La notion d’État, des penseurs classiques aux réalités actuelles de l’Union européenne

jeudi 29 septembre 2016.
 

Au regard de l’histoire de la notion de souveraineté, Bertrand Vayssière s’interroge sur la pertinence de son application à l’échelle de l’Union européenne. Dans quelle mesure les institutions de l’Union peuvent-elles s’inscrire dans le schéma traditionnel de nos conceptions de l’État, de la nation et des relations entre le citoyen et ses gouvernants ? Peut-il exister une légitimité autre que nationale et le paradigme postnational permet-il de repenser l’intégration européenne ? Pour l’auteur, un renouvellement des catégories classiques de la pensée politique semble en définitive nécessaire pour donner sens au « plus célèbre objet politique non identifié contemporain ».

L’histoire de la pensée politique accorde traditionnellement une importance centrale aux institutions politiques et juridiques, leur supposant le pouvoir de traduire le consensus social ou de débusquer l’anomie qui caractérisent tel ou tel système. Cette « approche institutionnaliste" (1) est d’autant plus manifeste lorsqu’il s’agit de découvrir les secrets d’un « objet politique non identifié », pour reprendre l’expression utilisée par Jacques Delors à propos de l’Union européenne telle qu’elle apparaît au seuil des années 1990. Avant la fin de la guerre froide, l’Europe s’inscrivait dans une stratégie plus réticulaire que territoriale, avec un espace délimité, constitué d’un réseau d’États souverains, protégés par un droit de veto que de Gaulle avait inscrit dans les mœurs, et qui justifiait l’aphorisme de François Furet : « Le paradoxe de l’Europe est que sa plus spectaculaire invention, l’État nation, est aussi ce qui l’empêche d’exister comme telle » (2). Or, la chute du mur de Berlin a brutalement posé la question de la finitude de l’espace, introduit les questions de l’approfondissement et de l’élargissement, tout en remettant en jeu « l’impératif territorial » (3) à travers lequel est par exemple soulevé le problème de la gouvernance européenne, ainsi que toute une série de faits qui attaquent de front le principe des souverainetés nationales. Sans pour autant parler de fédéralisme (le mot reste toujours aussi tabou dans notre vocabulaire politique) ou de « supranationalité  » (4) , la question de la souveraineté se pose avec une acuité d’autant plus grande, invitant le chercheur à revisiter certains hauts lieux de la pratique politique, tels que la citoyenneté, l’identité, les frontières ou la notion d’État, à la lumière des bouleversements subis par les Européens ces vingt dernières années (5). Il serait futile, voire dangereux, de se bercer du soi-disant apolitisme de la construction européenne pour écarter d’un revers de main une réflexion renouvelée sur le problème de la souveraineté dans nos sociétés contemporaines. Au contraire, cette construction, qui fait face aux grands défis de ce début de siècle (élargissements, mondialisation de l’économie, relations avec les États-Unis), a la prétention d’être le socle politique à partir duquel nous appréhendons les mutations et la nature géopolitique des grands problèmes du moment.

C’est cette question de la souveraineté que nous nous proposons d’analyser ici, en rappelant ses fondements classiques et en réfléchissant aux développements les plus contemporains. Quelles mutations a connu la notion d’État, en théorie et en pratique, et comment sa cohabitation avec l’Europe s’est-elle organisée ? Cette controverse nous conduit à nous interroger sur l’héritage des classiques en ce qui concerne la notion de souveraineté elle-même et à envisager les éventuelles bases d’un pendant à l’échelle européenne dans le paysage politique d’aujourd’hui. Après une évocation des principaux penseurs européens de la forme étatique et des relations internationales, nous aborderons une partie plus historique portant sur les cheminements concrets de la construction européenne : d’où le questionnement sur les mutations de la souveraineté que celle-ci entraîne, dans la pensée et dans les actes.

Première partie : Les penseurs classiques

L’État, acteur de l’unité

Les premiers penseurs de l’État moderne s’expriment à une époque où celui-ci se dégage de la tutelle des derniers champions de la supranationalité, l’empire et la papauté. Il s’agit alors de réfléchir en termes d’espace par la définition de la territorialité, de renouveler la réflexion autour du pouvoir, à l’encontre de la conception patrimoniale dominante jusqu’ici, et de donner un sens aux aspirations à l’unicité qui se font alors jour avec la mise en place concomitante de monopoles tels que l’armée, la police ou le fisc. La réflexion sur l’État répond à ces différentes aspirations, qui consiste à extraire la souveraineté de l’univers religieux ou spirituel avec lequel elle se confondait jusque-là, et à assurer cette suprématie du politique sur les autres dimensions de l’existence humaine, cette « ère de la forme-État européenne » (6) qui s’ouvre dès le 16e siècle. En ce sens, la réflexion sur la souveraineté correspond à un processus de rationalisation, dont l’impersonnalité des rapports de pouvoir est l’une des principales composantes (7) , et, concernant la notion de pouvoir, assure son passage de la simple « idée » à sa « nécessité », l’arrachant de « l’ordre du divin » pour la légitimer dans le « monde historique » (8). C’est dans ce contexte qu’apparaît la monarchie absolue, qui entraîne une nouvelle conception de l’autorité. Machiavel, l’un des premiers à théoriser ce changement, s’intéresse ainsi aux conditions permettant la conquête et la conservation du pouvoir, et dessine le cadre d’une réflexion autour de ce qu’on appelle « l’exécutif  » (9). Les jugements moraux et les principes théologiques sont écartés au bénéfice du critère d’efficacité, « laïcisation » qui nécessite une science de la politique jetant les premières bases de la raison d’État et d’une étude argumentée des relations internationales. Bodin complète cette approche en développant l’idée d’une souveraineté au-dessus des partis en lutte (guerre des religions oblige), exercée par un monarque absolu, et présente la vision d’un État laïque, souveraineté « temporelle » qui garantit la sécurité pour tous (10). La souveraineté, selon lui, c’est d’abord « la puissance illimitée de faire les lois, et de les faire appliquer » : la législation a donc toute son importance, ce qui représente un pas de plus par rapport à Machiavel. Ce gouvernement par les lois repose sur la notion de territorialité du pouvoir, impliquant un empire absolu à l’intérieur des frontières mais sans aucune autorité à l’extérieur. Jean Bodin est, en cela, le théoricien à la fois du caractère absolu et des limites de la souveraineté : il contribue ainsi à cette « territorialisation de l’espace » où les frontières mettent en valeur l’autorité nationale unique et servent à refouler de l’espace public tout ce qui pourrait dénaturer l’idée d’unité entre le peuple et son souverain, c’est-à-dire l’étranger. Cette politisation de l’espace sert donc à légitimer son appropriation physique par les citoyens, que complète la reconnaissance par ces mêmes citoyens de l’autorité symbolique d’un État sur cet espace. C’est cette double légitimation que Jean Bodin a tenté de traduire en termes juridiques. Hobbes, qui, d’une certaine manière, continue sa réflexion, introduit plus avant le terme de souveraineté dans la pensée philosophique. Pour lui, succédant à l’état de nature, stade présocial où règne la « guerre de tous contre tous », la souveraineté est le produit d’un contrat social (12). Ce passage signifie l’entrée dans le monde de la raison ainsi que de l’ordre social et politique : selon Hobbes, il y a une disposition naturelle des individus à passer un pacte social, car il y a un intérêt individuel, utilitaire, à vivre en paix et en sécurité. Il y a donc là un pas de plus par rapport aux théories précédentes : le consensus volontaire des individus fonde l’origine profane de la légitimité politique. Celui-ci se traduit par un « pacte de gouvernement » qui implique un engagement à l’obéissance : la sujétion est donc, ici, la base de la souveraineté, « la multitude devenant une personne unique » par sa reconnaissance du règne de la loi. Hobbes conclut que l’anarchie est la règle à l’échelle internationale (le 17e siècle dans lequel il vit est bien le siècle des États à la quête d’eux-mêmes), parce qu’il ne peut pas y avoir d’autorité au-dessus des souverainetés nationales. La politique a définitivement rejoint le monde séculier, régissant même les Églises suivant des critères échappant aux lois divines : de ce principe dérive celui du cujus regio ejus religio, mis en avant par la paix et la confession d’Augsbourg (25 septembre 1555) et complété par la paix de Westphalie (24 octobre 1648), qui est une norme de non-ingérence et de séparation entre les relations internationales et l’ordre interne de chaque État souverain.

