Travail stressant... jusqu’au suicide

vendredi 3 avril 2015.
 

La forte hausse des suicides au niveau de la catégorie d’âge des 24/55 ans, en commutation de celle, plus jeune, des ados qui a tenu le palmarès par le passé, apporte bien de nouveaux éléments quant à l’origine du mal-être poussant à l’autodestruction. En premier lieu, les 35/54 ans occupent à eux seuls environ 50% des 4 000 à 5 000 suicides enregistrés en France. Ils marquent que les aléas de l’existence, pour en finir avant l’heure, sont le principal mobile.

En seconde place, les observateurs s’accordent sur le fait que le transfert générationnel a un autre inédit, la sous-catégorie des 24/35 ans dont le suicide revient principalement au stress dans le travail. Cette raison constitue désormais la première cause de mortalité( 1), à ce niveau. Ils ne s’avancent pas, outre mesure, à localiser les métiers ou les entités économiques les plus touchés par ce fléau. Leurs estimations, car le statistique officiel est inconnu, avancent 400 à 500 (2) cas par an, exclusivement imputés aux difficultés variées dans l’exercice d’activités professionnelles. Et, étonnamment, aussi bien le changement du groupe d’âge que l’origine du mal-être ne gonflent point le nombre global. Raison ignorée il y a quelques années, l’évidence encore péjorative mais catégorique du cadre détérioré d’exercice du travail devient plus préoccupante que le chômage qui, depuis plusieurs décennies persistant et invincible, prenait aussi la vedette en la matière.

Outre que ce groupe d’âge est plus actif dans la société, mais aussi les témoignages des collègues aux suicidés, puis les doléances des sujets eux-mêmes avant leur fin de vie, concordent sur les pénibilités variées dans les emplois. Les sociologues du travail établissent, en première explication, une mutation de l’organisation du travail. L’immuabilité du taylorisme a instauré un productivisme préoccupé des résultats, ou l’outil avant la considération de l’être. Ils se sont alarmés, de nombreuses fois et depuis longtemps, de la désertion du syndicalisme en plus de son émiettement, avec un constat d’impuissance pour le déséquilibre des rapports entre les acteurs sociaux. Cette dernière question demeure perçue strictement au niveau idéologique, ou comme due à l’absence des centrales dans les œuvres sociales comme les mutuelles, les caisses de retraite ou la sécurité sociale, comme le font d’autres expériences dans le monde.

Ils avancent aussi la thèse complémentaire de l’éveil du travailleur, non pas pour ces intérêts de classe chers au marxisme, mais face aux variations du genre délocalisation ou liquidation auxquelles l’entreprise est exposée, son seul moyen de survie. Cette dernière incertitude, d’une part, se conjugue à la forte pression du management, d’autre part. Par temps de nouvelle répartition du travail dans une mondialisation ballottée entre l’alternative qui peine sans s’imposer face et à la place de la marche dominante pour réduire les coûts de la main-d’oeuvre, la conscience professionnelle est méprisée malgré son aiguisement chez le consciencieux, seule la performance est dessein. « La main-d’œuvre française est, des pays industrialisés, une des plus dures au travail, une des plus impliquées et mobilisées dans son travail. » (2)

Les suicides, au sein de la population travailleuse, ont paru dans un premier temps anodins. Les révélations directes des suicidés et de leur environnement ont été des témoignages qui suscitèrent la recherche d’éclairages théoriques mais aussi des responsabilités civiles et pénales, car il s’agit de mort d’homme. Parmi les cas qui ont poussé à s’alarmer, il convient de citer ceux qui ont vraiment sorti l’anguille de sous la roche. Isabelle Béal, employée du groupe Sodexho, s’est donnée la mort début mars à 41 ans, et a laissé un message évoquant explicitement la pression dans son occupation professionnelle. 200 manifestants ont marché, le 4 avril à Saint-Priest près de Lyon, pour lui rendre hommage. Mais le fait majeur est celui des trois employés du technocentre de Renault à Guyancourt (Yvelines) qui, l’un après l’autre en l’espace de quatre mois, se sont donnés la mort dans des circonstances qui ont incontestablement mis en avant les conditions insupportables de leur gagne-pain.

C’est le dernier des trois travailleurs de Renault qui a mis en évidence les impérieuses et intolérables exigences du travail. En mourant chez lui, à Saint-Cyr-l’Ecole (Yvelines) à 38 ans, il a préalablement consigné son geste fatal sur une page l’instruisant des cadences et de l’atmosphère de son travail. Son épouse indiqua qu’il ramenait des dossiers pour bosser et se réveillait la nuit pour le faire. La police, avec ce dernier cas, a mis son nez sans pouvoir trouver des incriminations directes de l’employeur. Les deux précédents sont : en octobre 2006, un technicien en informatique s’est défenestré en se jetant du cinquième étage dans le hall du bâtiment principal du technocentre où sont conçus les nouveaux véhicules et travaillent 12 000 personnes. Et en janvier, un ingénieur s’est noyé dans un des plans d’eau proche du site de Guyancourt.

Le PDG de la marque au losange, il faut le noter pour ne pas tomber dans un parti pris béat, Carlos Ghosn, a vite saisi la question à bras le corps. Il s’engagea sans repousser l’installation à des dates éloignées « d’une journée de l’équipe », la désignation d’un directeur d’établissement responsable des conditions de travail et surtout de procéder à des recrutements pour alléger les plans de charge des lignes de production considérées à forte concentration de tâches.

Habituellement les entreprises se lavent les mains de tels comportements, jugés comme réflexes malheureux de la vie privée de leurs employés. Les suicides sont directement attribués, thèse à laquelle se remettent aussi les enquêteurs, à des soucis individuels quand même il était impossible d’établir l’existence d’infortunes qui poussent à terminer avec la vie. Et dans le cas où le travailleur est vraiment devant une épreuve quelconque tel un divorce, un endettement, une maladie dont la dépression est toute indiquée pour justifier son acte, aucune formalité n’autorise ou laisse penser à lier le suicide au poste de travail.

Le stress dans le travail vient de l’intensification de la (ou des) mission(s), la polyvalence assignée, le besoin croissant de qualité... Les 35 heures recommandant plus de labeur pour une plage horaire réduite, deviennent très exposées à reconsidération à ce sujet. Déjà le stress, avant de culminer par la mort, est source à long terme de pathologies graves. Il provoque 50 à 60 % des absentéismes (justifiés ou pas), jusqu’à 70 % des congés de maladie, retards et baisse de productivité. L’INRS évalue à 1,6 milliard les pertes des entreprises françaises des effets secondaires du stress, 20 milliards pour l’Europe des 15 où 27% des travailleurs se disent stressés par le boulot. La Sécurité sociale, de son côté, accuse 10 à 20 % de ses frais pour les accidents de travail dus à cette maladie psychogène.

En conclusion, le code du travail stipule en son article L.230-2 : « L’employeur a obligation d’évaluer les risques y compris psychosociaux et de préserver la santé physique mais aussi mentale des salariés. »

(1) Valérie Langevin, psychologue à l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) In « Economie matin » N° 88 du 26 mars au 1er avril.

(2) Idem et le Figaro du 26 mars, tribune d’Alain d’Irbarnes, Directeur de recherche au CNRS, administrateur de la fondation des sciences de l’homme.

Publication récente : Philippe Rodet, médecin, publie chez Editions de Fallois : « Le Stress, nouvelles voies » 2007.

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