Le Brexit en marche

samedi 25 juin 2016.
 

Jeudi 23 juin, les électeurs du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord se prononcent par référendum sur leur appartenance à l’Union européenne. Ils doivent répondre à une question claire : « le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? ». Ils auront le choix de voter pour « rester membre de l’Union européenne » (« Remain a membre of the European Union ») ou pour « quitter l’Union européenne » (« Leave the European Union »). C’est la première fois de l’histoire de la construction européenne qu’une telle question est posée aussi explicitement aux citoyens d’un pays. C’est donc un moment historique.

D’où vient ce référendum ? Il date de la campagne des élections législatives britanniques de mai 2015. À l’époque, en difficulté sur la question européenne dans son propre camp, le Premier ministre conservateur sortant, David Cameron, promet un référendum sur le maintien ou non du royaume dans l’UE. Réélu, il a d’abord attendu que la Grèce soit étranglée et que Tsipras accepte le troisième mémorandum en juillet, avant d’avancer ses pions. Puis il a publié ses exigences en novembre 2015. Il a d’abord logiquement refusé de dire s’il appellerait à rester dans l’UE si ses exigences n’étaient pas retenues. En agissant ainsi, Cameron a préempté le débat européen, imposé son agenda et mis la pression aux 27 autres pays. Une bonne leçon de rapport de force national pour tous les naïfs de « l’Europe qui protège » et les capitulards du « on ne peut rien, c’est l’Europe qui décide ».

Sous la menace du Brexit, les 28 ont signé le 19 février 2016 en accord entre le Royaume-Uni de David Cameron et les 27 autres chefs d’États et de gouvernement de l’UE. Notez au passage que cet accord est fait d’une « décision des chefs d’État et de gouvernement » et de plusieurs « déclarations ». Ce n’est pas un traité ni une modification des traités européens. Car changer les traités aurait obligé les 27 autres à devoir faire ratifier l’accord par leur Parlement national, voire par référendum pour certains. La peur du peuple continue de régner au sommet de l’UE.

L’accord porte sur plusieurs points. Il comporte d’abord un volet de libéralisme économique vantant la « compétitivité » et le libre-échange. Ainsi, les 28 se sont engagés à conclure « des accords bilatéraux de commerce et d’investissement ambitieux » avec les autres pays du monde et notamment à « s’employer à faire avancer les négociations avec les États-Unis » en vue du traité TAFTA de libre-échange transatlantique. Ils se sont aussi engagés à « simplifier la législation, éviter une réglementation excessive et réduire les charges pesant sur les entreprises » comme le répète la novlangue européenne à chaque occasion.

L’autre grand morceau arraché par Cameron concerne l’immigration. En pleine crise des migrants et pour satisfaire son extrême-droite, David Cameron a obtenu la possibilité, pendant 7 ans, de suspendre les allocations sociales des citoyens d’autres pays de l’UE arrivant au Royaume-Uni pour leurs quatre premières années dans le pays. On parle bien ici des ressortissants d’autres pays de l’UE, c’est-à-dire y compris les Français qui iraient s’installer au Royaume-Uni. Des européens de « L’Europe qui nous protège » et non des Syriens pour lesquels un État peut déjà décider librement ce qu’il veut. En réalité, David Cameron n’a pas eu beaucoup à se battre sur ce point puisque Angela Merkel l’a soutenu très tôt. D’ailleurs, depuis l’accord de février, le gouvernement allemand a fait savoir qu’il travaillait à un projet de loi du même objet. Evidemment, c’est une ministre social-démocrate qui prépare le ce texte ! Il me semble que c’est un des points les plus significatifs de l’État de l’Union Européenne que cette décision officielle de régression sociale. Que ce soit la ministre du PS allemand qui en soit chargée est également très hautement significatif de l’état de ce mouvement dans cette Europe et dans ce pays qui a été le bastion mondial de la social-démocratie.

Le troisième volet concerne la protection spéciale de la souveraineté britannique. David Cameron a ainsi symboliquement obtenu l’exemption pour le Royaume-Uni de l’objectif d’une « Union toujours plus étroite ». Plus précisément, cette exemption sera inscrite dans les traités lorsqu’ils viendront à être modifiés. Les 28 chefs d’État et de gouvernement se sont aussi accordés pour permettre à une majorité de Parlements nationaux de bloquer un projet de réglementation européenne. Ce « carton rouge » complète le dispositif actuel de « carton jaune » : les Parlements nationaux peuvent demander un réexamen. Mais les seuils à franchir pour obtenir ces réexamens sont tellement élevés que c’est davantage un affichage qu’une vraie modification.