Le constitutionnalisme

Cette approche, qui marque la fin du 18e siècle et surtout le suivant, est pour beaucoup dans l’affirmation de l’identité politique occidentale et européenne dans le monde. Ce second courant avance que le monarque n’est tel que par le consentement des citoyens (il ne peut y avoir de droit divin ni de tradition), pensée elle-même opposée à l’absolutisme, qui présuppose l’existence d’une communauté disposant d’un pouvoir institutionnalisé. Les libertés des citoyens doivent ainsi faire barrière à l’autorité absolue, représentée par un État qu’on ne voit que comme un mal nécessaire. Les premières manifestations de cette sensibilité politique s’affirment avec la Glorieuse Révolution en Grande-Bretagne (certes, il n’y aura pas de Constitution écrite dans ce cas), suivie un siècle plus tard par les expériences américaine et française. John Locke, initiateur de cette pensée, développe une vision optimiste de l’individu et considère qu’il faut avant tout protéger ses droits naturels, qui incluent la propriété privée. Il se fait ainsi le porte-parole d’une bourgeoisie naissante, l’introduction de la monnaie et, au-delà, la multiplication des échanges, lui paraissant parmi les fondements les plus influents de la souveraineté (13).

La souveraineté n’est plus ici fondée sur le principe de sujétion mais sur celui d’utilité, seuls les propriétaires étant en mesure d’élaborer la loi. Leur but est d’assurer la sécurité de leurs biens, l’État ayant pour devoir d’empêcher la guerre civile qui pourrait dériver de l’inégalité des possessions. Locke ouvre donc la voie à un ordre propriétaire, dont les intérêts doivent être garantis par les propriétaires eux-mêmes. C’est ainsi que, dans son système, le Parlement, non pas nommé par le roi, mais élu par le biais du suffrage censitaire, domine. Ainsi, le pouvoir législatif est étudié pour lui-même, alors qu’il était délaissé jusque-là, et la réflexion lockienne prétend clore la confusion des pouvoirs dans l’État. Locke accepte l’idée d’un droit de résistance et théorise les libertés de conscience, de culte et de libre pensée. Il s’inscrit donc dans une approche politique favorable à la monarchie constitutionnelle (Bill of Rights de 1689) et annonce les possibilités d’une normalisation qui dépasse le cadre national.

Montesquieu, lui, étudie les causes profondes de la diversité des régimes politiques et, privilégiant ainsi la méthode comparative, il peut être considéré comme le premier sociologue (14). Selon lui, les facteurs qui expliquent ces différences sont variés (mœurs, climat, religion, traditions, lois et constitutions), mais le meilleur régime politique reste l’anglais, car il assure la « distribution » des pouvoirs (il est vrai que Locke accordait un peu trop d’importance au seul législatif), suivant la formule : « Le pouvoir arrête le pouvoir. » Dans ce sens, Montesquieu se montre favorable à un système de partis politiques et de corps intermédiaires, et surtout met en avant l’idée de Constitution, par laquelle s’annonce et s’énonce la souveraineté. Au niveau international, il accepte l’idée d’une « société de sociétés » et d’un rapprochement des États à travers la forme républicaine et l’exercice du « doux commerce », prévoyant la perspective d’une fédération de républiques. En cela, sa théorie se rapproche de celle des penseurs américains, qui ont eux-mêmes théorisé le passage de la confédération à la fédération en 1781. La nouveauté consiste ici dans l’acceptation d’un « pouvoir partagé » que garantit une Constitution, et qui associe deux instances, l’État fédéral et les États fédérés. Ce modèle, élaboré par des hommes tels que Madison ou Hamilton, donne naissance à une formule politique inédite, opposée aux pratiques alors en cours en Europe, formulant une théorie de la souveraineté qui ne paraît pas exportable (15).

Parmi ces théories de la souveraineté, celle de Rousseau semble totalement différente (16). Pour lui, l’homme est bon par nature, alors que le progrès comporte des aspects négatifs qui risquent de donner naissance à une société injuste, marquée par la loi du plus fort. La domination d’un petit nombre représente donc un risque important, illustré à ses yeux par le cas anglais, qui met en avant la démocratie représentative et exclut la participation directe et permanente des citoyens (de ce constat dérivent les multiples attaques, qui feront florès à gauche comme à droite, contre la formation d’une « classe politique »). Le vrai contrat social est fondé sur la participation permanente des citoyens, et la volonté générale, dénaturée par les concepts de « séparation des pouvoirs » et de représentation, implique la démocratie directe. La volonté générale, toujours juste, suppose un assujettissement de l’individu au corps collectif, ainsi qu’une condamnation du pluralisme, axe radical à partir duquel certains estiment que Rousseau développe une vision totalitaire de la société (17). Quant aux rapports que l’État entretient avec l’étranger, Rousseau estime que ceux-ci sont fondés sur l’état de guerre, aggravé par l’interdépendance économique et commerciale. Il envisage certes une fédération des États, mais considère celle-ci comme hautement improbable dans la mesure où il ne croit pas à la notion de « pouvoir partagé », elle-même conditionnée par les concepts de souveraineté et de volonté générale, qu’il juge inaliénables.

Le système international, de l’espérance au repli

La réflexion sur l’État conduit donc à une remarque sur la cohabitation de celui-ci avec d’autres entités de même nature : comment faire rimer ordre interne et paix internationale ? Kant attribue un rôle central à la moralité (18) et souhaite changer une situation de fait (la coexistence d’États jaloux de leurs souverainetés) en un système juridique universel. Pour cela, il définit d’abord l’État idéal : c’est un État de droit, caractérisé par la liberté légale (qui consiste à n’obéir qu’aux lois que l’on a consenties), l’égalité civile (en rupture avec le monde des ordres, des Stände) et l’indépendance. La meilleure formule lui semble être celle d’une monarchie constitutionnelle (même si Kant parle d’une « forme républicaine »), avec séparation des pouvoirs. Kant dénonce l’utilitarisme de Hobbes et sa renonciation à l’idée de paix internationale : le droit permet la mise en place d’un pacte international. Celui-ci doit être passé entre des États forcément constitutionnels, dans une approche cosmopolite (« droit cosmopolitique ») et un système paritaire à même de garantir la fédération.

