Fillon : Une nouvelle série “tout pour les riches”

vendredi 2 décembre 2016.
 

François Fillon est un adepte de la stratégie du choc. Abrogation des 35 heures et de l’ISF, fiscalité réduite pour le capital, retraite à 65 ans, réforme de l’assurance chômage, droit du travail… Il veut mener sa révolution néolibérale en deux mois. Au risque d’un choc récessif détonant.

Depuis des mois, François Fillon a déjà théorisé ce que pourraient être ses premières semaines de gouvernement. S’appropriant les habits du thatchérisme, au moment où la Grande-Bretagne l’enterre, l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy entend incarner le nouvel « homme de fer » et mener sa révolution libérale au pas de charge. Une stratégie du choc, comme il le reconnaît lui-même. Un choc technique mais aussi un choc psychologique, précise-t-il.

L’important est d’aller le plus vite possible, expliquait-il devant l’auditoire tout acquis de la fondation Concorde, une fondation patronale libérale de tendance autoritaire, en mars. C’est une des seules leçons qu’il semble avoir tirées de son passage à Matignon comme premier ministre de Nicolas Sarkozy de 2008 à 2012. L’erreur de son gouvernement n’est pas d’avoir alourdi la dette de 600 milliards d’euros en cinq ans, d’avoir laissé le chômage s’amplifier, d’avoir conduit une fiscalité injuste et inefficace, en imposant toujours plus les classes moyennes et en exonérant les plus riches grâce au bouclier fiscal, d’avoir mené une réforme de l’État en dépit du bon sens, d’avoir sauvé le système bancaire sans exiger des contreparties. « Ce bilan c’est le sien [celui de Nicolas Sarkozy – ndlr] », écrit-il dans son livre programmatique Faire. Non : l’erreur, selon lui, est d’avoir tergiversé pour prendre les mesures qui s’imposaient. On ne l’y reprendra plus.

Ainsi, avant même que l’élection présidentielle – une formalité, à l’entendre, puisque le vainqueur de la primaire à droite est, selon lui, assuré de l’emporter –, il prévoit de nommer déjà les dix, peut-être quinze ministres « compétents » qui formeront le nouveau gouvernement, de façon à ce que ceux-ci arrivent déjà avec leurs textes de réforme en poche dès le lendemain de l’élection.

Dès le 1er juillet, raconte-t-il, les ministres de l’économie et du travail doivent mener une Blitzkrieg, en utilisant tous les moyens à leur disposition : ordonnances, 49-3, vote bloqué. Pendant deux mois sans discontinuer, le Parlement doit adopter une série de textes censés incarner le changement (voir l’extrait de son intervention devant la fondation Concorde ci-dessous. L’intégralité de la vidéo est disponible ici).

Au programme : abrogation des 35 heures et suppression de toute durée légale du travail, en dehors des 48 heures hebdomadaires fixées en Europe, ce qui marquerait un retour à la durée du travail adoptée en 1919. Abrogation de l’impôt sur la fortune, car il n’y a rien de plus urgent. Réforme de la fiscalité sur le capital avec l’adoption d’une taxation forfaitaire de 25 %. Nouveau code du travail allégé, renvoyant toutes les règles au niveau de l’entreprise. Réforme de l’assurance chômage avec dégressivité des allocations dans le temps. Report de l’âge de la retraite à 65 ans. Lancement du programme d’économie sur les dépenses publiques.

En deux mois, François Fillon envisage ainsi de transformer tout le cadre économique, social et public du pays. Cyniquement, il a prévu, « pour prolonger la tension », de lancer quelques référendums en septembre. Des référendums qui ont pour seul objectif de rendre « très difficile la contestation sociale » face à ces réformes. Ceux-ci porteraient notamment sur le principe d’égalité entre les différents régimes sociaux – sous-entendu, mettre fin aux régimes spéciaux –, sur la fusion des départements et des régions, enfin sur la diminution du nombre de parlementaires. Il faut savoir être à l’écoute de son électorat.

De tous les candidats à la primaire de droite, François Fillon est l’un de ceux qui professent le néolibéralisme le plus dur, recyclant des projets, des idées, des mesures qui traînent parfois depuis plus de trente ans dans les milieux patronaux et une partie de la droite.

Officiellement, il s’agit de s’inscrire dans une stratégie de l’offre, afin de relancer l’économie française. Tout doit être fait pour libérer le capital de toute entrave, pour décharger les entreprises de toute contrainte. Car François Fillon est toujours un fervent partisan de la théorie du ruissellement, si chère aux néolibéraux. En dépit de ses effets pervers aujourd’hui parfaitement documentés, marqués par une extrême concentration des richesses entre quelques mains et un accroissement des inégalités sans précédent, l’ancien premier ministre pense que la libéralisation complète du capital ne peut que se traduire par un enrichissement général et le plein emploi.

À tous les allégements accordés aux entreprises prévus dans le cadre de sa Blitzkrieg, François Fillon compte en ajouter beaucoup d’autres. Non seulement il veut revoir l’impôt sur les sociétés, qui serait réduit à 25 %, mais aussi faire disparaître toute une série de taxes payées par les entreprises sur les salaires comme la taxe sur les transports, sur la formation, etc. 40 à 50 milliards d’euros d’allégements supplémentaires devraient ainsi être dégagés, qui viennent s’ajouter à tout le reste.

