L’Otan fait-elle à nouveau de la Russie son adversaire principal ?

lundi 18 juillet 2016.
 

- Avancer vers une solution politique durable (P. Quilès)
- L’Otan a besoin de faire valoir une menace (par P. Boniface)
- Une légitimité de plus en plus discutée (par M. Rogalski)
- Une nouvelle guerre froide :pour quoi faire  ? (par P. Lellouche)

Avancer vers une solution politique durable

par Paul Quilès, ancien ministre de la Défense, président d’Initiatives pour le désarmement nucléaire

Née pour combattre une menace soviétique qui avait disparu, l’Otan s’est attribué en 2010 deux missions principales  : la gestion des crises partout dans le monde et la constitution d’un réseau de partenariats avec de multiples pays, parfois lointains. Du point de vue militaire, la gestion des crises était au centre des préoccupations. L’Otan s’est ainsi engagée dans une mission de « stabilisation » sur le théâtre afghan. Cette mission de combat, qui a mobilisé jusqu’à une centaine de milliers d’hommes, est aujourd’hui achevée, l’Otan n’assurant plus qu’une mission d’entraînement et de soutien des forces afghanes.

Le bilan de cet engagement est plus que médiocre  : en l’absence de tout dialogue national sérieux, l’Afghanistan n’a pas retrouvé la paix  ; ses perspectives de développement sont quasi nulles  ; sa dépendance à l’égard de l’économie de la drogue est considérable. Par ailleurs, ajoutant au malaise de l’Otan, Obama avait annoncé dès 2011 un « pivot » des priorités de la défense américaine vers l’Asie. C’est alors qu’est survenue au printemps 2014 la crise ukrainienne. Le soulagement était perceptible dans les états-majors de l’Alliance, qui pouvaient se présenter à nouveau comme l’ultime protection, y compris nucléaire, de l’Europe contre la Russie. Les États-Unis annonçaient un certain renforcement de leur présence militaire européenne.

Parallèlement, l’Otan développait son rôle de soutien aux opérations antiterroristes de ses membres, renforçant par là même la militarisation d’une lutte qui devrait au contraire faire d’abord appel aux ressources de la diplomatie, du renseignement et de la police. Elle poursuivait sa politique d’élargissement, avec l’ambition d’acquérir une hégémonie stratégique sur le continent européen.

Il est à craindre que, lors du prochain sommet de l’Otan à Varsovie, toutes ces tendances soient confirmées et amplifiées  : accroissement des capacités de la force de réaction rapide, consolidation des huit nouveaux états-majors à l’Est, déploiement de trois unités multinationales aux frontières polonaises, installation d’un site de défense antimissiles en Pologne, adhésion du Monténégro pour montrer que « la porte reste ouverte » à d’autres…

Ce n’est certainement pas de cette façon que l’Otan facilitera le dialogue avec la Russie, qu’elle déclare pourtant souhaiter. Il ne suffit pas d’annoncer, comme le fait le secrétaire général de l’Otan, une reprise des travaux du conseil Otan-Russie. Encore faudrait-il donner une substance à ces travaux, par exemple dans le domaine de la défense antimissiles et du désarmement nucléaire.

Au-delà des décisions de l’Otan, le dialogue entre Ukrainiens, Russes et Occidentaux, dans le cadre de l’OSCE, est par ailleurs essentiel  : c’est la seule voie qui permettra d’avancer vers une solution politique durable.

L’Otan a besoin de faire valoir une menace

par Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques

Le sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) se tiendra à Varsovie, les 8 et 9 juillet, sur fond de débats sur la résurgence de la menace russe. Il sera décidé de mettre en place quatre bataillons de combat de 1 000 soldats, aux frontières de la Russie. Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, se félicite que la politique russe, jugée agressive, ait poussé les États européens membres de l’Otan à cesser de réduire leurs budgets militaires, conformément à une demande ancienne de Washington. Les alliés européens vont au global augmenter cette année leurs dépenses militaires, même si Washington regrette de ne pas arriver aux 2 % du PIB, comme le demandent les directives de l’Otan.