Fichte, quant à lui, philosophe de l’action, affirme le primat de la « raison pratique » qui va dans le sens de la transformation du monde et de l’affirmation de la liberté humaine : la philosophie a pour tâche d’établir les structures de la communauté politique (19). Dans un premier temps, Fichte estime que la Révolution française sera l’instrument de la démocratie et de la paix européennes (20). Après Brumaire, il se détourne de cette solution et prépare ses Discours à la nation allemande (21) dans lesquels on constate l’apparition d’un État national. Pour autant, le patriotisme fichtien n’est pas dénué de valeurs cosmopolitiques ou démocratiques, comme le démontre encore sa croyance dans l’universalité du droit  (22) ; qui plus est, la souveraineté, selon lui, pourra être abandonnée lorsqu’elle ne sera plus nécessaire (beaucoup de ses héritiers, notamment les pangermanistes, oublieront ce « détail »). Hegel, de son côté, estime que le droit international a une portée limitée et ne peut être contraignant : l’État est de toute façon du côté de la modernité, il est l’instrument du progrès et le lieu de synthèse entre liberté et histoire (23). La paix n’est donc pas une valeur morale ni un objectif universel. Le système anarchique prédominera à l’échelle des relations entre États, puisqu’il ne peut pas y avoir d’autorité juridique internationale ; la Philosophie du droit démontre que l’universel, comme l’esprit de citoyenneté, ne peuvent s’exprimer que dans des intérêts sociaux organisés et « représentés » à l’échelle d’un État.

Fichte et Hegel, critiquant Kant, annoncent l’esprit nouveau qui s’impose au 19e siècle, malgré l’existence de certains courants orientés vers la paix : le libéralisme économique, qui se signale à travers les congrès organisés en 1843 et 1848 par Richard Cobden (vivement critiqué par le père du protectionnisme, Friedrich List), et le pacifisme socialiste, qui sera très vite partagé entre les internationalistes marxistes et les chantres du socialisme d’État (Lasalle) qui présage la Deuxième Internationale. On peut bel et bien parler d’une rencontre manquée avec les États-Unis d’Europe, malgré des débats nourris autour du lien entre révolution libérale et démocratique et paix internationale, illustrés par un Hugo, un Mazzini ou un Cattaneo. Cela dit, le mouvement de 1848 constitue un phénomène transnational européen, pas un mouvement européiste. Il laisse vite place aux prémisses du « nationalisme d’existence » : ce qui l’emporte, c’est le réalisme politique, à l’échelle européenne avec l’« État de puissance » (Heinrich von Treitschke), ou mondiale avec la doctrine de l’« impérialisme libéral ». Le « concert européen » bloque de toute manière le projet kantien dans sa dimension universelle, tandis que l’idée de nation se développe dans des directions assez différentes : la version française comporte une ouverture républicaine (elle-même cependant niée par les faits), la version allemande une idéologie exclusive basée sur une langue commune, version plus ou moins reprise dans les pays d’Europe centrale et orientale. La dialectique hégélienne l’a ainsi emporté sur l’idéalisme kantien.

Deuxième partie : Le difficile débat entre État et Europe

Liens historiques entre État et nation

Dans notre culture politique, l’État ne peut se définir sans tenir compte du lien qui l’unit à l’idée de nation. Il y a là une relation dynamique, voire charnelle, qui opère la fusion entre le gouvernement et le peuple. La définition traditionnelle de la nation, entité prépolitique où l’individu, membre d’un peuple « organique », ne compte pas, se marie ainsi parfaitement avec une version modernisée que la Révolution répand, celle où l’individu signifie son appartenance à la nation par son implication dans la marche de l’État. Depuis Renan, on a vu la république se présenter comme un mode d’affranchissement de l’homme, mais le système ainsi créé bute de toute façon sur les limites nationales : le lien entre l’État et la nation reste tellement intime que seul celui-ci semble pouvoir déterminer une structure politique véritablement démocratique, tout dépassement étant assimilé à une tentative de saper les bases du système. Car, pour bien comprendre la place de l’État dans notre culture politique, il faut tenir compte de ce que la science politique ne peut définir de manière scientifique, à savoir l’attachement passionnel (sorte de transfert d’un sentiment religieux, lequel doit désormais relever du domaine privé), manifesté par un peuple pour la nation et, à travers elle, pour l’État qui la représente comme naturellement. Isaiah Berlin a très bien défini cet attachement privilégié (24) que Michelet assimilait déjà à une manifestation digne de la foi religieuse (25).

Cette nature si particulière de l’attachement à la nation est à l’origine de l’incompréhension mutuelle qui sévit entre européistes et autres depuis plus d’un siècle. On connaît le débat déjà ancien entre les libéraux et les communautaristes. Les premiers partent d’un postulat universaliste et formaliste, par lequel l’intégration fonctionnelle, fille de la raison, permettrait d’aboutir à une Europe véritable. Les seconds estiment nécessaire qu’il existe au préalable un sentiment d’appartenance à une communauté et un engagement au sein de celle-ci, lesquels ne s’expriment pour eux qu’à l’échelle des nations. La manifestation politique de cette seconde acception consiste dans l’impossible dissociation entre la communauté historique d’appartenance et la communauté politique démocratique qu’il s’agit d’établir. Cette orientation, qui n’incite aux adhésions que sanctifiées par l’enracinement collectif et l’histoire, et donc repousse par principe l’idée d’une entité politique européenne, est aujourd’hui majoritaire : l’Union européenne souffrirait avant tout d’un déficit non pas de légitimité, mais de crédibilité ou d’identification. C’est le volontarisme européiste qui est ici condamné, dans son projet technocratique de rationaliser jusques et y compris ce qui ne peut l’être.

Suivant le postulat de Benedict Anderson, la nation est « subjective  (26). Elle s’appuie sur la passion et le passé, s’identifie à ce lieu et ce lien du sens collectif que représenterait la nation, dont la forme ne saurait être librement redessinée. Ainsi, « l’allégeance aux institutions (27) » complète cette appartenance vérifiant la communion culturelle et politique (28) « Un principe qui affirme que l’unité culturelle et... à la seule échelle nationale où l’État, suivant la formule weberienne, a le monopole de la contrainte organisée. Par conséquent, cette allégeance exclusive resterait synonyme de démocratie et de partage véritable, de solidarité et d’équité sociales : les nations seraient des « communautés éthiques (29) », dans le même temps où l’universalisme déresponsabiliserait, débat évidemment relancé par la condamnation de la mondialisation, dont l’Europe ne serait qu’un apanage. En ce sens, une partie de la gauche rejoint l’idée gaulliste, réaffirmée par certains de ses héritiers, que la démocratie se confond exactement avec la souveraineté nationale (30) , et que « la liberté des Français est liée à la souveraineté de la France [31] ». L’idée même de cocitoyenneté va à l’encontre d’une longue histoire qui a vu l’« absolutisation » et la sacralisation des frontières. Cette conviction ne s’est pas atténuée avec le temps, et s’est même renforcée avec la démocratisation des différents régimes composant l’Europe, l’idée même de démocratie exprimant le fait que l’État était devenu la propriété du peuple en même temps que celui-ci était son propriétaire « absolu » au sein même de l’espace « territorialisé [32] ». Ces convictions ne peuvent qu’être heurtées par l’idée que l’Union européenne soulève et cherche à confirmer dans les faits : la fondation d’un véritable « État cosmopolitique [33] ».

Une cohabitation dictée par les circonstances

Le 20e siècle est ainsi celui de la consécration d’une pensée où l’État reste national, mais c’est aussi celui des débuts de l’intégration européenne. Bien évidemment, le cheminement est long pour sortir du système westphalien, basé sur l’équilibre des puissances, qui a connu des mises à jour (Vienne, Berlin), mais reste assez prégnant pour signifier la lente agonie de la Société des nations, au même titre que celle des premiers mouvements européistes. L’entre-deux-guerres est l’illustration de la tragique immaturité du projet politique européen, trop orienté vers une formule libérale, délaissant les potentialités d’une approche plus institutionnelle  (34). Ce n’est de toute manière qu’après la guerre que la notion de multilatéralisme s’impose, aussi bien du point de vue économique (extension de la clause de la nation la plus favorisée) que politique (la menace contre un seul pèse contre tous), permettant une réflexion plus profonde et « révolutionnaire » sur la notion d’État (35).

