Le Parlement défie l’UE en votant une réforme controversée de la justice
Cette loi, que l’opposition qualifie de « coup d’Etat » et qui pourrait provoquer des sanctions, donne à l’exécutif une forte influence sur la Cour suprême.
Les conservateurs au pouvoir en Pologne ont défié, jeudi 20 juillet, la Commission européenne en votant une loi controversée sur la Cour suprême, dénoncée par l’opposition comme un « coup d’Etat » réduisant l’indépendance de la justice. Donnant à l’exécutif une forte influence sur la Cour suprême, le Parlement polonais a ignoré la mise en garde de la Commission, qui avait sommé mercredi Varsovie de « mettre en suspens » ses réformes du système judiciaire, agitant la menace de sanctions sans précédent.
Ces réformes visent généralement à accroître le contrôle du pouvoir exécutif sur le système judiciaire et à en renouveler le personnel. La chambre basse, où le parti conservateur Droit et justice (PiS) est majoritaire, a voté la proposition de loi par 235 voix pour, 192 contre et 23 abstentions.
Aussitôt connu, le vote a été dénoncé par des manifestants groupés devant le siège du Parlement. Une manifestation plus importante était prévue dans la soirée devant le palais présidentiel. Affaiblissement de la séparation des pouvoirs
« Nous sommes désormais très proches de déclencher l’article 7 du traité de l’UE », synonyme de possibles sanctions comme la suspension des droits de vote de la Pologne au sein de l’Union, a averti le vice-président de la commission, Frans Timmermans. Jeudi, le président conservateur Andrzej Duda a fait savoir qu’il refusait une rencontre avec le chef du Conseil européen Donald Tusk, préoccupé par cette situation.
Le parti Droit et justice (PiS), majoritaire dans les deux chambres et toujours nettement en tête des sondages d’opinion, présente ses réformes comme indispensables pour rationaliser le système judiciaire et combattre la corruption. L’opposition y voit un affaiblissement de la séparation des pouvoirs et une tentative de faciliter aux conservateurs le contrôle de l’ensemble de la vie sociale.
Manifestations de l’opposition
La loi sur la Cour suprême doit être encore approuvée par le Sénat et signée par le président pour entrer en vigueur. Mais leur approbation semble acquise. Elle vient juste après deux autres textes votés le 12 juillet.
Le premier porte sur le Conseil national de la magistrature et précise que ses membres seront désormais choisis par le Parlement. Le deuxième modifie le régime des tribunaux de droit commun, dont les présidents seront nommés par le ministre de la justice.
Leur adoption a poussé les mouvements et partis d’opposition à organiser à partir de dimanche dernier des manifestations de plusieurs milliers de personnes à Varsovie et dans quelques villes de province.
Arrivés au pouvoir en octobre 2015, les conservateurs ont entrepris plusieurs réformes radicales. Certaines – telles celles du tribunal constitutionnel et des médias publics – ont suscité des critiques de la Commission européenne.
* LE MONDE | 20.07.2017 à 15h12 • Mis à jour le 20.07.2017 à 16h49 : http://www.lemonde.fr/europe/articl...
Réforme de la justice : le président fait de la résistance, Bruxelles tergiverse
Andrzej Duda menace de mettre son veto à l’une des lois controversées sur la réforme de la justice en Pologne, à la veille d’une réunion de la Commission, qui reste hésitante sur l’attitude à adopter face à Varsovie.
Le président polonais Andrzej Duda fait de la résistance à son propre parti et menace de mettre son veto à l’une des lois controversées qui organisent une mise au pas de la justice par le gouvernement ultraconservateur du parti Droit et justice (PiS). Il demande, mardi 18 juillet, que les membres du Conseil national de la magistrature soient choisis par les députés à une majorité des trois cinquièmes et non plus à la majorité simple, comme le prévoyait le gouvernement, dans son texte adopté par le Parlement, samedi.
L’annonce du président Duda intervient à la veille d’une réunion du collège des commissaires européens qui devait discuter de la situation polonaise. Les réformes controversées du système judiciaire menées par les ultra-conservateurs au pouvoir en Pologne inquiètent la Commission de Bruxelles, même si elle tergiverse sur sa réaction. Elle s’est réfugiée jusqu’ici dans des propos timides, arguant du fait que la plupart des dispositions en question n’étaient pas totalement entérinées. Beaucoup d’observateurs estiment que le pouvoir polonais est peut-être en train de franchir un point de non-retour. « Les récents développements, qui menacent sérieusement l’indépendance de l’Etat de droit, sont source d’une grande inquiétude », commente un haut responsable.
