Un candidat du FN a supervisé la collaboration de Lafarge avec Daech en Syrie

dimanche 7 mai 2017.
 

C’est une information dont Marine Le Pen, qui a promis de lutter impitoyablement contre le terrorisme islamiste si elle était élue dimanche prochain à la tête de l’État, se serait sans doute passée dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. L’un des dirigeants du groupe Lafarge qui a supervisé des négociations secrètes avec l’État islamique, afin que le géant mondial du ciment poursuive son business en pleine guerre syrienne, est un fervent soutien de la cheffe de file du Front national (FN). Il fut notamment l’un de ses candidats lors des dernières élections municipales à Paris.

Son nom : Jean-Claude Veillard. Il est l’actuel directeur de la sûreté du groupe franco-suisse Lafarge/Holcim. Plusieurs documents et témoignages obtenus par Mediapart démontrent aujourd’hui son implication dans le dossier syrien et sa parfaite connaissance des tractations qui ont eu cours, en 2013 et 2014, entre la multinationale et l’État islamique (EI), auteur d’une vague d’attentats sans précédent en France en 2015.

Exemple de laissez-passer émis en 2014 par l’État islamique au profit des employés de Lafarge. © DR Exemple de laissez-passer émis en 2014 par l’État islamique au profit des employés de Lafarge. © DR Cette collaboration avait abouti à divers appuis financiers de Lafarge en faveur du groupe terroriste : achat de pétrole, dont la production était contrôlée par l’EI, fourniture de camions de ciment et paiement d’une taxe pour assurer le passage et la sécurité des employés de l’entreprise en Syrie (voir ci-contre).

Mis au jour par le quotidien Le Monde et la lettre spécialisée Intelligence Online, les faits ont provoqué le dépôt d’une plainte pénale, le 15 novembre 2016, par l’ONG française Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR), basé à Berlin, pour « financement d’entreprise terroriste », « complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », « mise en danger délibérée d’autrui », « exploitation abusive du travail d’autrui », « négligence » et « recel ».

Un juge d’instruction parisien est en train d’être désigné et une enquête devrait être bientôt formellement lancée, selon des sources judiciaires. Elle s’ajoutera à celle déjà ouverte depuis octobre 2016 à l’initiative du ministère de l’économie et des finances.

Ancien des commandos de marine, qu’il a quittés avec le grade de capitaine de frégate (équivalent de lieutenant-colonel), Jean-Claude Veillard est depuis bientôt dix ans l’un des piliers du groupe Lafarge, leader mondial dans le domaine des matériaux de construction – ciment, béton, granulats – avec 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires. C’est aussi un militant d’extrême droite engagé : à l’occasion des élections municipales de mars 2014 à Paris, il fut cinquième sur la liste du candidat du Rassemblement Bleu Marine, Wallerand de Saint-Just, qui est actuellement le trésorier de la campagne présidentielle de Marine Le Pen. C’est exactement à la même période que Lafarge négociait avec l’État islamique.

Le groupe avait racheté en 2007 une cimenterie syrienne qui, après de multiples travaux, a été inaugurée en 2010, soit deux ans après l’arrivée de Veillard à la tête de la sécurité de la multinationale. L’usine syrienne était alors considérée comme l’une des plus modernes et prometteuses du Proche-Orient, avec une capacité de production annuelle de trois millions de tonnes de ciment. Située à Jalabiya, au nord-est de la Syrie, à 90 kilomètres de Raqqa, la “capitale” de l’État islamique dans ce pays, la cimenterie était la propriété d’une filiale à 98 % de Lafarge, baptisée Lafarge Cement Syria (LCS).

Malgré sa réputation de personnage très secret, qui a gardé de son passé dans les forces spéciales la culture du cloisonnement, Jean-Claude Veillard a laissé derrière lui des traces qui prouvent son implication dans l’embarrassant dossier syrien de Lafarge.

Du fait de l’emprise territoriale grandissante de l’EI en Syrie, en 2013 et 2014, Lafarge a fait le choix, contrairement à d’autres, d’entrer en négociation financière avec l’organisation terroriste pour pouvoir continuer ses affaires sur place et, d’après ses dirigeants, assurer la sécurité de son personnel.

D’après les témoignages recueillis, Jean-Claude Veillard était informé de chaque phase de la négociation avec les djihadistes. Il recevait copie des mails adressés à la direction et a dû donner son avis sur les décisions prises. Plusieurs mails, dont Mediapart a pu avoir connaissance, en attestent. C’est le cas, par exemple, d’un échange de mails d’août 2014 dans lequel l’un des responsables de Lafarge en Syrie annonce qu’à la suite de ses discussions avec l’État islamique, l’entreprise devait fournir les pièces d’identité de ses employés sur place pour faciliter leur passage, lequel avait été rendu possible grâce à l’acquittement d’une taxe au profit des djihadistes.

Par Fabrice Arfi, Michel Deléan et Julien Antoine


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