Cependant, même si la seconde guerre mondiale a ainsi eu un rôle considérable dans le renouvellement de la pensée politique à l’échelle européenne, notamment par sa dimension apocalyptique (36) , il nous paraît abusif de parler d’un « européisme de la Résistance », de « puissantes forces transnationales » apparemment à l’œuvre dès 1945, ainsi que de l’« européisme des intellectuels » de cette époque. Ces trois points sont le résultat d’une reconstruction de l’histoire, et mettent de côté un débat où l’État est loin d’être condamné : les fédéralistes de l’époque en feront la cruelle expérience (37) , l’État se révélant plus « obstiné » qu’« obsolète » (38) Stanley Hoffmann, « Obstinate or Obsolete ? France,... . Il est cependant exact que le traité de Rome est un mélange de logique internationale des traités entre États et de logique supranationale, ainsi que finaliste, au nom de l’« union sans cesse plus étroite ». Le pragmatisme fonctionnaliste, que Jean Monnet défend à travers la Haute Autorité de la CECA, permet une action européenne sans précédent, poursuivie par la dynamique globale que suppose la CEE, et qui présuppose le fait que la souveraineté est évolutive (39). Certes, le gaullisme s’interpose, mais l’Europe peut continuer à vivre, démontrant que le projet était irréversible, comme le prouve l’importance croissante de l’acquis communautaire.

L’idée d’intégration européenne commence à prendre forme. Le sommet de La Haye de 1969 voit l’entrée en force d’un européisme social-démocrate qui complète le sceptre politique en faveur de l’Europe. Le débat qui suit voit s’élever certains obstacles, tels quelques héritages politiques des années 1960 (« compromis de Luxembourg »), les secousses du système international (crises économiques) ou l’attitude de certains États (la Grande-Bretagne notamment, mais la France n’est pas en reste). Certains observateurs commencent cependant à évoquer à ce moment-là une « superpuissance en formation  » ou une « puissance civile (41) François Duchêne, « The European Community and the... », relancée par certains projets ambitieux (Spinelli) ou les premières inquiétudes des Américains à propos de la « forteresse Europe ». Le traité de Maastricht introduit beaucoup de nouveautés [42], tout en complexifiant davantage le système politique européen (que l’on pense à la généralisation de l’opting out), ce qui impose le recours à de nouveaux concepts tels que celui de multilevel governance. Il n’est pas certain que le processus d’union politique en sorte renforcé. Dans l’immédiat, la supranationalité juridique l’emporte sur la supranationalité institutionnelle, soulignant l’ampleur du « déficit démocratique ». La tendance la plus constante semble ainsi être celle de l’intégration discrète, par l’intermédiaire notamment de la Cour de justice de l’Union européenne et du versant juridique de la supranationalité, ce qui assure une véritable construction jurisprudentielle (applicabilité directe) assurée par la primauté du droit communautaire, reconnue par le Conseil d’État lui-même dans un arrêt du 20 octobre 1989. Le droit communautaire est ainsi un puissant instrument de l’intégration européenne, où le principe d’autorité n’appartient plus aux États, mais à la Commission qui a tout pouvoir de contrôle et de sanction (suivi des directives, respect des traités), en un mot un pouvoir de contrainte qui est l’un des traits de la souveraineté.

Le modèle historique sur lequel s’appuient les relations entre souverainetés est ancien, reposant sur le système westphalien, à travers lequel a été établi un système international fondé sur une pluralité d’États indépendants. La problématique de l’intégration européenne consiste à savoir comment ces différentes souverainetés traitent entre elles, et surtout comment un nouvel État peut naître dans un système par définition aussi fermé. Deux écoles s’affrontent à ce propos. Pour la première, la loi internationale n’est pas un critère, car, pour citer le secrétaire d’État américain Dean Acheson, « la survie des États n’est pas une affaire de droit »(43). La vision est dite « réaliste  » (44), dans la mesure où chaque État développe sa propre stratégie. L’autre école (Robert Keohane) avance que les arrangements coopératifs dans un système globalisé peuvent faire l’objet d’institutionnalisations qui lient l’ensemble des acteurs (45) L’évolution du système à l’œuvre dans la reconnaissance des États est révélateur en soi, paraissant démontrer qu’une codification à l’échelle internationale est possible : la politique de reconnaissance telle qu’elle était pratiquée pendant la guerre froide renforçait les principes fondamentaux du système westphalien (centralité de l’État, souveraineté de l’État et inviolabilité de ses frontières). Ce système a été accepté par les deux principaux belligérants, ce qui explique que les superpuissances n’aient jamais encouragé la sécession, même quand celle-ci pouvait les arranger (Katanga, Biafra, Erythrée). Avec la fin de la guerre froide, une autre façon de procéder s’est imposée, dont l’Union européenne a tiré partie dans le cas yougoslave : la loi internationale sert à établir une société des États démocratique, d’où le respect et la recherche de légitimité dans l’acte de reconnaissance (que l’on pense au Kosovo). Dans ce cas de figure, la loi est certes formelle, mais elle finit par contraindre si elle est soutenue par une tendance en faveur de la gouvernance démocratique qui, dans le cas de l’Union européenne, anticipe les critères de Copenhague de 1993.

Quelle définition actuelle de la souveraineté ?

Ainsi, l’idée de supranationalité ne paraît plus aussi marginale, et peut être soutenue par différentes familles intellectuelles, bien qu’avec des nuances dans chacune d’elles. Les catholiques y semblent bien préparés (idée de puissance civile, de subsidiarité), mais nous ne devons pas oublier l’attitude de certains pays qui refusent une quelconque seconde « souveraineté limitée » à l’Est, généralement catholiques (Pologne, Croatie, Slovaquie). Le libéralisme a originellement soutenu l’approche constitutionnaliste à l’échelle européenne, à tendance sociale au départ (plan Marshall), mais, dans ses formes les plus récentes (défense de la simple zone de libre-échange), il est en contradiction profonde avec la construction européenne. La social-démocratie s’est au départ détournée de l’idée d’Europe, associée pour elle au libéralisme, mais, par la suite, c’est ce courant qui a prévalu lorsqu’il a fallu adapter les durs critères de convergence préalables à une accélération de l’intégration. Depuis, deux variantes du scepticisme vis-à-vis de l’Europe se sont fait jour : une conception néorépublicaine s’appuyant sur une lecture stricte de Rousseau ; une autre qui appelle à un repli sur la défense de l’État social national. Dans les deux cas, cette attitude hostile semble commandée par une posture antimondialisation, qui se retrouve dans un « nationalisme culturel » situé aussi bien à droite qu’à gauche, comme l’a prouvé le récent débat autour du traité constitutionnel européen (46).

On a un peu trop oublié que le sujet portait sur un « traité » constitutionnel, ce qui, les mots ayant un sens, n’aboutit pas aux mêmes conséquences en termes politico-juridiques : « […] la constitution […] trouve sa raison d’être en tant que fondation, définition, organisation et délimitation d’un pouvoir qui a la prétention, au moins dans un certain domaine, d’être souverain, c’est-à-dire de ne devoir reconnaître aucun autre pouvoir supérieur. La légitimité des traités internationaux repose au contraire sur la souveraineté des États qui les ont stipulés, car les traités internationaux n’aspirent pas à définir un sujet nouveau, actif sur la scène internationale, qui soit caractérisé par une souveraineté autonome » (47) . Le « traité constitutionnel » n’est pas un oxymore innocent : il jette un voile pudique sur cette contradiction, au regard de nos mœurs politiques, d’une constitution « sans peuple », rappelant que la première doit être le produit du second, et non l’inverse (48).

