Pour 53 % des Français et Françaises, l’adultère est moralement acceptable

vendredi 17 août 2018.
 

Début janvier, la Cour de cassation estimait que l’adultère n’était plus contraire à la morale. Preuve que la France est le pays des droits de l’homme, mais aussi des droits de l’homme infidèle.

Après le coq français, le cocu français

C’est une information qui en dit long et dont on parle pourtant peu : l’infidélité, en France, n’est plus contraire à la morale. C’est du moins ce dont a statué la Cour de Cassation il y a trois semaines dans le cadre d’une affaire politico-people qui serait assez quelconque si elle n’impliquait pas l’ex-première dame de France Valérie Trierweiler. Argument phare : si l’infidélité a été dépénalisée il y a quarante ans (loi du 11 juillet 1975), alors il n’y a plus de quoi fouetter un chat quand la monogamie a des ratés. Et encore moins si un magazine révèle une liaison. Pour la version officielle, « l’évolution des mœurs comme celle des conceptions morales ne permettent plus de considérer que l’imputation d’une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération ».

Alors on peut bouder, protester, sortir le champagne, les mouchoirs, et même ses photomontages pornographiques de DSK fumant un cigare avec Julie Gayet. Il n’empêche que cette décision est la dernière d’une longue lignée de micro-événements faisant de la France non seulement le pays des droits de l’homme, mais celui des droits de l’homme infidèle. Il faut bien l’admettre : de Lille à Marseille, on se trompe et se cocufie à en décorner des bœufs.

Pourquoi cette tolérance ? Peut-être, pour commencer, parce que les Français conservent une définition étroite de la tromperie – cadrée, limitée. Il en existe deux sortes : soit on est opportuniste et il s’agit d’une aventure d’une nuit ou une année, soit on opte carrément pour la double vie façon agent secret, avec deux maisons, deux abonnements à Netflix et deux labradors.

Draguer, c’est pas tromper

Aux Etats-Unis en revanche, les choses sont d’une complexité démentielle. On parle d’infidélité autorisée (en VF nous appellerions cet arrangement une union libre, certainement pas une tromperie), d’infidélité avec transfert sur objet (« elle m’a oublié depuis que nous avons acheté ce nouveau sèche-cheveux »), d’infidélité émotionnelle (platonique) qui peut être irrépressible (pour les polyamoureux en dépendance affective), d’infidélité médicale (nymphomanie), d’infidélité de revanche (« si tu fais des écarts alors moi aussi »), d’infidélité non-intentionnelle (le rêve érotique, mais aussi, dans certaines cultures, le viol subi), d’infidélité de bon droit (quand on a perdu tout lien avec son conjoint), d’infidélité de sabotage visant à détruire son couple, et enfin d’infidélité financière qui consiste à garder ses dépenses secrètes – et éventuellement ses dettes (au passage : 26 % des hommes américains aimeraient que leur statut bancaire reste privé, et 6 % ont carrément des comptes dont leurs conjoints ignorent l’existence).

Ajoutons à cela que pour la majorité des Américains, s’asseoir sur les genoux, tenir par la main, s’embrasser sur la bouche, relèvent du cocufiage. Quarante-quatre pour cent pensent que dîner avec quelqu’un est une infidélité (repose en paix, amitié hommes-femmes). Un peu dur quand on sait que quasiment la moitié d’entre nous pense à quelqu’un d’autre pendant l’amour, ou que l’infidélité par réalité immersive ne devrait pas tarder à débouler (on pourra coucher avec son mari en regardant Brad Pitt).

Repassons de ce côté-ci de l’Atlantique : la majorité des Français sont d’accord pour dire qu’embrasser c’est tromper. En revanche, draguer une autre personne que son officiel ne pose pas de problème, ce qui signifie que la séduction sort complètement de l’équation (vous pouvez donc dîner devant une côtelette d’agneau avec vos amis séduisants, et peut-être même rajuster votre décolleté tout en leur caressant langoureusement les chevilles). Aucun souci du côté des rêves érotiques ou de l’infidélité fantasmatique. Les deux-tiers des personnes en couple disent pouvoir tromper leur conjoint tout en continuant de l’aimer !

L’obsession américaine pour la vérité

Alors forcément et sans surprise… nous restons le pays d’Europe le plus prompt à aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte (si elle est verte, votre amant a une mycose aggravée et vous devriez rentrer à la maison). Selon l’Ifop en 2014, 55 % des Français ont déjà été infidèles, et 32 % des Françaises. A quoi s’ajoute un tiers d’entre eux qui pensent qu’il ne faut jamais dire jamais – et là vous obtenez un score de république bananière (coucher avec une banane, est-ce tromper ?).

Nous sommes également le pays au monde où l’infidélité est la plus pardonnée : pour 53 % d’entre nous, elle est moralement acceptable. Notre plus proche concurrent en termes d’acceptation est l’Allemagne, mais on tombe déjà à 40 %. Les Etats-Unis ? 16 %. La Turquie et les territoires palestiniens arrivent à l’autre bout du spectre avec 6 % de personnes relax sur la question.

Alors ensuite, évidemment, quitte à parler de tromperie… il faut bien voir que les chiffres sont parfois fluctuants (nous mentons aux sondeurs comme des arracheurs de dents) – c’est d’ailleurs souvent le cas entre deux études, trois sondages et dix-huit méthodologies différentes. Ainsi apprenait-on en 2014 que 7 % des Américains trouvent acceptable une liaison entre personnes mariées – un chiffre qui n’a pas augmenté depuis des lustres, contrairement à toutes, absolument toutes les autres pratiques. C’est d’ailleurs le type de relation que les Américains tolèrent le moins ! 14 % s’accommodent par exemple de la polygamie, 30 % laissent leurs ados forniquer tranquillement, 33 % veulent bien qu’on regarde de la pornographie. Tant que les liens du mariage sont respectés, ça va. On y verra sans doute un exemple de l’obsession américaine pour la vérité, voire la confession. Je ne vous rappelle pas l’affaire Clinton.

Une preuve d’esprit critique

Nous, les Français, nous gardons nos liaisons bien planquées (sauf quand nous sommes présidents). Ce qui rend le pardon plus facile puisqu’il n’y a rien à pardonner : le fameux crime sans victime.

Alors que conclure de notre situation d’exceptionalité ? Personnellement, je ne lierais cette détente ni au couple ni au sexe, mais à la laïcité. Les pays protestants sont plus « sages » que les pays latins – un énorme cliché, mais qui fait statistiquement ses preuves. Sauf que la spécificité française ne relève pas seulement d’une tradition catholique – sinon la Pologne serait une terre de débauche !

Nous sommes avant tout massivement incroyants. En 2007, nous étions 48 % à nous déclarer athées. En 2012, les anti-Dieu purs et durs et les personnes non-religieuses regroupaient 63 % de la population (les Suédois sont les champions du monde, avec 85 % de futurs résidents de l’enfer).

Alors voilà : un infidèle, originellement, est quelqu’un qui n’a pas la foi. On sait bien que l’amour est non seulement l’opium du peuple (même si ses effets sont plus proches de la cocaïne que de l’opium, mais bon, passons), mais carrément une religion. Si nous trompons et sommes trompés, c’est parce que la religion de l’amour éternel nous laisse sceptiques – une preuve d’esprit critique, plus que d’absence d’éthique. Au pays des Lumières, on laisse l’ampoule allumée dans la chambre à coucher : une invitation à entrer ?

Maïa Mazaurette Journaliste au Monde


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