Les deux chambres du Parlement de Varsovie ont approuvé la semaine dernière deux projets de loi qui vont assurer le contrôle du système judiciaire par la majorité du PiS. La première – contestée par le président Duda – concerne le Conseil national de la magistrature. La deuxième modifie le régime des tribunaux de droit commun, dont les présidents seront nommés par le ministre de la justice.
Manifestations dimanche
Une autre proposition de loi contestée, examinée par la Diète mardi dans un débat houleux, prévoit de donner au ministre de la justice d’importants pouvoirs sur la Cour suprême, l’équivalent de la Cour de cassation. Cette future loi pourrait entraîner le remplacement de tous les juges de la Cour suprême, à l’exception de ceux qui reçoivent l’aval du ministre de la justice. « C’est très dangereux pour le système politique dans lequel nous vivons », a déclaré Malgorzata Gersdorf, la présidente de l’institution, qui est aussi chargée de valider les résultats électoraux. D’autant que des actions judiciaires ont par ailleurs été lancées contre plusieurs maires d’opposition dans plusieurs villes, dont Gdansk, Lublin ou Lodz. Le premier test électoral pour le PiS est prévu l’année prochaine, avec la tenue d’élections locales.
Des manifestations de protestation ont eu lieu dimanche dans plusieurs municipalités. Depuis la victoire du PiS, en 2015, le gouvernement a placé sous son contrôle les médias publics et l’ensemble des magistrats du Parquet, et considérablement limité les pouvoirs du Tribunal constitutionnel.
La Commission européenne a lancé une procédure de surveillance du respect de l’Etat de droit au début de 2016. Elle est basée sur un dialogue suivi avec le gouvernement polonais, mais qui pour l’instant n’a pas permis d’infléchir sa position. Activée après la réforme du Tribunal constitutionnel, elle a donné lieu à une série de recommandations dont Varsovie n’a pas tenu compte.
Traditionnellement plus sensible sur ces questions, le Parlement européen a réagi fermement. Mardi, Antonio Tajani, son président, adressait un courrier à M. Duda, lui lançant un « signal clair de préoccupation » et lui enjoignant de jouer son rôle de « garant suprême de la Constitution ». Le message semble avoir été entendu.
M. Tajani s’est aussi adressé au président de la Commission, Jean-Claude Juncker, réclamant qu’il agisse, y compris en convoquant la commission de Venise. Cet organe consultatif du Conseil de l’Europe a déjà été plusieurs fois sollicité depuis l’arrivée du PiS au pouvoir, afin de rendre un avis – négatif – sur les premières volontés de réformes du Tribunal constitutionnel polonais.
L’article 7, une « arme nucléaire »
Jusqu’où pourra aller la Commission, et singulièrement son premier vice-président, Frans Timmermans, chargé de ce dossier explosif ? L’institution est très partagée : l’étape suivante, si la Pologne n’obtempère pas, consiste à lancer une procédure d’infraction ou à recommander au Conseil européen (la réunion des pays membres) l’activation de l’article 7 des traités de l’UE. Or, cet article n’a jamais été utilisé, et pour cause : il est considéré à Bruxelles comme une véritable « arme nucléaire », sa procédure conduisant, si elle est menée à son terme, à une exclusion temporaire du pays concerné. Elle peut, en effet, aller jusqu’à le priver de ses droits de vote au Conseil européen.
M. Timmermans a longtemps espéré que des capitales montent au créneau pour lui venir en aide et exercent une pression politique sur Varsovie, seul moyen, estime-t-on à Bruxelles, d’amener le PiS à changer d’avis. Berlin est dans l’incapacité de le faire, pour des raisons historiques, toute critique allemande visant la Pologne étant jugée contre-productive et apte à nourrir un sentiment national à fleur de peau. Paris, alors ? La Commission a misé sur le fait que la France prendrait le relais mais François Hollande n’en a rien fait.