Les positions des uns et des autres doivent cependant tenir compte des particularités du système politique européen, qui s’imposent à tous. L’Union européenne repose en effet aujourd’hui sur un système politico-institutionnel inédit, lui-même le fruit d’une « constitutionnalisation » des traités (49), aboutissant à la mise en forme d’un sujet de droit international sans précédent, combinaison de logiques intergouvernementale, technocratique et démocratique. La théorie des trois pouvoirs est elle-même relativisée par le caractère mixte de chacun d’entre eux, comme le montre l’exemple des pouvoirs législatifs que le Conseil exerce avec le Parlement européen et des pouvoirs exécutifs partagés avec la Commission. D’autres acteurs sont en jeu, telles la Cour de justice de l’Union européenne, ou certaines organisations non institutionnelles de plus en plus sollicitées au niveau de l’expertise  (50). Ces pouvoirs ont leurs particularités et leurs faiblesses : certes, le Conseil européen apparaît de plus en plus comme l’institution d’arbitrage, de guidance politique, alors que le Conseil des ministres ne peut être supranational qu’en fonction du sujet traité. La Commission représente le mieux ce principe de supranationalité, mais n’est pas l’expression d’une majorité politique, alors que le Parlement européen, même s’il détient les ferments d’un véritable Parlement démocratique et fédéral (réunion des députés en fonction des appartenances politiques et non nationales), n’apparaît toujours pas comme un organe parfaitement libre et cohérent (procédures électorales différentes de pays à pays, élections sans enjeu de pouvoir direct, pratique courante des préaccords entre familles politiques). Par ailleurs, le débat autour du traité constitutionnel a mis en avant le concept de « patrimoine constitutionnel européen ». Celui-ci consacrerait certains principes, comme la primauté de l’individu ou le principe d’égalité, effaçant toute différence entre les États membres de l’Union européenne par le biais de l’Union européenne elle-même.

Le fait d’européiser ces principes par le processus constituant peut-il déboucher sur une nouvelle légitimité ? On doit signaler dans un premier temps que les systèmes politiques nationaux et européen ne sont pas parfaitement harmonisés. Il est ainsi évident que tous les pays se retrouvent dans le régime parlementaire, mais il y a aussi des pratiques qui divergent : au sein des États, l’élection parlementaire devient de fait l’élection au suffrage universel du Premier ministre ; or, au niveau de l’Union européenne, il y a déconnexion entre élection et composition de la Commission. Cette différence peut expliquer la désaffection des électeurs, d’autant plus que ce Parlement qu’ils élisent ne vote ni l’impôt ni la loi, et qu’ils ne peuvent eux-mêmes être assimilés à un quelconque « pouvoir constituant ». Pour cela, il faudrait qu’ils se projettent dans un « peuple européen » qui, suivant l’exemple historique français, se donnerait une constitution pour sanctionner le vouloir-vivre ensemble d’une communauté préexistante, elle-même se reconnaissant dans certaines valeurs historiquement partagées (51).

Ainsi, la « soif d’Europe » des pays de l’Est nous semble un bon baromètre, même si elle peut paraître parfois bien intéressée aux yeux de certains contempteurs. Les recherches actuelles sur l’identité collective présumée des Européens vont dans ce sens, ou plus exactement dans cette recherche de sens, mais peuvent parfois donner l’impression d’une spéculation bien abstraite, ou d’une tautologie loin d’être désintéressée. Toutefois, ces réflexions ont ceci de positif qu’elles conduisent à ne pas laisser de côté certaines pistes, simplement parce qu’elles ne seraient pas assez sûres au regard de nos certitudes politiques. La notion de peuple, par exemple, ne peut pas toujours être définie comme une communauté dont l’unité et la volonté seraient prédéterminées, elle peut être le résultat de l’autodétermination d’une société civile qui veut se constituer comme unité politique, cette société civile européenne dont il est indéniable qu’elle se détermine par l’action, et qui peut parfois faire la une de l’actualité, ou le quotidien de l’activité politique bruxelloise. Il faut aussi prendre en compte l’intervention d’événements extérieurs, qui modulent nos conceptions classiques, obligeant à les revisiter une par une. L’introduction de la monnaie européenne (essentielle pour repenser la souveraineté suivant Locke) affecte l’un des principaux droits régaliens. Le débat très actuel sur la politique d’immigration et, par extension, le droit d’asile, touche des notions telles que citoyenneté, passeport ou frontières, suivant le principe de Carl Schmitt : « La force politique d’une démocratie se manifeste à sa capacité d’écarter ou de tenir éloigné l’étranger et le non-semblable, celui qui menace son homogénéité »  (52). Les quelques actions militaires européennes (certes encore modestes) à l’étranger, telles que les opérations Artémis, Concordia, en Bosnie et maintenant au Liban sont du même registre. Ainsi, la pensée kantienne d’une « politique intérieure mondiale », entraînant des réponses communes des États à des défis communs, prend de plus en plus forme en Europe, confrontée à des problèmes de politique internationale (statut des étrangers comme on vient de le voir) ou de « place dans le monde » (la querelle européano-américaine).

Tout ceci entraîne l’existence d’un système politique difficile à conceptualiser (Montesquieu pourrait-il retrouver sa fameuse « distribution des pouvoirs » dans le triangle institutionnel bruxellois ?) jusque dans les procédures de prise de décision, qui font la différence entre les compétences « exclusives » (politique monétaire, commerciale, concurrence, pêche), les domaines où il ne peut y avoir que des « mesures d’appui » (défense, sécurité intérieure, politique étrangère, fiscale et sociale), et les compétences « partagées » (marché intérieur ou environnement). Il y a ainsi coexistence d’une « méthode communautaire » (initiative de la Commission, vote au Conseil suivant la majorité qualifiée, codécision avec le Parlement européen, justiciabilité avec la Cour de justice de l’Union européenne, application par la Commission) et d’une « méthode intergouvernementale » (unanimité des États, pas d’initiative de la Commission, Parlement européen simplement informé et Cour de justice sans pouvoir d’intervention). L’Europe, en tant qu’union économique, monétaire et sociale, relève d’une véritable originalité institutionnelle, instaurant une libéralisation toujours plus prononcée, pourtant accompagnée de politiques régulatrices qui absorbent la plus grande partie des crédits communautaires. C’est l’application de la théorie de l’embedded capitalism qui vient des États-Unis eux-mêmes (New Deal) et qui rappelle que les Européens se sont montrés dès le départ très keynésiens, tendance préservée par l’Acte unique européen en pleine vague néolibérale (53). De fait, l’Union européenne reste un mélange d’intégration négative (libéralisation) et positive (politiques actives des pouvoirs publics type politique agricole commune ou politique régionale et de cohésion). Dans ce sens, le projet régulateur le plus abouti est celui qui touche à la monnaie, avec une délégation complète de souveraineté, même si l’on ne peut rester impassible face au décrochage dangereux qui s’affirme entre le pouvoir monétaire et le pouvoir budgétaire, soit entre la Banque centrale européenne et les États de l’Eurogroupe. Le volet social, quant à lui, a été considéré dès le départ comme une simple conséquence du développement économique, les compétences principales restant aux mains des États. Depuis peu, on assiste à la naissance d’un « dialogue social européen » qui renforce le poids des partenaires sociaux dans la régulation (voir les récentes directives sur l’égalité de rémunération, sur la médecine du travail ou sur le droit d’information) (54). Le traité d’Amsterdam évoque pour la première fois la politique de l’emploi, alors que l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie européenne de l’emploi (Luxembourg, 1997).

