Premier bilan – Après les élections régionales (Samuel JOHSUA)

mardi 22 décembre 2015.
 

- Le FN
- Le PS
- La droite
- La gauche radicale
- Et maintenant ?

Il y deux forces qui sortent gagnantes de la session électorale, une autre est en sursis, une quatrième a été laminée.

Le FN

Le FN battu au final l’est dans des conditions qui lui laissent l’avenir devant lui. Il est maintenant au niveau des votes obtenus lors de la Présidentielle, et ceci lors d’une élection locale, la moins suivie de toutes. Une première, tous partis confondus. Il n’est battu qu’avec la confirmation qu’il est le banni d’un système de copains et coquins. Il fait la preuve jamais réalisée à ce niveau qu’il n’y a plus guère de différence entre la gauche et la droite.

Il faudra reprendre attentivement la discussion sur le danger qu’il représente, et ne surtout pas se rassurer à bon compte. Par ailleurs un fait brut est qu’il continue à soulever un barrage contre lui et que donc le plafond de verre, bien que s’élevant régulièrement, est toujours en place. Mais barrage limité, puisque malgré le danger patent, l’abstention, bien qu’en fort recul, reste à un très haut niveau. De plus tout indique qu’il y dispose encore de réserves (en Paca près de 40% des nouveaux votants au second tour sont allés au FN). Rien de plus risqué politiquement que de considérer que tout ce qui s’abstient est potentiellement de gauche.

Tout ceci est sans doute insuffisant pour une victoire du FN en propre, mais peut-être pour continuer à peser, jusqu’à la rupture, sur LR. Il faut noter qu’en partie les passages vont dans les deux sens, la victoire de Pécresse étant liée au final au passage léger mais suffisant d’électeurs FN vers LR. Le FN ne va pas jusqu’au triomphe, mais il reste le vainqueur politique de l’élection.

Il nous faut donc reprendre et approfondir la discussion sur la nature, les limites et les potentialités du FN. Est-ce encore, comme le dit Mélenchon, principalement un « parti de mécontents » ou de « protestataires » (on ne proteste pas pendant 20 ans, si...) ? Est-il devenu et dans quelle mesure un parti de contre-pouvoir qui aspire au pouvoir ? Rappelons aussi les choses qui font mal. Il a attiré de manière très significative des votes jeunes (très jeunes même) et le vote ouvrier, même s’il faut tenir compte de l’abstention beaucoup plus importante dans ces deux catégories. Ce n’est pas nouveau mais c’est confirmé et un peu amplifié. Et, même si ce n’est pas directement lié, Il a désormais une pléthore de jeunes cadres qui prouve que son appareil attire une couche de militants « nouvelle ».

Le PS

Le second gagnant, relatif dans ce cas, est le PS. Momentanément. Il tient le coup, de tous les points de vue. Il ne s’effondre pas en termes de régions conservées, et il perd les autres d’assez peu. Alors que, avec l’impopularité qu’il avait, il aurait dû payer bien plus cher. Certes il disparaît au Nord et dans le Sud Est, mais, de son point de vue, « avec les honneurs ». Surtout les reports EE et FG ont été bons, meilleurs en tout cas que lors des municipales, comme si « la gauche » résiduelle faisait corps au moment du danger . Les appels de plus en plus violents à la rupture avec lui ne semblent pas suivis d’effet de masse sensible parmi celles et ceux qui votent, même s’ils sont portés au-delà de la colère y compris dans de nombreux secteurs parfois proches de nous.

Or il obtient tout ceci avec la politique qu’il mène, l’ayant durcie (et même au-delà) sur le plan sécuritaire, « républicain » à la Valls, et en obtenant plus de 80% de soutien à la politique d’état d’urgence et de guerre. S’y ajoute ce qui est présenté comme un succès incontestable à la COP 21 (et qui l’est symboliquement, même si bien entendu le problème reste entier, voire aggravé par l’inaction actée pour les 5 prochaines années au moins, et la nature même de l’accord). Tout se passe comme s’ils avaient atteint un palier dans le désaveu, se maintenant à un très bas niveau (jamais la gauche n’a été aussi basse, ne pas se laisser prendre aux effets des modes de scrutin qui font gagner des régions à partir de 35%), mais stabilisés.