Emmanuel Macron changera-t-il ce cap ? Il semble vouloir, là encore, prendre le contre-pied de son prédécesseur et a déclaré, durant sa campagne pour la présidentielle, qu’il serait intransigeant sur le respect de l’Etat de droit en Pologne. « Les évolutions de ces derniers jours ne sont pas de nature à le faire changer d’avis », expliquait, mardi, un diplomate européen. Varsovie, pendant ce temps, compte sur l’appui de ses alliés du Groupe de Visegrad, et, en tout cas, celui du Hongrois Viktor Orban.
Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen) et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
* LE MONDE | 18.07.2017 à 20h04 • Mis à jour le 18.07.2017 à 20h40 : http://www.lemonde.fr/europe/articl...
Le gouvernement ultraconservateur harcèle les journalistes
Tomasz Piatek est poursuivi devant un tribunal militaire pour une enquête critique sur le ministre de la défense.
Après avoir repris en main les médias publics dès son arrivée au pouvoir, en novembre 2015, le gouvernement ultraconservateur polonais accroît sa pression sur les médias privés et sur les journalistes. Le ministre de la défense, Antoni Macierewicz, a déposé une plainte devant le bureau militaire du parquet général de Varsovie contre le journaliste d’investigation Tomasz Piatek, du quotidien de centre gauche Gazeta Wyborcza.
En cause : un livre publié par le journaliste (« Macierewicz et ses secrets »), fruit de dix-huit mois d’enquête, qui met en lumière les liens entre le ministre de la défense avec des personnes liées aux intérêts russes et aux services de renseignement moscovites.
Fait notable, le ministre ne porte pas plainte pour diffamation, mais pour « recours à la force ou à la menace contre un fonctionnaire », « insulte ou humiliation d’un organe constitutionnel » et « attaque illégale à l’encontre d’un représentant public ». En vertu du code pénal polonais, le journaliste encourt jusqu’à trois années de prison.
« Dénonciateur bolchevique »
« Il y a encore deux ans, il aurait été inimaginable qu’un journaliste puisse être traduit devant un tribunal militaire, confie Tomasz Piatek au Monde. Je me sens menacé, mais, au-delà de ma personne, il s’agit de faire peur à toute la profession. En présentant ce genre d’accusations absurdes, le ministre de la défense me donne raison, car à aucun moment il n’est question de plainte pour diffamation ou pour des mensonges supposés. »
Le journaliste a également fait l’objet de violentes attaques de la part de la télévision publique et des médias proches du parti au pouvoir, le PiS (Droit et justice). Il a notamment été qualifié de « dénonciateur bolchevique », et attaqué pour son engagement en faveur des droits des minorités sexuelles, ou encore pour son addiction passée aux stupéfiants et à l’alcool.
Dans une lettre ouverte à Antoni Macierewicz, Reporters sans frontières (RSF) et d’autres ONG l’appellent à renoncer immédiatement aux poursuites pénales engagées contre Tomasz Piatek. « Le fait de traduire un journaliste devant une juridiction militaire et de le menacer d’une peine de prison constitue une forme d’intimidation et porte gravement atteinte à la liberté de la presse et de tous ceux qui émettent des critiques à l’égard des autorités, affirme Pauline Adès-Mével, responsable du bureau Union européenne de RSF. Nous appelons les institutions européennes à condamner sans détour ces poursuites. »
M. Macierewicz ne s’est pas encore expliqué en détail sur les accusations à son encontre ou envers ses proches contenues dans le livre de Tomasz Piatek. Le secrétaire d’Etat à la défense, Michal Dworczyk, a qualifié l’ensemble de ces publications de « tissu de mensonges et de calomnies ».
Le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, de son côté, a récemment dévoilé les liens entre le vice-ministre de la défense, Bartosz Kownacki, et le parti Zmiana (« changement »), financé par le Kremlin. Le quotidien révèle notamment que M. Kownacki a été, en 2012, à l’invitation d’une organisation pro-Kremlin, observateur international durant l’élection présidentielle en Russie. « La situation est si absurde qu’il est difficile de la commenter, s’est défendu M. Kownacki à la télévision publique. J’ai été observateur en Russie lors des élections en 2012. Les organisations qui m’y ont envoyé étaient légales. »
« La pire des manières »
La télévision publique polonaise a également attaqué, le 14 juillet, la correspondante à Bruxelles de la télévision Polsat, Dorota Bawolek. Dans une question à un porte-parole de la Commission européenne, la journaliste s’étonnait que celui-ci refuse de commenter la réforme controversée du système judiciaire polonais, unanimement décriée par les juristes comme une atteinte au principe de séparation des pouvoirs.