On peut à la fois s’interroger sur la rationalité de telles décisions et pointer les contradictions de l’Otan. L’annexion de la Crimée par la Russie est certes illégale sur le plan international, mais la guerre du Kosovo de 1999 menée par l’Otan l’était également. S’il y a en effet une crispation de Moscou, ne faut-il pas réfléchir à ses causes et non se contenter de se focaliser sur ses effets  ? L’extension de l’Otan aux frontières de la Russie, contrairement aux engagements pris après la réunification allemande, n’y a-t-elle pas contribué  ? L’Otan est le seul exemple historique d’une alliance militaire qui a survécu à la disparition de la menace qui avait suscité sa création. La mise en place d’un système de défense antimissiles, inutile et coûteux, perçu par les Russes comme remettant en cause l’équilibre nucléaire avec les États-Unis et longtemps justifié par une menace balistique et nucléaire iranienne, peut-elle se poursuivre après la signature d’un accord nucléaire avec l’Iran  ? Il y a en réalité une dérive fonctionnelle de l’Otan  : pour justifier son existence, elle a besoin de faire valoir une menace. Croit-on sérieusement que la Russie pourrait se lancer dans une guerre contre la Pologne ou tenter de reconquérir les États baltes  ? Est-il vraiment nécessaire d’élargir l’Otan à un nouvel État membre, le Monténégro, au moment où on affirme qu’on a besoin du soutien de la Russie contre Daech  ? Déployer 4 000 hommes supplémentaires, présentés comme indispensables pour la défense des pays de l’Otan, ne voudrait-il pas dire que la dissuasion nucléaire ne fonctionne plus  ?

Après la fin du clivage Est-Ouest, l’Otan s’est retrouvée dans la situation d’un industriel dont le produit ne trouvait plus preneur sur le marché. Elle pouvait fermer son usine, diversifier sa production ou tenter de regagner des parts de marché sur ses concurrents. L’Otan n’a pas choisi de disparaître parallèlement à la disparition du pacte de Varsovie  ; elle a plutôt cherché à prendre des parts de marché à ses concurrents  : l’Union de l’Europe occidentale (seul organe purement européen de défense) n’existe plus et l’OSCE n’a pas eu le développement que l’on pouvait en attendre. L’Otan a multiplié ses missions et joue les pompiers pyromanes.

Une légitimité de plus en plus discutée

par Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches internationales et stratégiques

Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis, et à leurs côtés l’Otan, se sont posés de façon renouvelée la question du rapport à la Russie. Au sein de l’administration américaine, les débats ont été feutrés et rendus peu publics. Tout fut fait, y compris à l’aide de conseillers électoraux envoyés sur place pour favoriser l’accession au pouvoir de Boris Eltsine et l’y maintenir le plus longtemps possible. La Russie était alors pour la communauté internationale un pays à démocratiser, à préparer au passage à l’économie de marché, à intégrer internationalement et à affaiblir militairement. Traduisons  : à livrer aux oligarques mafieux et à piller ce qui pouvait l’être, à commencer par ses cerveaux qualifiés, et à mettre à genoux. Le FMI assura l’accompagnement par l’annulation ou le report des dettes. L’Union européenne s’inscrivit dans cette démarche. Misère et humiliation entraînèrent un retour de manivelle et l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine dès 1999, dont l’ambition était de reconstruire un pays dévasté et lui redonner sa place sur la scène internationale.

Ressources énergétiques en hausse et savoir-faire en matière d’économie de l’armement constituèrent les deux principaux leviers du retour en puissance. Cette place reconquise a évidemment contrarié l’Otan et les États-Unis. De même que l’ambition russe de s’affirmer en tant que puissance européenne et de se rapprocher dans le même temps du continent asiatique au travers de sa participation active à l’Organisation de coopération de Shanghai. Les points de friction se multiplièrent au-delà des rapprochements, voire des coopérations sur des questions communes comme l’attitude face à l’islam radicalisé et ses prolongements moyen-orientaux en Afghanistan ou en Syrie.

Après avoir adhéré à l’Otan, les pays de l’ex-Europe de l’Est (sauf l’Ukraine et la Serbie) étaient prêts à rejoindre l’Union européenne et s’affirmèrent très vite comme les pays les plus hostiles à la Russie. Les révolutions « orange » y furent encouragées. L’Iran, suspecté de vouloir accéder à l’arme nucléaire, servira de prétexte à l’installation en Europe d’un dispositif avancé de système antimissiles composé d’une station radar en République tchèque et du déploiement de batteries fixes de missiles intercepteurs en Pologne. Ce projet empoisonne les relations entre les États-Unis et la Russie, qu’il est difficile de convaincre que le nouveau système n’est pas dirigé contre elle quand on voit les lieux d’implantation des bases de missiles et des radars. Accompagnant l’élargissement à l’ouest de l’Otan, il contribue à freiner toute avancée vers un réel désarmement nucléaire.

Sur le rapport à la Russie, l’Europe est divisée, certains pays lui demandant de l’en protéger, d’autres considérant qu’elle appartient au monde occidental et doit donc être traitée comme une alliée, notamment dans d’autres conflits jugés comme essentiels. Bref, ni adversaire ni ennemie, mais partenaire exigeante et indispensable. On ne peut être qu’atterré de voir l’Otan s’enfermer dans une logique de guerre et d’affrontement alors même que sa légitimité est de plus en plus discutée.