On peut supposer que cette ligne, en fait gagnante par défaut, va se poursuivre et s’approfondir, en faisant pression sur le reste de la gauche pour un ralliement définitif. Avec une bonne chance de réussite pour EE. Il n’y a qu’à voir la manière dont a été saluée chez eux la COP21, et l’entretien donné au Monde par Dufflot appelant à une nouvelle « coalition » de gauche. Mais le fond : la politique d’austérité qui ne marche pas puisqu’il y a toujours autant ou plus de chômeurs, la politique de sécurité qui ne marche pas puisqu’il y a toujours autant d’insécurité en particulier sociale, le fond reviendra au premier plan. Et, évidemment, avec une grosse difficulté qui est la quasi impossibilité maintenant d’obtenir une vraie baisse du chômage à temps. En plus, la perte massive d’élus dans les nouvelles régions est un fait incontournable qui va lui couter cher à moyen terme. Mais tout ceci n’est en rien incompatible avec les intentions de Valls. En finir avec la gauche (même si ne sont que des sondages, 70% des sondés se disent favorables à l’union droite/gauche). Et pour les autres dirigeants socialistes, c’est une option très « politicienne », à la Hollande et Cambadelis : compter sur le danger FN, plus sur la cassure de la droite, mettre la gauche au pas, et puis à Dieu va. Une politique dont le danger, indépendamment même de sa coloration droitière, est des plus éminents.

La droite

A court terme au moins, la droite est en difficulté, et LR est en sursis. Ils obtiennent bien moins que le niveau du désaveu du pouvoir aurait du leur permettre d’obtenir. La montée du FN a pris tout le bénéfice de ce désaveu, et ils sont eux-mêmes à un étiage bas jamais atteint aussi pour la droite (ceci est un effet automatique qu’il n’y a plus que 70% à se partager). Le problème ici est à la base, pas en haut. Pas seulement en haut. Les idées FN gagnent d’évidence à LR, même s’il y a une limite, délicate à prévoir. Certes, plus profondément, cette limite est liée à la question européenne, au néolibéralisme, à la mobilisation du grand patronat (Gattaz), à l’effroi que le FN continue à susciter dans les milieux artistiques et autres. Mais le choix de Sarko est clairement de suivre la pente populiste en essayant de maîtriser ensuite. Outre que c’est dangereux en tant que tel, la cassure de la droite serait alors certaine s’il l’emporte sur ces bases. Peut-être une candidature Juppé, sinon certainement Bayrou. Bref alors qu’ils devraient n’avoir plus qu’à se baisser pour ramasser les morceaux, ils sont mal en point.

La gauche radicale

Moins que nous de la gauche radicale cependant, qui sommes les défaits toute catégorie de la séquence. Bien entendu il y a les erreurs commises les dernières années que nombre de textes analysent. En particulier proclamer à tous vents qu’il faut faire de la politique autrement tout en la menant sans guère changer. Mais fondamentalement, c’est la traduction de l’état du mouvement social depuis 2010. Les effets de 2010 ont joué positivement jusqu’à 2012, mais ensuite c’est la dégringolade, accentuée encore par l’échec grec.

Je l’ai déjà expliqué ailleurs, il y a toujours eu trois racines au vote pour la gauche radicale. La première, d’adhésion au « programme », ou au moins aux valeurs de gauche fièrement revendiquées. La crédibilité de cette racine est atteinte de plus en plus profondément, ceci venant de loin (conditions de la chute du Mur) ou de plus près (limite puis échec des montées de masse avec l’altermondialisme, puis celle des tentatives électorales, avec la Grèce ou encore, géographiquement éloignée, mais quand même, l’inversion droitière en Amérique Latine). Sans compter la confusion générale qui a suivi les révolutions arabes. Bref cette « racine », sans laquelle il est difficile d’avoir de l’ambition, est atteinte depuis que, encore plus qu’hier, la perspective socialiste semble disparaître de la surface de la Terre.

La deuxième racine est « protestataire » pour ceux et celles qui veulent renverser la table tout en étant décidés à ne pas tomber dans le racisme. Déjà, compte tenu de la montée du racisme, cette part est affaiblie. Surtout nous ne sommes plus un haut parleur de la protestation suffisamment puissant. Enfin une part, dont je pense qu’elle a toujours été importante, est celle qui vote pour nous en vue de faire pression à gauche sur le PS. Mais compte tenu de l’évolution du PS, surtout avec Valls, cette fonction s’éteint : plus personne ne pense sérieusement qu’on puisse « faire pression » sur le PS. D’où au final un émiettement entre l’abstention de gauche (qui nous touche bien plus, d’après les sondages) et des votes directement pour le PS pour cause de danger FN. Ceci n’exonère en rien nos erreurs, mais permet de saisir la nature plus profonde des difficultés.

