Députés novices LREM et fiasco parlementaire

mercredi 30 août 2017.
 

Et pourquoi ne pas permettre aux parlementaires de voter à distance ? Pour le député LREM Bruno Bonnell, une application sur smartphone ferait bien l’aff aire, qui l’exonérerait des débats dans l’Hémicycle. Cette dernière trouvaille de la majorité en dit long sur sa conception de la représentation nationale, réduite à appuyer sur un bouton

Les séances houleuses de la première session, marquée par l’indigence d’un groupe majoritaire réduit à la fonction de presse-bouton, relève d’un malaise bien plus profond qu’une simple impréparation aux rouages de l’Assemblée.

En dépit de ce fiasco parlementaire, le parti d’Emmanuel Macron n’a pas jugé utile de faire de la formation de ses parlementaires une priorité. Pourtant, concède un responsable du parti LREM, ce besoin s’était exprimé en force lors d’une consultation interne en juillet, et devrait se traduire par des «  Mooc  », (comprendre formation en ligne)… Tout juste les députés de la majorité ont-ils été invités à partir en vacances avec un règlement intérieur du Palais-Bourbon… et un exemplaire du livre du socialiste Jean-Jacques Urvoas, publié en 2012. Son Manuel de survie à l’Assemblée nationale, l’art de la guérilla parlementaire a été distribué à chaque député du groupe à la fin de la cession. Pas sûr que ce kit de prêt-à-penser suffise, tant le naufrage parlementaire de juillet relève d’un malaise bien plus profond qu’une simple impréparation ou méconnaissance des rouages de l’Assemblée.

L’échec cuisant du label «  société civile  »

En pleine campagne pour les élections législatives, une vidéo de la prestation télévisée d’Anissa Kheder, désormais députée LREM du Rhône, avait fait le tour de la Toile, suscitant l’affliction de millions d’internautes. On y découvrait une candidate incapable d’avancer un argument face à des journalistes médusés, annonçant la couleur d’une première session parlementaire marquée par les cafouillages de la majorité dans l’Hémicycle, chaque jour apportant son lot d’incidents et d’imbroglios suscités par des députés LREM manifestement dépassés. Ou l’échec cuisant du label «  société civile  » vendu par Macron comme unique argument de campagne pour faire rentrer les intérêts privés dans l’Hémicycle, bien loin du renouvellement sociologique dont avait besoin la représentation nationale (voir encadré). «  Le fait que des responsables politiques aient besoin d’appeler à leurs côtés des personnalités qu’ils présentent ostensiblement comme étrangères à leur milieu est en soi le symptôme d’un malaise de la représentation démocratique, explique la philosophe Catherine Colliot-Thélène, d’un milieu qui a perdu le contact avec la société qu’elle est censée représenter.  » C’est bien là que le bât blesse, pour Caroline Fiat. «  Ce qui m’a frappée, confie la députée FI de Meurthe-et-Moselle, c’est que nous aussi, au sein du groupe FI mais aussi du groupe GDR, nous étions “novices” au Parlement, ce qui ne nous a pas empêchés de travailler  ! Ce qui frappe, c’est le manque de squelette idéologique de ce groupe. On dirait que ces gens-là n’ont jamais fait l’effort de convaincre personne, qu’ils ne saisissent pas l’enjeu des textes qu’ils votent. Quand vous savez ce qu’est la précarité, le chômage ou le Smic, vous ne vous trompez pas de bouton au moment de voter. Vous ne renoncez pas à rédiger un amendement au prétexte que vous ne connaissez pas les aspects techniques  », rappelle la députée.

D’autant que, comme le souligne Éric Phelippeau, «  les parlementaires – fussent-ils ou non compétents pour le faire – sont loin d’être les seuls à intervenir dans la ­fabrique de la loi  ». «  Le travail politique est aussi le produit de l’activité d’une foule d’acteurs invisibles qui bénéficient souvent d’une stabilité statutaire supérieure à celle des parlementaires, rappelle le docteur en sciences politiques (1). C’est le cas des fonctionnaires des Assemblées, qui orientent, canalisent et conseillent les nouveaux élus dans leurs premiers pas. Mais il faut aussi mentionner l’importance moins connue des collaborateurs politiques de groupes parlementaires qui jouent un rôle de l’ombre essentiel  ». Alors comment expliquer ce fiasco du groupe majoritaire, qui a multiplié les bourdes, des applaudissements à tort et à travers en passant par des erreurs de vote ou la passivité générale pendant les débats, quand les députés communistes et insoumis ferraillaient avec aisance dans l’Hémicycle, notamment contre la loi travail  ?