La dimension extérieure du projet européen a elle aussi son importance. Le courant en faveur de l’intégration estime possible une certaine correspondance entre ordre intérieur et extérieur, ce qui a conduit à une démocratisation progressive des États membres (une « politique extérieure intérieure »). Cette vision est concrétisée par de multiples connexions avec le monde extérieur : implications du Marché commun (adaptation au niveau des exigences techniques, sanitaires, environnementales, concurrentielles), politique commerciale commune (gestion exclusive des négociations, mesures antidumping, mesures d’embargo), union monétaire, coopération au développement, « treaty-making power ». L’Union européenne, première puissance commerciale, première pour l’aide au développement et l’humanitaire, est d’ores et déjà un acteur global. Certes, les initiatives autour de la Politique européenne de sécurité commune et de la politique étrangère demeurent limitées, mais on peut parler d’une augmentation de la visibilité internationale de l’Europe (M. PESC) et de quelques progrès, notamment avec la notion d’« abstention constructive », l’institutionnalisation des missions de Petersberg et des coopérations renforcées (55).

On doit ainsi mettre en avant certaines nouveautés que le débat européen a introduites dans notre conception de l’État, parfois s’inspirant de tendances anciennes, parfois inventant une formule nouvelle. D’ores et déjà, toute une littérature politique se penche sur l’héritage de la pensée classique à propos de la question européenne, plus important qu’on ne le croit généralement (56). Ainsi, on peut voir combien la pensée kantienne a inspiré le projet européen : l’idée de « conditionnalité démocratique » qui paraît à Kant indispensable à la mise en place d’un système international pacifié trouve un écho dans les articles 6 et 7 du traité d’Amsterdam, de même que dans les fameuses « conditions politiques de Copenhague » (1993) ; l’idée de cosmopolitisme se retrouve dans le principe de cocitoyenneté contenue dans la citoyenneté européenne (articles 8 du traité de Maastricht et 17-22 du traité d’Amsterdam). Autant d’approches qui ne nient pas forcément la réalité des nations, mais mettent en avant le destin collectif de l’Europe, seul à même de rencontrer leurs attentes et enfin, peut-être, de soulever leur enthousiasme…

Face à l’imprécision des fondements normatifs de l’Union européenne, un renouvellement des catégories classiques de la pensée politique semble nécessaire pour enfin donner une forme, si ce n’est un visage, au « plus célèbre objet politique non identifié contemporain ». Le travail des hommes a été de démontrer que le cadre politique échappait à la causalité divine ou aux déterminations naturelles, et que la construction du principe de souveraineté était une construction volontaire d’un monde où les hommes sont eux-mêmes souverains. Le constat que l’on peut faire, au regard des événements contemporains, et prenant en compte l’intangibilité de la nature humaine qui ne peut se passer d’un cadre politique, c’est que la souveraineté n’est pas morte ; c’est sa permanence suivant les traits historiques classiques qui semble bien en jeu, justifiant un renouvellement de la pensée (qu’une certaine historicité bien pensante refuse et réfute), tant les liens entre souveraineté et philosophie sont féconds, tant la pratique, tributaire de conditions politiques et sociales sans cesse renouvelées, justifie une révision de la théorie. C’est bien ce vers quoi tend la thèse des partisans du patriotisme constitutionnel (57). , pour lesquels les principes mêmes d’appartenance ne relèvent pas de la parenté géographique ou de la proximité culturelle, mais s’appuient sur la reconnaissance commune de bases constitutionnelles : l’identité démocratique de l’Union européenne pourrait alors se stabiliser autour des principes d’universalité, d’autonomie et de responsabilité qui sous-tendent les conceptions de la démocratie et de l’État de droit. Le patriotisme constitutionnel qualifié en ces termes est par conséquent avant tout juridique et politique, acceptant la différence entre une souveraineté « étatique », elle-même partagée, et une souveraineté « populaire », qui demeure divisée. En ce qui concerne le premier point, il est vrai que la tendance actuelle est de refuser le « transfert » de souveraineté, mais d’intégrer au niveau de l’Union européenne des fonctions par le biais de la coopération entre administrations publiques nationales : il en est ainsi dans l’espace Schengen ou au sein de l’Agence européenne de l’armement. En un sens, c’est la leçon de la subsidiarité qui semble porter ses fruits : le « partage des tâches » qu’il induit insiste moins sur l’étendue de la puissance que sur la distribution judicieuse des compétences, et justifierait ce « pooling des souverainetés » (58), qui garde au terme son indivisibilité tout en acceptant l’idée de son partage (59).

Ainsi, l’étude des transformations de l’État dans le cadre de l’Union peut être instructive. L’intégration paraît être un succès à trois points de vue : réconciliation franco-allemande, prospérité économique et sociale sans précédent, stabilisation de la démocratie politique. Qu’est devenu l’État européen ? Le débat reste ouvert, mais on peut signaler les principales tendances : certains parlent d’un « dépassement de l’État nation » par la force des intérêts transnationaux, des pouvoirs locaux infranationaux, de la mondialisation procédant à la « déterritorialisation » de l’espace, contribuant par là même à l’effacement d’un des principaux atouts de la souveraineté  (60) , en dépouillant celles-ci des connotations théologiques qui sont liées à l’imaginaire du corps. D’autres estiment qu’on devrait plutôt parler de relance de l’État européen (Alan Milward), qui a profité du Marché commun et n’a pas lâché certaines prérogatives essentielles telles que la diffusion de l’information, la sécurité sociale (et la fiscalité qui va avec), la sécurité externe comme interne : le fait même que Bruxelles puisse agir, en matière de droit communautaire, sur les États et non les individus démontre que l’Europe n’est pas encore un « gouvernement national » au sens que Tocqueville prêtait à ce mot (61). Une troisième approche, enfin, estime que l’État souverain classique a vécu : une souveraineté apprivoisée par les traités, un choix conscient pour l’Europe (notamment économique), le poids du droit européen dans le processus d’intégration permettraient de parler d’un constitutionnalisme européen « implicite » des traités (62), même si son explicitation a échoué à quatre reprises (article 38 du traité de la CED, projet Spinelli, projet Herman de 1993, projet de la Convention en 2005). Dans tous les cas, les modèles historiques de l’État reconnus par la science juridique ne résument pas l’Europe : celle-ci n’est ni un État unitaire, ni une confédération, ni une fédération. En ce sens, l’Europe dessine une structure politique qui n’a jamais existé parce qu’elle correspond à une situation elle-même sans précédent : elle est bien ce modèle sui generis qui, à force d’affecter certaines fonctions de souveraineté, transforme la souveraineté elle-même.

Le traité constitutionnel et sa triste aventure sont eux aussi éclairants, et leur leçon est en demi-teinte : en toute fin, la démocratie reste « nationale » pour nombre d’entre nous, et le « non » majoritaire est une réponse cinglante au rêve implicite d’État européen que sous-tend l’idée de Constitution européenne. Cela dit, on ne peut s’empêcher d’évoquer les premières formes embryonnaires d’un cadre politique et social dépassant les frontières, que cette attitude négative n’arrive pas à masquer : certains mouvements de fond semblent annoncer un vrai paysage politique européen (succession de cycles politiques de plus en plus concomitants, espace public européen), dessinant une démocratisation transnationale qui devrait être un ferment d’identité politique pour l’Europe et les Européens (63). Le cheminement peut ainsi être long, et ressembler fortement à la manière dont l’État de droit s’est installé dans chacune de nos démocraties, avant que l’on réussisse, à l’échelle européenne, à « apprivoiser [64] » la souveraineté telle qu’elle a été historiquement comprise.