Une nouvelle guerre froide :pour quoi faire  ?

par Pierre Lellouche, ancien ministre et député " Les républicains"

L’histoire prend parfois des tours surréalistes. Vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, et alors que les révolutions géopolitiques en cours au Sud (explosion démographique, migrations de masse, terrorisme islamique mondialisé, prolifération des armes de destruction massive) devraient conduire à l’unification de l’ensemble du continent européen face à des menaces communes, de l’Atlantique à l’Oural, c’est tout l’inverse qui est en train de se produire. Et les historiens marqueront certainement le sommet de l’Otan du début juillet 2016 comme l’une des dates clés qui signalera le retour de l’affrontement Est-Ouest. Jamais, en effet, depuis les tensions des années 1960 ou de la guerre d’Afghanistan, les relations entre la Russie et l’Occident ne se sont trouvées aussi dégradées qu’à présent.

Après l’annexion de la Crimée et la situation de conflit « gelé » dans l’Est ukrainien, la Russie fait l’objet de sanctions, de la part tant des États-Unis que de l’Union européenne, qui, s’ajoutant à la chute des cours du pétrole, ont entraîné une contraction du PNB russe de l’ordre de 3,7 % en 2015.

Chaque camp accuse l’autre de provocations militaires. Le ministre des Affaires étrangères polonais, M. Witold Waszczykowski, est convaincu que « la Russie et non Daech constitue la principale menace contre les démocraties occidentales »  ! Le secrétaire général de l’Otan, M. Jens Stoltenberg, en visite en Pologne fin mai, s’est cru obligé de lancer un signal clair à « tout adversaire potentiel qu’une attaque contre la Pologne serait considérée comme une attaque contre l’alliance tout entière ». Comme si Moscou entendait envahir demain la Pologne et les États baltes…

La même Pologne, comme la Roumanie viennent d’obtenir le déploiement de batteries antimissiles, dont l’Otan et le président François Hollande assurent qu’elles sont destinées à « répondre à des menaces potentielles n’émanant pas de la zone euro-atlantique ».

Mais, après l’accord nucléaire passé avec l’Iran il y a tout juste un an, la raison d’être de batteries antimissiles en Europe centrale est au mieux discutable, sauf pour éroder la force de dissuasion russe, ce dont les dirigeants du Kremlin sont convaincus.

Dans la même veine, le Pentagone prépare le lancement d’un programme de missiles de croisière nucléaires intercontinental, et l’on s’achemine à ce rythme vers une reprise apparemment inexorable de la course aux armements nucléaires après 2021 – date d’expiration de l’unique accord de désarmement encore en vigueur (traité Start).

Tous les éléments se mettent donc en place pour une nouvelle phase d’affrontement Est-Ouest aussi dangereuse que stérile, et tout simplement stupide au regard des intérêts stratégiques européens. L’Europe a besoin de tout sauf d’être entraînée, malgré elle, dans une nouvelle guerre froide.

Son problème clé, comme celui de la Russie d’ailleurs, est de stabiliser le Moyen-Orient aujourd’hui totalement désintégré, dont les frontières tracées il y a cent ans sont balayées. 4 000 citoyens européens combattent aujourd’hui en Syrie et en Irak. 4 000 autres, de nationalité russe, font de même. Ce sont autant de dangers mortels pour notre continent. Des millions de réfugiés sont à nos portes.

Je le dis depuis quatre ans  : aucune solution n’est possible en Syrie ou en Irak sans dialogue avec la Russie. Au lieu de deux coalitions, l’une américaine et l’autre russe, dans cette région du monde, il faut au contraire unifier nos efforts.

Or, c’est l’inverse qui se produit avec les risques, à tout moment, d’erreurs de calcul, comme ce fut le cas il y a quelques semaines, lorsqu’un chasseur bombardier russe fut abattu par la chasse turque, provoquant une escalade du conflit arméno-azéri dans le Caucase.

Il est temps, plutôt que de lancer une nouvelle course aux armements, de rechercher les voies d’une désescalade. C’est le sens de la résolution introduite par le groupe « Les Républicains » de l’Assemblée nationale le 28 avril dernier, visant à lever les sanctions contre la Russie pour débloquer le processus de Minsk  : obtenir le retrait des forces russes, en même temps que le vote d’une loi par la Rada ukrainienne prévoyant l’autonomie interne pour les régions du Donbass et de Lougansk.

Il est temps de combattre en commun Daech à Raqqa, et demain à Mossoul, et de lutter ensemble contre le terrorisme.

Je ne vois pas en quoi une nouvelle escalade Est-Ouest servira en quoi que ce soit la sécurité des Européens, sauf à ressusciter l’Otan, en panne de raison d’être et de missions, et tenter de ramener dans une Europe à l’arrêt et divisée sur à peu près tous les sujets une Amérique qui ne rêve quant à elle que d’unilatéralisme et de repli sur son pré carré. De grâce, ne nous trompons pas d’époque.

Dossier de L’Humanité


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