Le Parlement entre les mains d’une poignée de technocrates

«  Des députés novices, il y en a partout, souligne le député communiste des Bouches-du-Rhône Pierre Dharréville, dont le groupe compte neuf nouveaux députés qui ont su se démarquer dans les débats. Mais ce qui nous caractérise, c’est que nous avons tous une longue expérience militante, politique et collective. Nous avons un enracinement citoyen qui nous porte et nous donne de la légitimité. Pour de nombreux députés LREM, leur seule expérience militante se résume à quelques semaines de campagne pour les législatives, et cela se voit.  » Le 19 juillet, même la présidente LREM de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, s’agace sèchement du comportement de ses propres collègues. Croyant son micro fermé, elle lâche  : «  On a un groupe qui dort, qui ne sait pas monter au créneau, qui est vautré.  » La droite LR, par la voix de son chef de file, Christian Jacob, ouvre son procès en incompétence, saisi comme une occasion de légitimer la «  professionnalisation  » nécessaire des élus. «  Attention à ce que la gauche ne tombe pas dans ce piège  », prévient Rémi Lefebvre. «  Que l’opposition se saisisse de ces maladresses, c’est de bonne guerre. Mais attention de ne pas renvoyer l’idée que la politique ne serait qu’une affaire de compétences. Car, avec ces mêmes arguments, on peut justifier qu’un ouvrier n’a pas sa place dans l’Hémicycle, soulève le politologue. Bien sûr, la politique nécessite des savoir-faire et des savoir-être, de mobiliser des savoirs et des connaissances, qui bien souvent, pour les politiques, s’acquièrent plus par le militantisme que par le niveau de diplômes. Que les députés En marche  ! ne sachent pas s’exprimer, c’est une chose, mais ont-ils vraiment des choses à dire  ?  »

«  La majorité a tendance à confondre la conduite du pays avec celle d’une start-up. Elle a peu d’appétence pour le débat démocratique  », abonde Stéphane Peu, député communiste de Seine-Saint-Denis, qui s’inquiète d’un rabougrissement du rôle du Parlement au profit d’un exécutif aux mains d’une poignée de technocrates.

L’élection de Macron, produit de la crise démocratique

Pour Adrien Quatennens, le spectacle affligeant donné par la majorité dans l’Hémicycle ne doit pas non plus se traduire par un procès en incompétence. «  Nous sommes opposés à la professionnalisation de la vie politique, rappelle le député de la France insoumise du Nord. Il faut noter l’habileté d’Emmanuel Macron à perpétuer les politiques libérales avec des habits neufs. Si les députés de la majorité représentent la société civile, alors nous sommes les députés de la vie ordinaire.  » Le benjamin du groupe FI, qui s’est fait remarquer pendant les débats sur la loi travail, rappelle que la majorité, loin du renouvellement sociologique attendu (voir encadré), est essentiellement composée de cadres et de professions libérales. «  J’ai senti qu’ils avaient l’habitude de donner des ordres, pas d’en recevoir, ironise-t-il. Alors qu’ils ­devaient sans doute nous mépriser un peu, ils ont trouvé face à eux des novices qui ont une expérience militante, et ça fait toute la différence (voir article ci-contre). À gauche, on se cultive, on s’intéresse, on écoute, toujours le crayon à la main. Être un bon élu, ce n’est pas connaître par cœur le règlement de l’Assemblée, mais servir l’intérêt général, loin des conflits d’intérêts.  » L’élection d’Emmanuel Macron, produit de la crise démocratique, et le raz de marée qui s’en est suivi aux élections législatives ont para­doxalement accentué tout ce que les Français reprochaient à la pratique du pouvoir  : sa concentration dans les mains d’une élite technocratique étroitement liée aux milieux financiers. «  Je suis persuadé que cette majorité – un groupe soumis aux propositions de Matignon et donc de l’Élysée – peut se fissurer  », assure André Chassaigne. «  On le voit, quand on discute avec les élus de la majorité, explique le chef de file des députés communistes, le malaise est en train de naître. Certains mangent leur chapeau. Ils réalisent qu’ils sont des élus de droite  »…

Maud Vergnol

Vendredi, 25 Août, 2017

L’Humanité


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