L’essentiel des protections de souveraineté de cet accord fait main pour les Anglais concerne en fait le secteur financier. David Cameron n’a pas obtenu la reconnaissance de « plusieurs monnaies » dans l’UE mais seulement que l’UE facilitera « la coexistence entre différentes perspectives », c’est-à-dire une confirmation implicite que le Royaume-Uni pourra ne jamais passer à l’euro. Il a surtout obtenu l’absence « de discriminations » de la zone euro contre la City, le centre financier du Royaume-Uni. Et le Royaume-Uni pourra superviser ses établissements financiers indépendamment de l’Union Bancaire Européenne même si cela se fera « sans préjudice » du droit de l’UE d’intervenir si la stabilité financière est menacée.

David Cameron a obtenu presque tout ce qu’il voulait. C’est-à-dire à la fois peu de choses fondamentales puisque aucun article des traités européens ne sera modifié. Et en même temps ce sont aussi plusieurs mesures symboliques qui accentuent encore le caractère libéral et non-solidaire de l’Union européenne. David Cameron s’est contenté de cela pour appeler les Britanniques à rester dans l’UE. Du coup, qu’ils y restent ou qu’ils s’en aillent, ce sera une reculade pour l’Union européenne. De quoi le Brexit est-il l’annonce ? brexit royaume uni melenchon

Crédits photo : mattbuck

Le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est d’ores et déjà un point de non-retour en Europe. Quel que soit le résultat, rien ne sera plus comme avant. Ce référendum est un puissant révélateur. Révélateur de l’impasse totale qu’est devenue l’Union européenne. Révélateur de l’effacement de la France du débat européen confisqué par Merkel, Cameron et les nationalistes. Évidemment, c’est aussi une nouvelle preuve de la peur qu’ont les dirigeants européens pour les peuples mais on ne peut parler de révélation à ce sujet tant l’Union européenne s’est construite contre les peuples, en particulier depuis le référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas. Cet épisode est aussi une grande leçon qui doit être bien comprise.

La première leçon est historique : l’impasse européenne est désormais clairement établie. L’Union européenne est entrée en dislocation sous le coup de ses propres règles d’austérité et dumping social et fiscal. La sortie de ces traités européens est désormais une exigence de bon sens ! Rien ne sera plus comme avant. Le Royaume-Uni a fait des pieds et des mains pour adhérer à la Communauté européenne dans les années 1960 et jusqu’à son adhésion en 1973. Il s’agissait de participer au grand marché unique sans aucune barrière douanière, pour profiter à plein de la libre-circulation des capitaux, écraser l’URSS et renforcer sans cesse le « partenariat transatlantique » entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. Les Britanniques ont toujours soutenu le libéralisme en Europe, qu’il s’agisse d’encourager le système de détachement de travailleurs ou de freiner les minimes tentatives de régulation de la finance.

Mais aujourd’hui, certains États disent stop. D’autres ont failli le faire. Pourquoi ? Parce qu’au point où est aujourd’hui l’UE, ils se disent qu’ils ont plus à perdre dedans que dehors. Non pas que l’UE ait cessé une seule seconde son libéralisme économique. Certes, l’UE prend une tournure de plus en plus autoritaire, elle méprise les États et leurs parlements, et surtout elle impose des réformes aux uns et aux autres sous l’autorité du gouvernement allemand et de la Commission européenne. Or une bonne partie des libéraux du Royaume-Uni ne veulent pas d’une Europe à la sauce Merkel. Ils veulent pire. Puisqu’il n’est plus possible de faire le passager clandestin dans l’Europe allemande, certains libéraux anglais préfère imposer leur libéralisme eux-mêmes que d’être dirigés demain par Wolfgang Schaüble.

C’est le cas d’une large part du parti conservateurs au pouvoir à Londres. Environ un tiers des députés qui soutiennent le Premier ministre libéral sont pour le Brexit. C’est aussi le cas de l’ancien maire de Londres Boris Johnson, lui-aussi fervent libéral. C’est évidemment aussi la position des libéraux nationalistes que sont les amis de Madame Le Pen, l’UKIP (parti de l’indépendance du Royaume-Uni). Tous veulent « sortir » de l’UE pour être encore plus durs avec les étrangers, encore plus libéraux en économie, etc. À cela s’ajoute un jeu politicien pour savoir qui du Premier ministre Cameron et de l’ex-maire de Londres Johnson récupérera le pouvoir dans le parti conservateur au lendemain du référendum.