Notes

[1] Voir le livre fondateur de cette approche, qui tourne le dos aux écoles pluraliste et marxiste : Peter Evans et al., Bringing the State Back in, Cambridge, Cambridge University Press, 1985. L’approche institutionnaliste pose la question de l’influence des institutions sur les phénomènes sociopolitiques ; voir R. Kent Weaver et Bert A. Rockman (dir.), Do Institutions Matter ? Government Capabilities in the United States and Abroad, Washington, The Brookings Institution, 1993. Pour une introduction à cette approche concernant la question de l’intégration européenne : Paul Pierson, « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Perspective », Comparative Political Studies, 29, 1996, p. 123-163.

[2] Cité dans Paul Sabourin, L’État nation face aux Europes, Paris, PUF, 1994, p. 18.

[3] Thème classique qui renvoie à Jean Gottman, La Politique des États et leur géographie, Paris, Armand Colin, 1952.

[4] Le terme revient en force, il n’a pourtant pas de traduction juridique précise. Certes, il figure dans le traité de la CECA à l’article 9, mais disparaît des traités suivants (CEE, CEEA, fusion des exécutifs), à la suite de la querelle de la CED qui remet en question un terme sentant la poudre. Même confusion à propos du vocable « union » choisi en 1992, qui, lui, n’a pas de sens particulier en droit international, si ce n’est celui de signaler une volonté politique… qui reste à prouver (l’espérance d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples »).

[5] C’est ce que fait Jean-Marc Ferry, dans La Question de l’État européen, Paris, Gallimard, 2000.

[6] Carl Schmitt, Der Begriff des Politischen mit einer Rede über das Zeitalter der Neutralisierung und Entpolitisierung, Munich, Duncker & Humblot, 1932 ; trad. fr., id., La Notion de politique, préf. de Julien Freund, trad. de Marie-Louise Steinhauser, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 53-54.

[7] Processus souligné par Max Weber dans Wirtschaft und Gesellschaft : die Wirtschaft und die gesellschaftlichen Ordnungen und Mächte 1922 ; trad. fr., id., Économie et société, trad. de l’all. par Julien Freund et alii, Paris, Plon, 1971, p. 58-59.

[8] Gérard Mairet, Le Principe de souveraineté. Histoires et fondements du pouvoir moderne, Paris, Gallimard, 1997, p. 23-24.

[9] Machiavel, Le Prince, en particulier le chapitre 15.

[10] Olivier Beaud, La Puissance de l’État, Paris, PUF, 1994, p. 50-52.

[11] Jean Bodin, Les Six Livres de la République, Paris, Fayard, 1986, livre I, chap. 8, p. 179.

[12] De cive (Du citoyen), Principes fondamentaux de la philosophie de l’État, Léviathan.

[13] John Locke, The Second Treatise of Civil Government (Deuxième Traité du gouvernement civil), 1690.

[14] Montesquieu, De l’esprit des lois.

[15] Laurent Bouvet et Thierry Chopin, Le Fédéraliste. La Démocratie apprivoisée, Paris, Michalon, 1997.

[16] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762.

[17] Par exemple Jan Marejko, Jean-Jacques Rousseau et la dérive totalitaire, Paris, L’Âge d’Homme, 1984 ; plus polémique et ambigu, mais qui démontre que la veine est ancienne et riche de toute récupération, Marcel Déat, « Jean-Jacques Rousseau totalitaire », Pensée allemande et pensée française, Paris, Aux Armes de France, 1944, p. 123-127.

[18] Emmanuel Kant, Zum ewigen Frieden (Projet de la paix perpétuelle), 1795.

[19] Johann Gottlieb Fichte, Grundlage des Naturrechts nach Principien der Wissenschaftslehre (Fondement du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science), 1796-1797.

[20] Johann Gottlieb Fichte, Beitrage zur Berechtigung der Urteile des Publikums über die Französische Revolution (Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française), 1793-1794.

[21] Johann Gottlieb Fichte, Reden an die deutsche Nation (Discours à la nation allemande), 1807-1808, auxquels on peut ajouter les Patriotische Dialogen (Dialogues patriotiques), 1806-1807.

[22] Johann Gottlieb Fichte, Rechtslehre (La Doctrine du droit de 1812).

[23] « La liberté n’est possible que chez un peuple ayant l’unité juridique d’un État », Écrits politiques, Paris, Champ libre, 1977, p. 73.

[24] Isaiah Berlin, Against the Current. Essays in the History of Ideas, Londres, Pimlico, 1997, notamment p. 351-353.

[25] Jules Michelet, Le Peuple, Paris, Plon, 1re éd. 1846, 1974, p. 219.

[26] Benedict Anderson, Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1991, p. 6.

[27] Neil MacCormick, « Liberalism, Nationalism and Post-Sovereign State », in Richard Bellamy et Dario Castiglione (dir.), Constitutionalism in Transformation. European and Theoretical Perspectives, Oxford, Blackwell, 1996, p. 151. [28]

« Un principe qui affirme que l’unité culturelle et l’unité politique doivent être congruentes. » (Ernest Gellner, Nations et Nationalismes, Paris, Payot, 1991, p. 11) [29]

Pierre Rosanvallon, « Les conditions d’un nouveau contrat social, la citoyenneté et ses différences », Témoin, 9, été 1997, p. 43-44. [30]

Philippe Séguin réaffirme ce fait lors de la campagne contre le traité de Maastricht (Philippe Seguin, Discours pour la France, Paris, Grasset, 1992). Cette campagne a également éveillé la gauche au nom du « nationalisme culturel », sensible dans une bibliographique pléthorique autour de l’idée de nation : Alain Finkielkraut, L’Ingratitude. Conversation sur notre temps, Paris, Gallimard, 1999 ; Régis Debray, Le Code et le Glaive. Après l’Europe, la nation ?, Paris, Albin Michel, 1999 ; Dominique Schnapper, La Communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994. Voir Cécile Laborde, « The Culture(s) of the Republic. Nationalism and Republicanism in French Republican Thought », Political Theory, 29 (5), 2001, p. 716-735. [31]

Michel Debré, Mémoires, Paris, Albin Michel, 1988, t. II, p. 251. [32]

Voir, à l’échelle de la frontière franco-espagnole, les travaux de Peter Sahlins, notamment Frontières et identités nationales. La France et l’Espagne dans les Pyrénées depuis le xviie siècle, Paris, Belin, 2000. Cette idée d’appartenance exclusive a révulsé certains des contempteurs de la Révolution française, tel Joseph de Maistre, Considérations sur la France 1797. [33]

Jean-Marc Ferry, op. cit., p. 10. [34]

Pour un aperçu complet et réactualisé de cette période, voir Sylvain Schirmann, Quel ordre européen ? De Versailles à la chute du IIIe Reich, Paris, Armand Colin, 2006. [35]

Pour une définition récente du mot « multilatéralisme », voir Marie-Claude Smouts, Dario Battistella et Pascal Vennesson (dir.), Dictionnaire des relations internationales, Paris, Dalloz, 2003, p. 333-335 ; voir également l’ouvrage fondateur de Guy de Lacharrière, La Politique juridique extérieure, Paris, IFRI, 1983. [36]

« La bombe [A] est, dans la réalité de son emploi, à la fois la marque absolue et ultime de la souveraineté absolue et, du même coup, l’anéantissement de toute souveraineté possible en général […]. » (Gérard Mairet, op. cit., p. 302) [37]

Bertrand Vayssière, Vers une Europe fédérale ? Les espoirs et les actions fédéralistes au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Bruxelles, Peter Lang, 2006. [38]

Stanley Hoffmann, « Obstinate or Obsolete ? France, European Integration and the Fate of the Nation-State », Daedalus, 95 (3), 1966, p. 862-915. [39]

