Députés En Marche ! Ultralibéralisme et soumission totale aux chefs de l’exécutif

samedi 16 septembre 2017.
 

La première session parlementaire du quinquennat doit s’achever la semaine prochaine. En seulement quelques semaines, les députés de la République en marche se sont déjà distingués, en votant au pas de charge des mesures antisociales et liberticides, entre ordonnances pour la casse du Code du travail et prorogation de l’état d’urgence (la loi de « confiance dans l’action publique », elle, épargne la finance qui phagocyte l’État). Loin de renouveler ou de rafraîchir le rôle du parlementaire, les élus de la majorité ont souvent voté comme un seul homme, en se soumettant complètement au gouvernement, sans oublier toute une série de couacs, de bourdes et d’errements qui ont parfois rendu les débats chaotiques, voire ridicules. « Ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis en allant au-devant de la volonté d’Emmanuel Macron de bâillonner le Parlement », s’alarme le député PCF Stéphane Peu, qui dénonce aussi « la politique unilatérale, pour les plus riches », mise en place.

Tout est parti très vite en vrille. Mercredi 28 juin, la nouvelle Assemblée nationale vient à peine de se rassembler qu’un premier psychodrame frappe l’Hémicycle. La majorité au pouvoir, après des débats houleux, s’attribue tous les postes de vice-présidents de l’Assemblée nationale (cinq pour la République en marche – LREM –, un pour le Modem), alors que la coutume réserve des places à l’opposition. Les trois postes de questeurs, aussi, sont réservés à des soutiens de l’action gouvernementale (deux LREM et un «  constructif  »). L’opposition crie au déni de démocratie et l’Assemblée, déjà, convulse. Le pire est pourtant à venir.

« Je ne suis pas contre la justice sociale, ma grand-mère était couturière »

Les députés En marche  !, dans la foulée, prolongent l’état d’urgence et promettent d’y mettre fin une fois qu’il sera inscrit dans la loi ordinaire… Présents en masse ce 6 juillet dans l’Hémicycle, seuls 150 parviennent à voter, à la plus grande surprise du président de l’Assemblée nationale, François de Rugy. « Vous n’avez pas eu le temps d’appuyer sur le bouton ? » interroge-t-il. En plein été, ce couac et cette mesure liberticide passent relativement inaperçus. Les nouveaux députés, plus jeunes, tout heureux du coup de balai qui les a portés, sont sur un nuage. « L’Assemblée est plus diverse : il y a plus de jeunes et de femmes et c’est tant mieux. Mais elle a perdu en diversité sociale. Les catégories les plus aisées sont plus présentes. Il n’y a jamais eu autant d’avocats, de chefs d’entreprise », mesure le député PCF Stéphane Peu. Et c’est cette troupe qui s’est attaquée, très vite, au premier grand chantier législatif du quinquennat : une nouvelle loi travail. « Un projet pire que le précédent, qui détruit le Code du travail aux dépens des salariés et au profit des actionnaires. Cela se fait par ordonnances, en signant un chèque en blanc à Macron. On assiste à une offensive antisociale et antidémocratique de grande ampleur », dénonce Pierre Dharréville (PCF).

Déterminés à imposer le débat, les députés communistes et insoumis, à force d’arguments, déstabilisent très vite une majorité monolithique qui n’a pas grand-chose à dire, et esquive la confrontation. « Je ne fais pas de commentaire sur la loi », « je préfère ne pas parler à la presse », lancent-ils régulièrement dans la salle des Quatre Colonnes. Dans l’Hémicycle, les arguments les plus improbables sortent du chapeau. Répondant à l’insoumis François Ruffin, la députée LREM Olivia Grégoire lance  : « Je ne suis pas contre la justice sociale, ma grand-mère était couturière. » Une saillie qui est à la lutte des classes ce que l’argument « j’ai un ami noir » est au racisme. Les bourdes du genre s’accumulent alors, entre des députés indisponibles le mercredi matin, d’autres qui disent attendre d’être sollicités pour venir, ou encore une qui raconte apprécier «  des cocktails chez des ministres et dans de beaux endroits. Ce que j’apprécie particulièrement, c’est qu’on nous sert essentiellement du vin et du champagne  ». Autant de péripéties qui font dire à un assistant parlementaire : « On est quelque part entre la conjuration des libéraux et la conjuration des imbéciles. C’est très déroutant. » À se demander si ce n’est pas voulu. «  L’incompétence est érigée en système de gouvernance  », affirme même Sébastien Jumel, pour le PCF.