Une nouvelle série “tout pour les riches”

Car le néolibéralisme s’arrête aux portes des entreprises. Les sociétés françaises sont appelées à encore figurer parmi les plus aidées au monde par l’État, dans le programme de François Fillon. Toutes les aides existantes devraient être maintenues. Le Cice, qui a permis de créer au mieux entre 50 000 et 100 000 emplois pour un coût de 11,3 milliards d’euros (soit plus de 100 000 euros par emploi), selon le comité de suivi gouvernemental, serait conservé mais simplifié. Le crédit d’impôt recherche, une des niches fiscales les plus onéreuses des finances publiques, serait encore renforcé. Même les quelque 40 milliards d’euros qui sont versés aux entreprises chaque année par l’État au titre de la compensation des 35 heures ne seraient pas remis en cause !

Ces nouveaux cadeaux faits aux entreprises devraient être payés par l’ensemble des ménages, y compris les plus pauvres, selon le programme de François Fillon. Pour compenser les 40 milliards d’allégements supplémentaires, celui-ci a prévu d’augmenter la TVA sur les deux taux les plus élevés (10 % et 20 %). Dans son livre, il parlait d’une hausse de 3,5 %. Il semble avoir revu sa position à la baisse et ne parle plus que 2,5 %. Un point de TVA représente une recette estimée de 6,5 milliards d’euros. « C’est du Robin des bois à l’envers : prendre de l’argent aux pauvres pour le donner aux riches ! » est allé jusqu’à s’indigner le très libéral Alain Madelin.

De fait, c’est une nouvelle saison “tout pour les riches” qui s’annonce. Alors que tous les pays, y compris la Commission européenne, sont en train de faire marche arrière sur les politiques d’austérité après avoir constaté les dégâts politiques, économiques et sociaux qu’elles ont générés, François Fillon, sans le dire, semble en effet se diriger vers une politique de dévaluation interne, menée déjà ailleurs en Europe.

Au-delà de la suppression de la durée du travail, de la hausse de la TVA, il prône l’abrogation de mécanismes de revalorisation automatique du Smic et la fin des hausses pour les autres salaires. Le paiement des heures supplémentaires disparaîtrait, puisqu’il n’y aurait plus de durée légale du travail. La progression automatique des carrières dans la fonction publique devrait aussi être supprimée, selon son programme.

Ce n’est qu’un des volets des économies programmées dans les dépenses publiques. François Fillon a fait de la suppression de 500 000 emplois dans la fonction publique une des mesures phares de sa campagne. Dans un premier temps, il avait même parlé de 600 000 fonctionnaires en moins. Même ses concurrents de droite ont jugé ces chiffres irréalistes. Cela suppose de ne pas remplacer des milliers d’infirmières, de professeurs, de fonctionnaires territoriaux, de magistrats, de greffières, de gardiens de prison, de policiers partant en retraite. Même si le temps de travail est porté à 39 heures pour toute la fonction publique, cela ne suffira pas à combler les non-remplacements. Au vu des graves dysfonctionnements créés par la RGPP, menée déjà par le gouvernement Fillon, c’est le risque de voir s’écrouler des pans entiers de l’appareil administratif d’État et de la santé.

Au nom toujours de la rigueur, et de la « lutte contre l’assistanat », l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy préconise l’instauration d’une allocation sociale unique, premier pas vers le revenu unique universel défendu par l’économiste Milton Friedman. Cette allocation unique fusionnerait tous les dispositifs d’aide existants (RSA, prime pour l’emploi, allocation de solidarité, allocation pour parent isolé, allocation pour adulte handicapé, minimum vieillesse, minium invalidité, allocation logement) et serait versée sur une base individuelle. François Fillon met en avant les économies de gestion grâce à une simplification des procédures. Il y voit aussi une sérieuse source d’économie. En gros, tout pourrait être ramené au niveau du RSA : 535,17 euros par mois. Car il ne saurait être question que « les personnes aidées touchent plus que ceux qui travaillent ».

Bien qu’il se drape dans le sérieux et la rigueur, François Fillon reconnaît que toutes ces mesures d’austérité risquent de ne pas suffire pour compenser les différents allégements, dégrèvements et ristournes consentis aux entreprises et au capital. Le premier ministre qui déclarait en 2007 lors de son accession à Matignon que « la France était en faillite », qui a creusé de 600 milliards d’euros la dette pendant son mandat, s’apprête à encore alourdir l’endettement s’il accède à l’Élysée. « Il y aura une augmentation de la dette liée aux mesures fiscales sur trois ans », reconnaît-il. « Puis la baisse s’enclenchera », annonce-t-il. Enfin, si tout se passe comme prévu.

Car le mélange de hausse d’impôts, de réduction des salaires et des allocations, de baisse des dépenses publiques, de réduction des services publics, risque d’aboutir aux mêmes effets économiques qu’ailleurs en Europe. Le choc psychologique a toutes les chances de se transformer en un choc récessif et de chômage, surtout si la Banque centrale européenne abandonne sa politique monétaire très accommodante, seul soutien à l’économie européenne. Dans un pays miné déjà par la crise et le chômage de masse, le cocktail pourrait être détonant.

Martine Orange


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