Des dizaines de milliers de personnes ont défilé vendredi contre un texte visant à interdire l’IVG en cas de pathologies graves ou de handicap constatés chez le fœtus.
Les Polonaises réussiront-elles, une fois de plus, à faire barrage à un proposition de loi visant à durcir la législation encadrant l’avortement dans le pays ? Plus de 50 000 personnes ont manifesté à Varsovie, vendredi 23 mars, et plusieurs milliers dans d’autres villes de province, lors d’un « vendredi noir » qui a été particulièrement suivi. La mobilisation rappelait les manifestations de l’automne 2016, qui avaient déjà fait échouer une première offensive des associations antiavortement.
Un nouvelle proposition de loi d’initiative citoyenne déposé au Parlement, avec le soutien de l’épiscopat polonais, veut interdire les interruptions volontaires de grossesse (IVG) en cas de pathologies graves ou de handicap constatés chez le fœtus.
Si ce texte était adopté, il reviendrait à interdire 95 % des avortements légaux pratiqués en Pologne, un pays qui possède déjà une des législations les plus restrictives d’Europe en la matière. Les IVG ne seraient autorisées qu’en cas de menace pour la vie ou la santé de la mère, ou si la grossesse est le fruit d’un viol.
Pour les associations antiavortement et une partie de la droite proche de l’Eglise, il s’agit de lutter contre ce qu’ils nomment « l’avortement eugénique », c’est-à-dire celui qui concerne les embryons atteints de handicap, notamment de trisomie.
Mais pour Liliana Religa, de la Fédération pour les femmes et le Planning familial (Federa), « il y a une manipulation d’ampleur des groupes “anti-choix” sur cette question, qui voudraient que l’exemple de la trisomie monopolise ce débat ». Selon elle, « dans la plupart des cas qui tombent sous le coup de ce texte, nous avons affaire à des pathologies embryonnaires graves, qui peuvent rendre les enfants non viables ».
Comme en 2016, ce texte embarrasse la majorité ultraconservatrice du PiS (Droit et Justice), qui doit donner des gages à l’Eglise et à son électorat dur, mais qui se serait bien passé d’un dossier socialement explosif.
Après avoir obtenu le feu vert de la commission parlementaire de la justice et des droits de l’homme, le 19 mars, l’examen du texte en commission de la politique sociale et de la famille a été repoussé d’un mois, pour gagner du temps. « Il n’y a pas de position du gouvernement vis-à-vis de ce projet de loi citoyen, a déclaré la vice-ministre de la santé, Jozefa Szczurek-Zelazko. Mais nous restons pour la protection de la vie, de la conception jusqu’à la mort naturelle. »
« Nous voulons le choix, pas la terreur ! » « Mon corps est mon affaire, pas celle de M. Kaczynski ! », pouvait-on lire sur les bannières des manifestants. Pour Natalia Maria Wojciechowska, 35 ans, « si cette loi venait à passer, elle instaurerait un véritable climat de peur, une criminalisation des femmes et des médecins. Les fausses couches pourraient devenir suspectes. Ce serait aussi un grave coup porté à la médecine prénatale. »
De nombreuses femmes présentes à la manifestation sont venues non pas prôner une libéralisation de la loi, mais défendre la législation actuelle, fruit d’un compromis entre l’Eglise et l’Etat. « Je suis pour le maintien du compromis actuel, que je trouve optimal, affirme Ula Klein, 40 ans. Il permet d’avorter dans les cas les plus désespérés, et je reste contre une banalisation de l’avortement. Mais je suis venue manifester, car je veux que mes filles aient le droit de décider, lors de situations tragiques. »
Maria Kowalska, 63 ans, se dit « catholique », mais « pour que chacun puisse décider en son âme et conscience » : « Je suis contre le fait d’imposer aux femmes quoi que ce soit. Je suis mère d’un enfant trisomique et je sais ce que c’est que de prendre des décisions difficiles. La loi ne devrait pas interférer dans ces choix. »
Seuls 1 100 avortements légaux sont pratiqués chaque année en Pologne. L’avortement clandestin et « touristique » est quant à lui estimé à 150 000 cas par an. Sur les 400 hôpitaux polonais habilités à pratiquer l’avortement, seuls 46 établissements l’ont effectivement fait en 2016. Certaines régions du pays sont considérées comme de véritables déserts médicaux concernant l’IVG.
Les associations féministes dénoncent une pratique abusive de la clause de conscience par des médecins et des établissements hospitaliers, ou des allongements volontaires des procédures et des examens. L’accès à la contraception, surtout en milieu rural, pose également problème.
Selon une étude Ipsos de 2017, la société polonaise, même si elle reste profondément divisée sur la question de l’avortement, ne soutient pas de telles restrictions : 41 % des sondés seraient pour un maintien du compromis actuel, et 40 % pour une plus ample libéralisation de la législation. Seuls 11 % des interrogés se prononcent pour un durcissement de la loi.
Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
Date | Nom | Message |