« Les médias privés, depuis le début des gouvernements du parti Droit et justice, font beaucoup pour parler des changements en Pologne de la pire des manières, surtout à l’étranger », a commenté le présentateur de la chaîne d’information en continu TVP Info, avant de diffuser à l’antenne l’intervention de la journaliste.
Cette dernière a essuyé par la suite un torrent de menaces sur les réseaux sociaux, dont de nombreuses menaces de mort. La journaliste a été accusée de « trahison », d’« attaque envers la Pologne » et de travailler « sur commande politique ». Ces attaques sont récurrentes vis-à-vis des journalistes polonais qui critiquent la politique du gouvernement ultraconservateur. Certaines d’entre elles ont été relayées par des cadres de la majorité du PiS.
Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
* LE MONDE | 18.07.2017 à 10h39 • Mis à jour le 18.07.2017 à 11h13 : http://www.lemonde.fr/europe/articl...
Fronde contre la reprise en main de la justice
L’exécutif ultraconservateur remanie les instances judiciaires, en dépit des rappels à l’ordre de l’UE sur l’Etat de droit.
Plusieurs milliers de personnes ont manifesté, dimanche 16 juillet à Varsovie et dans plusieurs villes de Pologne, contre une série de lois controversées sur le système judiciaire, votées par la majorité ultraconservatrice du parti Droit et justice (PiS). Les manifestants se sont réunis devant le siège du Parlement, avant de marcher vers le palais présidentiel et le siège de la Cour suprême, pour former une « chaîne de lumière », allumant des milliers de bougies à la nuit tombante. Ils ont défilé en dénonçant « le dictateur », Jaroslaw Kaczynski, le président du PiS, qui exerce son emprise sur le gouvernement sans en être membre.
Les manifestants ont appelé le président, Andrzej Duda, à user de son droit de veto envers les réformes votées par la majorité, mercredi 12 à la Diète et samedi 15 juillet au Sénat. Issu du PiS, M. Duda ne s’est guère opposé aux décisions du gouvernement, et est à l’origine du premier grand conflit avec la justice quand il avait refusé, fin 2015, de confirmer la nomination au Tribunal constitutionnel de trois juges choisis par le gouvernement libéral précédent.
La prise de contrôle du Tribunal constitutionnel, la plus haute instance juridique du pays, par la majorité du PiS, avait provoqué l’enclenchement d’une procédure inédite de « sauvegarde de l’Etat de droit » par la Commission européenne, en janvier 2016. La nouvelle offensive du gouvernement contre la justice devrait être examinée à Bruxelles mercredi 19 juillet, la Commission étant restée plutôt évasive ces derniers jours.
Retraite forcée
Les rappels à l’ordre européens ont jusqu’à présent peu impressionné le gouvernement polonais, qui a poursuivi son travail de sape. C’est la question du pouvoir de nommer les juges qui est au centre de la reprise en main de la justice. Selon la nouvelle loi votée au Parlement, le ministre de la justice peut démettre de leurs fonctions et nommer tous les présidents de tribunaux du pays, toutes instances confondues, sans mécanisme de contrôle. Les présidents de tribunaux sont notamment chargés de répartir le travail entre les juges de leur ressort, notamment en ce qui concerne les affaires les plus sensibles.
La majorité PIS poursuit également la refonte des instances supérieures de la justice : les députés ont adopté une loi sur le statut du Conseil national de la magistrature, qui prévoit de mettre fin au mandat de tous ses membres, et la nomination de leurs remplaçants par le Parlement à la majorité simple. Le Conseil national de la magistrature a une influence importante sur le processus de nomination des juges et fait figure d’instance morale.
Le gouvernement ne s’arrête pas là. Une loi en préparation, qui doit être présentée mardi au Parlement, prévoit un profond bouleversement de la Cour suprême, l’équivalent de la Cour de cassation. Le projet oblige à l’envoi d’office « en état de repos » – en retraite forcée – de tous ses juges. Le ministre de la justice pourra aussi indiquer quels juges pourraient être épargnés par ce renvoi, acquérant ainsi une prérogative de nomination à la Cour, qui a notamment pour mission de confirmer la validité de toutes les élections (nationales, locales, européennes) et la validation des comptes de campagne des partis.