Jean Monnet écrit : « L’Europe n’a jamais existé. Ce n’est pas l’addition de souverainetés réunies des conseils qui créent une entité. Il faut véritablement créer l’Europe […] » (Jean Monnet, « Mémorandum Monnet, 3 mai 1950 », Le Monde, 9 mai 1970). Ou encore : « [Il faut] montrer que la souveraineté dépérit quand on la fige dans les formes du passé. Pour qu’elle vive, il est nécessaire de la transférer, à mesure que les cadres de l’action s’épanouissent, dans un espace plus grand où elle se fusionne avec d’autres appelées à la même évolution. Aucune ne se perd dans ce transfert, toutes se retrouvent au contraire renforcées. » (Cité dans Paul Sabourin, op. cit., p. 133) [40]

Johan Galtung, « Pax bruxellana, la superpuissance européenne », Prospectives, 1, 1973, p. 51-63. [41]

François Duchêne, « The European Community and the Uncertainties of Interdependence », in Max Kohnstamm et Wofgang Hager (dir.), A Nation Writ Large ? Foreign Policy Problems before the European Community, MacMillan, Basingstoke, 1973. [42]

« Le traité de Maastricht est le premier acte officiel, dans la relation entre les États membres de la Communauté européenne, qui ait été appelé à intervenir dans les trois domaines essentiels de l’exercice de la fonction régalienne des États : la monnaie, la diplomatie et la défense. » (Jean-Louis Quermonne, « Le retour du politique », in Gérard Duprat (dir.), L’Union européenne. Droit, politique, démocratie, Paris, PUF, 1996, p. 196) [43]

Dean Acheson, « Remarks », Proceedings of the American Society of International Law, 57, 1963, p. 14. [44]

Dont le chef de file est Hans Morgenthau, avec son ouvrage phare Politics among Nations. The Struggle for Power and Peace, New York, Knopf, 1948. [45]

Robert O. Keohane, International Institutions and State Power. Essays in International Relations Theory, Boulder, Westview Press, 1989. [46]

Bertrand Vayssière, « Retour sur le traité constitutionnel européen », Cahier d’histoire immédiate, 27, printemps 2005, p. 65-91. [47]

Sergio Dellavalle, « La construction de l’Union européenne : une Constitution sans “peuple” », in Gian Mario Cazzaniga et Yves Charles Zarka (dir.), Penser la souveraineté à l’époque moderne et contemporaine, Paris, Vrin, 2001, vol. 2, p. 543. [48]

Remarque prémonitoire que celle de Raymond Aron : « Les fédérations dans l’histoire ont été forgées par la contrainte du vainqueur ou bien elles sont nées du consentement des peuples. Que l’on mette ce consentement à l’épreuve. Les Constitutions n’ont jamais suffi à créer les sentiments. Celles-là peuvent précipiter ceux-ci, mais une avance excessive risquerait de précipiter l’échec de l’entreprise toute entière. » (« Ce que peut être la Fédération des Six » [4 décembre 1952], Les Articles du Figaro, Paris, Fallois, 1990.) [49]

Joseph H. Weiler, The Constitution of Europe. « Do the New Clothes Have an Emperor ? » and Other Essays on European Integration, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 12. [50]

Paul H. Claeys et alii, Lobbyisme, pluralisme et intégration européenne, Bruxelles, Institut d’études européennes, 1998. [51]

Comme exemples d’une littérature déjà ancienne et abondante, preuves d’un intérêt jamais démenti ni assouvi, voir Jean Stoetzel, Les Valeurs du temps présent : une enquête européenne, Paris, PUF, 1983 ; Hartmut Kaelble, Vers une société européenne (1880-1980), Paris, Belin, 1988 ; Pierre Bréchon et Bruno Cautrès (dir.), Les Enquêtes Eurobaromètres. Analyse comparée des données sociopolitiques, Paris, L’Harmattan, 1998. [52]

Carl Schmitt, Parlementarisme et Démocratie, Paris, Seuil, 1re éd. 1923, 1988, p. 106, cité dans Gérard Noiriel, La Tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe 1793-1993, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 311. Sur la repolitisation des frontières, en particulier en Europe, voir Étienne Balibar, La Crainte des masses, Paris, Galilée, 1997, et id., Europe Constitution Frontière, Bègles, Éd. du Passant, 2005. [53]

John Gerard Ruggie, « International Regimes, Transactions and Change. Embedded Liberalism in the Postwar Economic Order », in Stephen D. Krasner, International Regimes, New York, Ithaca, 1983, p. 753-775 ; pour une réflexion à l’échelle européenne, Claus Offe, « The European Model of social capitalism : Can it Survive European Integration ? », Journal of Political Philosophy, 11, décembre 2003, p. 437-469. [54]

Dans cette optique, lire Florence Deloche-Gaudez, « La convention pour l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux : une méthode “constituante” ? », in Renaud Dehousse (dir.), Une constitution pour l’Europe ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 177-226. [55]

Sur les virtualités d’une vision politique internationale européenne, voir Zaki Laïdi, La Norme sans la force. L’énigme de la puissance européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2005. [56]

Voir en particulier Maurizio Viroli, For Love of Country. An Essay on Patriotism and Nationalism, Oxford, Oxford University Press, 1997. [57]

Au premier rang Jürgen Habermas, notamment dans Après l’État nation. Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000. [58]

Mario Teló, « Démocratie internationale et démocratie supranationale en Europe », in Mario Teló (dir.), Démocratie et Construction européenne, Bruxelles, Éd. de l’université de Bruxelles, 1995, p. 26. [59]

« Partager la souveraineté accroît la souveraineté plutôt qu’elle ne la réduit. » (Ulrich Beck, « Redéfinir le pouvoir à l’âge de la mondialisation, huit thèses », Le Débat, 125, mai-août 2003, p. 75-84, p. 80) [60]

Voir, à ce propos, le chef de file du courant hyperglobalizer Kenichi Ohmae, notamment The Borderless World, Londres, William Collins, 1990 ; id., The End of the Nation-State. The Rise of Regional Economies, New York, The Free Press, 1995. Pour une réflexion sur la « société en réseau », manifestation de la « déterritorialisation », voir Manuel Castells, L’Ère de l’information, en particulier t. I : La société en réseaux, Paris, Fayard, 1998. Pour un autre adepte de la « nouvelle géographie du pouvoir », voir Saskia Sassen, Global Network/Linked Cities, Londres, Routledge, 2002 ; id., Denationalization. Economy and Polity in a Global Digital Age, Princeton, Princeton University Press, 2003. Sur une application de ce type de questionnement au territoire de l’Union européenne, voir Marlene Wind, « The European Union as a Polycentric Polity. Returning to a Neomedieval Europe ? », in Joseph H. Weiler et Marlene Wind (dir.), Europe Constitutionalism beyond the State, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 103-131. [61]

) Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, in Œuvres, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1992, p. 177. [62]

Qui dérive de la demande faite par le Parlement européen de préconiser « l’amorce d’un processus de hiérarchisation des textes devant conduire à l’élaboration d’une Constitution pour l’Europe », « Résolution du Parlement européen sur la constitutionnalisation des traités », adoptée le 25 octobre 2000 (Journal Officiel des Communautés européennes, 197, 12 juillet 2001). [63]

Thèse défendue par Hartmut Kaelble, par exemple dans Les Chemins de la démocratie européenne, Paris, Belin, 2005. [64]

Pour reprendre l’expression de Paul Magnette, L’Europe, l’État et la démocratie. Le souverain apprivoisé, Bruxelles, Complexe, 2000. [*]

Bertrand Vayssière est maître de conférences à l’université de Toulouse-II. Il a récemment publié Groupes de pression en Europe (Privat, 2002) et Vers une Europe fédérale ? Les espoirs et les actions fédéralistes au sortir de la Seconde Guerre mondiale (Peter Lang, 2006). (bertrand. vayssiere@ wanadoo. fr) Résumé


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