Mutiques, voire passifs, des députés LREM expliquent garder le silence dans « un souci d’efficacité ». « Ça ne sert à rien de prendre la parole pour répéter dix fois les mêmes choses ou d’essayer de convaincre l’opposition », lâchent certains. « Mes collègues ne souhaitent pas répondre de manière systématique, car c’est un dialogue de sourds », tranche Aurélien Taché (LREM). Se défendant d’être godillot, il estime qu’il n’y a pas « matière à amender » le projet de loi travail, au motif qu’il a déjà été « légitimé par l’élection d’Emmanuel Macron ». « Cet argument du “le président l’a dit”, cette manière d’affaiblir le Parlement est très inquiétante sur l’état de santé de notre République », prévient Pierre Dharréville. « Macron veut un Parlement aux ordres. Il ne veut pas de micro pour les députés, juste un tampon pour valider les lois », ajoute Adrien Quatennens (FI).

« La majorité a tendance à confondre la conduite du pays avec celle d’une start-up. Elle a peu d’appétence pour le débat démocratique, relève Stéphane Peu. Il y a un déni du rôle du parlementaire, avec très peu d’amendements déposés, et un mépris de l’opposition : quasiment tous ceux proposés par les autres groupes politiques sont rejetés. » C’est que le groupe LREM est soumis à un règlement de groupe très strict. Ses députés doivent avertir leur président, Richard Ferrand, s’ils « souhaitent déposer des propositions de lois, des questions écrites ou des questions d’actualité ». Pire, « les projets d’amendements » doivent être soumis à l’avis des responsables du groupe, alors qu’il s’agit d’un droit individuel propre à chaque député.

«  On a un groupe qui dort, qui ne sait pas monter au créneau, qui est vautré  »

Très soudés, parfois trop, les « marcheurs » finissent même par développer de drôles de réflexes. Le député Jean-Michel Fauvergue s’est agacé d’avoir été applaudi pendant qu’il se dirigeait vers la tribune. « Je n’ai encore rien dit », a-t-il sèchement lancé une fois au micro. Édouard Philippe, lors de son discours de confiance, a été applaudi 55 fois en une heure et cinq minutes. Pire, les députés LREM, très pavloviens, ont repoussé un article de leur propre loi de moralisation au motif que la France insoumise venait d’annoncer son soutien...

L’examen de la loi de « confiance dans la vie publique » a donné lieu à d’autres scènes invraisemblables. « On a un groupe qui dort, qui ne sait pas monter au créneau, qui est vautré. (…) On a une responsable de texte qui est inexistante, c’est comme si elle était à Nouméa sur une chaise longue », a soufflé la présidente LREM de la commission des Lois en pleine séance, sans se rendre compte que son micro était allumé. Comble de la confusion, trois votes ont parfois été convoqués, notamment pour sauver le verrou de Bercy, jusqu’à organiser des votes assis-debout pour réveiller et obliger l’assistance. Rouge d’émotion, le député PS Olivier Dussopt a taclé : « Lorsque le vote est appelé, si les députés de la majorité ne lèvent pas la main lorsque vous appelez les votes contre, l’amendement est adopté. Il n’y a pas lieu de recompter, et nous ne sommes pas là pour rappeler les uns et les autres à leurs obligations ou leur volonté de participer ou non à un vote. Ce mode de fonctionnement à l’occasion des votes est totalement inédit. » Reste que, justement sur le verrou de Bercy, plusieurs députés LREM ont pour la première fois montré les dents au gouvernement. « J’espère que cette volonté de faire respecter les prérogatives du Parlement va s’amplifier, conclut Stéphane Peu. Car pour l’instant, ils sont en train de brutaliser les plus pauvres, en plus de se soumettre complètement à Macron qui veut ligoter la représentation nationale. »

Lola Ruscio et Aurélien Soucheyre, L’Humanité


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