La deuxième leçon est que le référendum anglais agit comme un « révélateur des intérêts sur lesquels repose l’Europe actuelle » comme l’écrit Laurent Maffeïs dans l’édito du bulletin « L’heure du peuple ». « Les deux principales forces ouvertement opposées au Brexit se situent en dehors d’un paysage politique pulvérisé. Il s’agit des USA et des marchés financiers. Bien qu’ils ne votent pas, Obama comme la City ont officiellement appelé à voter pour le maintien dans l’UE. Cela révèle crument les intérêts profonds que sert aujourd’hui la construction européenne. Les États-Unis ont toujours utilisé les Britanniques comme cheval de Troie dans l’UE et ils y perdraient un précieux allié dans la négociation du traité TAFTA. Le maintien britannique dans l’UE avec des dérogations facilitant le dumping social, écologique et financier pourrait au contraire servir de laboratoire au futur marché transatlantique. Quant à la City, elle a conforté depuis l’avènement de l’euro son rang de première place financière mondiale et contrôle désormais près de la moitié des transactions mondiales effectuées en euro. Cela révèle au passage que la monnaie unique a échappé à la zone euro et à sa banque centrale ».

La troisième leçon est profondément politique. Idéologique même. Pour David Cameron, tout était négociable. En revanche pour Alexis Tsipras, rien n’était négociable ! Merkel a accepté de discuter du référendum anglais, mais pas du référendum français de 2005 ni du référendum grec de 2015. La naïveté est donc interdite à qui prétend gouverner pour transformer la société. C’est à un combat qu’il faut se préparer.

Quatrième leçon : le rapport de force national est fondamental pour être respecté dans l’Union européenne. On ne parle pas de la même manière au Royaume-Uni qu’à la Grèce. Et à ce sujet, je note que la menace d’une sortie de l’UE a renforcé la position de David Cameron dans la négociation plus qu’elle ne l’a affaibli. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi des dirigeants de caractère qui osent mettre les pieds dans le plat et en appeler au peuple.

C’est la cinquième leçon : l’éjection de la France du débat européen. Après l’épisode grec, la négociation sur le Brexit a réduit le débat européen à Angela Merkel ou David Cameron. L’ordolibéralisme autoritaire de la droite allemande ou l’ultralibéralisme xénophobe de la droite anglaise ! Un choix entre la peste et le choléra en somme. Disons tout net qu’il ne peut être question pour nous d’accepter ce cadre de « débat » qui expulse les questions sociales, démocratiques et écologiques.

Et la France ? Et François Hollande ? A-t-il un avis sur la question ? Pourquoi n’a-t-il rien dit dans la négociation ? N’était-ce pas le moment de dire ce que la France proposait ou exigeait pour l’Europe ? Est-il seulement au courant que les Britanniques votent le 23 juin ? Sait-il seulement ce qu’est une négociation européenne ? Cherche-t-il déjà comment contourner le résultat du référendum anglais comme lui et Sarkozy ont contourné le référendum français de 2005 ? Du point de vue de la méthode, on voit la différence entre Cameron et Hollande. L’un a déposé ses exigences et promis un référendum. Il a obtenu l’essentiel de ce qu’il voulait. L’autre s’est caché sous la table dès la première réunion avec Mme Merkel et a avalé tout cru le traité budgétaire qu’il devait renégocier, sans le soumettre à référendum.

Voilà pour les principales leçons à tirer. Nous n’attendons rien de David Cameron ni d’aucun libéral. Nous savons qu’une partie de la gauche anglaise refuse d’appeler à rester dans cette Union européenne. Certains partis ou groupes appellent à voter pour sortir.

Le référendum sur le Brexit confirme que notre méthode de gouvernement est crédible : appliquer notre programme, présenter aux autres membres de l’UE l’exigence française de sortie des traités européens, puis faire valider le fruit de la négociation par les citoyens français par référendum. Et en cas de refus de négocier ou d’un résultat non satisfaisant, nous avons un plan B : laisser les eurocrates mourir sur pied avec leur machine européenne, en sortir et proposer à tous ceux qui n’en veulent plus de travailler avec nous à d’autres cadres de coopérations. Ou pour résumer : l’UE, on la change ou on la quitte ! C’est d’autant plus praticable que l’année 2017 sera une année charnière en Europe avec la conclusion de l’accord TAFTA et la mise en chantier d’un nouveau traité budgétaire européen. Brexit ou pas, l’heure de vérité est venue. Le début de la fin de l’Union européenne est commencé.


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