« Magistrats obéissants »
L’inquiétude est générale dans les milieux judiciaires. Marek Safjan, ancien président du Tribunal constitutionnel, et membre de la Cour de justice de l’Union européenne, dénonce un « attentat contre la Constitution ». « Cet ensemble de lois est de fait un changement radical de la constitution polonaise qui ne dit pas son nom, explique-t-il au Monde. Si ces lois venaient à être signées par le président de la République, elles mettraient fin à l’Etat de droit en Pologne. » Un avis partagé par Waldemar Zurek, porte-parole du Conseil national de la magistrature : « Ces lois marquent la politisation absolue et l’appropriation par un parti politique de tous les tribunaux du pays, toutes instances confondues. Ces lois sont inconstitutionnelles et marquent une rupture avec les valeurs fondamentales de l’UE et la culture du droit en Europe. »
« Le pouvoir discrétionnaire du ministre de la justice quant à la nomination des présidents de tribunaux donne au gouvernement un instrument pour empiéter de manière permanente sur l’indépendance judiciaire, en créant un corps de magistrats politiquement obéissants », dénoncent aussi cinq anciens présidents du Tribunal constitutionnel.
Le ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, a balayé les critiques en dénonçant le corporatisme des juges : « Le système judiciaire polonais était une corporation, qui s’est coupée de la démocratie. » « Ce n’est pas la question de savoir si je gagne davantage de pouvoirs, mais de mettre en place des outils de véritable contrôle, a-t-il poursuivi. Actuellement, le ministre de la justice a la responsabilité du fonctionnement du système judiciaire, mais ne peut pas l’influencer. » Cette justification sonne comme un aveu des intentions du pouvoir polonais.
Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
* LE MONDE | 17.07.2017 à 11h10 • Mis à jour le 17.07.2017 à 11h12 : http://www.lemonde.fr/europe/articl...
L’armée polonaise affaiblie par les purges du PiS
Le parti au pouvoir a multiplié les nominations politiques et négligé la modernisation des équipements.
Alors que les questions de sécurité seront au cœur de la visite de Donald Trump en Pologne, jeudi 6 juillet, ce pays est-il en passe de devenir le nouveau maillon faible de l’OTAN ? Démissions en cascade, politisation des promotions, programme de modernisation interrompu : l’armée polonaise n’a pas échappé à la « révolution conservatrice » lancée par le parti Droit et justice (PiS) lors de son arrivée au pouvoir, en novembre 2015, et menée d’une main de fer par le ministre de la défense, Antoni Macierewicz, une des personnalités les plus radicales et controversées de l’équipe gouvernementale.
Deux anciens hauts gradés de l’armée polonaise ont confié leurs craintes au Monde : le général Mieczyslaw Cieniuch, ex-chef d’état-major et ex-représentant de la Pologne au sein des structures de l’OTAN et de l’UE, et le général Miroslaw Rozanski, ancien commandant général des forces armées, qui a claqué la porte de l’institution en décembre 2016 pour cause de désaccord profond avec la politique du ministre.
Depuis que M. Macierewicz a pris les rênes du ministère, 90 % de l’état-major et 80 % des cadres du commandement général des forces armées ont été renouvelés. Trente généraux – sur quatre-vingt – ont été démissionnés ou placés en réserve, ainsi que 250 colonels. Les deux généraux dénoncent en premier lieu la méthode du ministre : « Il est profondément persuadé qu’il faut tout détruire et reconstruire à nouveau, affirme le général Cieniuch. C’est une logique irrationnelle et absurde. L’armée ne supporte pas de révolution. D’autant plus que le contexte géopolitique autour de la Pologne n’est pas stable, c’est le pire des moments. »
La politique de M. Macierewicz s’inscrit dans la logique du gouvernement conservateur, qui rejette de manière radicale les acquis des prédécesseurs et considère les vingt-sept années de transformation démocratique polonaise comme un échec. « Je n’ai jamais vu notre armée en si mauvais état », déplore le général Cieniuch.
« Une bonne dose d’idéologie et de logique partisane »
M. Macierewicz a mis en place des mécanismes législatifs qui lui permettent de promouvoir rapidement des officiers au nom du « renouvellement des cadres », même si le nouveau poste dépasse leur niveau de compétences. Il a aussi généralisé les promotions permettant de sauter deux échelons dans la hiérarchie. Le ministre a remplacé l’intégralité des formateurs de l’Académie de défense nationale en y injectant « une bonne dose d’idéologie et de logique partisane », selon M. Cieniuch, qui dénonce une armée « en voie de politisation ».
