive de textes dont l’expérience démontrera la nécessité. (…)
Une tolérance accrue envers les modes de pensée et de comportement d’autrui, un effort de compréhension vis-à-vis de l’autre permettent maintenant aux hommes de bonne volonté d’accepter comme différentes de la leur, mais comme aussi respectables, les civilisations d’autres peuples dont les systèmes de valeur sont fondés sur d’autres morales. Un changement libéral de notre législation aura pour effet probable de faire rentrer dans la vie morale une question qui, insensiblement, en était sortie en raison de la contradiction permanente entre les attitudes implicites, dictant finalement le comportement réel, et les convergences des attitudes explicites, formant un bloc apparemment intégré, mais en réalité fortement fissuré.
Pour l’élévation du débat dans lequel nous sommes appelés à nous engager, il n’aura peut-être pas été inutile, au moment où la science, par ses gigantesques progrès, impose une éthique nouvelle, de rappeler que l’obscurantisme ne favorise ni l’équilibre moral de l’individu ni celui d’une nation. C’est dans cette optique évolutive qu’il faut placer d’emblée le problème de la contraception en France si l’on veut, alors que la question est maintenant posée, lui donner la solution digne d’un grand pays.
Lucien Neuwirth doit avoir conscience de ce qui l’attend quand il dépose sa proposition de loi qui légalise l’utilisation de la contraception. La preuve, il choisit de le faire le 18 mai 1966, jour de son anniversaire, pour « marquer symboliquement son respect de la naissance », rapporte le site de l’Assemblée nationale.
Ce qui n’empêchera pas ce gaulliste convaincu de subir les foudres de ses opposants souvent issus de son propre camp. « Malfaiteur public », « fossoyeur de la France » ou « assassin d’enfants », est-il notamment surnommé. Sa loi, adoptée en décembre 1967 – après dix-huit mois de travaux – par toute l’opposition et une partie de la majorité, vise à abroger la législation en vigueur depuis 1920, qui non seulement proscrit l’avortement et la contraception, mais menace aussi de poursuite toute « propagande anticonceptionnelle ».
Des années avant que Simone Veil ne monte à la tribune défendre la dépénalisation de l’IVG, Lucien Neuwirth argumente dans l’Hémicycle sur la nécessité d’offrir « à chacun la possibilité d’avoir des enfants quand il le désire, mais aussi la certitude de pouvoir les élever dignement ».
Cinquante ans plus tard, néanmoins, certains arguments heurtent les oreilles féministes : ainsi de la crainte d’« un relâchement des mœurs » avancé par le rapporteur du texte pour justifier de dispositions spécifiques aux mineures. De nombreux pas resteront encore à faire après l’adoption de cette loi du « père de la pilule » pour que les femmes obtiennent le droit à disposer librement de leur corps. D’ailleurs, il faudra attendre 1972 pour que les décrets d’application ne soient publiés. Et 1974, pour que la gratuité de la contraception pour les mineures et son remboursement par la Sécurité sociale pour les autres ne voient le jour.
Julia Hamlaoui pour cette partie C
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