« Le ministère a pris pour principe depuis le début de réaliser des objectifs politiques qui ont souvent une forte dose de populisme, estime le général Miroslaw Rozanski. Les hommes expérimentés sont remplacés par des gens jeunes, mal préparés, qui légitiment les décisions politiques de la direction. Les conséquences de cette politique se feront sentir longtemps. Nous sommes menacés de ruine intellectuelle. »
Mais ce qui inquiète le plus les militaires, c’est le manque de modernisation. Avant la visite de Donald Trump à Varsovie, la majorité s’est empressée d’adopter une loi, basée sur la « Conception de développement des forces armées à l’horizon 2032 », en cours de préparation. Ce document prévoit de faire passer l’armée de 100 000 à 200 000 hommes, d’augmenter le budget de la défense à 2,5 % du PIB – contre 2 % actuellement – et de faire en sorte que la Pologne puisse « se défendre seule » contre tout agresseur.
Le ministère projette des achats évalués à 35 milliards d’euros, et M. Macierewicz ne cache pas son penchant pour le matériel américain. Problème : tous les appels d’offres majeurs lancés par la précédente majorité semblent au point mort, après la rupture controversée des négociations pour la livraison de 50 hélicoptères Caracal d’Airbus.
Hélicoptères de l’ère soviétique
« Le processus de modernisation est à vrai dire stoppé, alors que l’armée polonaise a un besoin urgent de matériel neuf, souligne le général Cieniuch. Nous avons un vice-ministre [chargé de la modernisation, Bartosz Kownacki] qui dit que les hélicoptères ne sont plus une priorité. Je ne connais pas une armée pour laquelle les hélicoptères ne soient pas une priorité. » En attendant, l’armée polonaise vole toujours sur des hélicoptères de l’ère soviétique.
« Nous avons affaire à une inversion des priorités inquiétante, poursuit le général Cieniuch. L’augmentation radicale des effectifs de soldats ne devrait pas être une priorité, mais la modernisation et la formation de ce que l’on a. L’une se fera au détriment des deux autres. » Si la part du budget consacrée à la modernisation des forces armées augmente en 2016, sur 2,5 milliards d’euros dépensés à cet effet, 80 % étaient constitués d’acomptes destinés essentiellement à l’industrie de l’armement polonaise pour des commandes futures, plutôt que pour du matériel de pointe.
Enfin, le ministre prévoit un investissement massif dans la « défense territoriale », son initiative phare, qui devrait compter à terme 50 000 hommes. Il s’agit de milices citoyennes formées et rémunérées par l’armée, destinées à prémunir la Pologne des menaces hybrides et même à « lutter contre le Spetsnaz » – les forces spéciales russes –, selon les vœux du ministre. « Il est clair que l’investissement dans cette initiative se fera au détriment de l’armée régulière et de la modernisation », affirme le général Cieniuch. Le ministère de la défense n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.
La place de la Pologne au sein de l’OTAN serait-elle affaiblie ? Selon le général Cieniuch, « notre politique étrangère vis-à-vis de nos partenaires européens abaisse notre valeur aux yeux des alliés ». La rupture du contrat avec Airbus a provoqué un froid diplomatique important avec Paris et Berlin, et la Pologne est toujours sous le coup d’une procédure de « sauvegarde de l’Etat de droit » lancée par Bruxelles. « Il est illusoire de penser qu’une posture de confrontation avec nos voisins européens va renforcer notre partenariat stratégique avec les Etats-Unis. Même l’Amérique de Trump a besoin de partenaires stables », ajoute le général Cieniuch.
Pour lui, la gestion des ressources humaines par l’actuel ministre risque d’affaiblir considérablement la position polonaise au sein de l’Alliance atlantique : « La plupart des officiers éduqués à l’étranger, qui connaissaient les structures internationales et les langues, ont été renvoyés ou ont jeté l’éponge. Nous risquons de n e plus disposer de personnes capables d’évoluer dans un environnement international. » Une politique du repli sur soi qui pourrait, en cas de crise, se révéler handicapante.
Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
* LE MONDE | 05.07.2017 à 09h43 : http://www.lemonde.fr/europe/articl...
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