La mise en crise de la troisième racine, celle de « la pression », va légitimement nous conduire à accentuer la rupture avec le PS. C’est certainement logique et inévitable, d’autant plus si le positionnement sécuritaire et guerrier se solidifie. Mais, outre que ça contribuerait à la coupure avec la frange, déclinante mais qui continue à rester avec nous pour cet élément de « pression », il n’y a aucune raison que cela nous renforce politiquement et électoralement parce que la crise des autres racines (crise de « crédibilité ») ne serait pas levée pour autant. Et tout ceci boucle sur le fondamental, l’atonie du mouvement social. Comme cela a été dit cent fois, si ce n’était pas le cas, ça se verrait dans les scores de LO et du NPA dont la rupture avec le PS est certainement plus net que celui du PCF...

Résultat qui n’est pas si étonnant : il est difficile de surmonter seulement « politiquement » un tel état d’atonie sociale. Se méfier aussi d’une vision trop extérieure du mouvement social lui-même, pas seulement atone mais porteur des mêmes contradictions en son sein. Les divisions stratégiques profondes, il les vit aussi. En pire d’ailleurs (la CFDT a une orientation au moins aussi à « droite » que celle de Valls). Et il faut tenir compte des signaux inquiétants des votes FN donnés par ceux et celles qui se disent proches d’un syndicat. En sens inverse, il reste la constance des sondages présidentiels qui attribuent de 9 à 11% à Mélenchon (seul testé pour le FG). A discuter, là encore.

Et maintenant ?

Et maintenant ? De tous côtés monte l’idée qu’il faut prendre acte de l’échec (du FG, du NPA, de Ensemble !, de tout…) et agir pour « changer tout ça », « à partir des gens eux-mêmes ». C’est certainement vrai. Sans « les gens » on est condamnés à perpétuité, et c’est eux qui détiendront la clé au final. Mais ce n’est pas plus clair pour autant. S’en remettre « aux gens » sans plus de précision, en pleine période de recul de nos idées principales, est un pari qu’on peut sans se tromper considérer comme risqué. Une fois de plus il convient de le rappeler : on ne peut pas inventer « les Indignés » juste parce qu’on voit bien que c’est ce qu’il faudrait. Il y a ou il n’y a pas. Et…il n’y a pas. Ou pas à la hauteur ; le maximum que nous ayons étant la mobilisation écologiste (encore heureux), mais qui d’un côté ne s’étend pas et de l’autre reste modeste.

Croire que dans ces conditions « les citoyens » mis en tas seraient spontanément plus convergents et portés par l’espoir que les partis faillis est juste un credo religieux. On en veut pour preuve le nombre de personnes qui à la fois plaident pour s’ouvrir « aux citoyens », tout en développant sur Facebook ou ailleurs des pages personnelles entières sur ce qu’il faut absolument faire et décider, contenus auxquels manifestement ils croient dur comme fer, et cochon qui s’en dédit. Sans se soucier que d’autres « citoyens » disent exactement l’inverse. La plus grande ouverture revendiquée, alliée au plus grand dogmatisme (voire d’un dogmatisme violent ne rechignant pas à l’insulte le cas échéant), encore un signe de la crise de la gauche radicale.

C’est que non, définitivement non, nous n’avons pas seulement à faire à une question « de forme » (aussi, mais pas que). Il y a nombre de questions de fond qui freinent vraiment. En voici quelques unes. D’abord la question européenne. Le bilan grec conduit (je crois) à renforcer l’aspect rupture indispensable avec la zone euro (laissons de côté comment on y parvient). Mais nous avons le plus grand mal à distinguer la souveraineté populaire (sans laquelle il n’y a que soumission) de la souveraineté nationale. Or celle-ci, préemptée par le FN, va de pair avec la fermeture des frontières, en particulier aux migrants. Formellement une ligne du type : « rupture avec l’Europe du Capital, ouverture aux peuples du monde » est une ligne qui se tient. Mais elle n’a guère le rapport de force pour ne pas alimenter en priorité le FN, les gens ne retenant que « rupture avec l’Europe ». Voilà une première question à clarifier d’urgence.

Une deuxième est la manière de conquérir un « accommodement raisonnable » (selon le terme utilisé au Québec, mais dont le contenu soulève là bas aussi des polémiques sans fin) pour les musulmans de France dans le cadre de « principes républicains » qui ne soient pas ceux de Valls et des néo conservateurs. Toute la gauche est divisée profondément à ce propos, et la gauche radicale y compris, même si des principes communs sont quand même à l’œuvre de ce côté du camp politique. Et c’est une question de fond, pas de forme.

Moins immédiatement décisive, mais quand même, il y a la question de la guerre et « du terrorisme ». L’idée du « retrait » pur et simple de la France a ses adeptes, mais laisse de côté les populations qui se battent sur des positions à soutenir (les kurdes, certaines fractions de l’ASL) ; de l’autre côté l’idée d’un accord avec Assad, l’Iran, les russes gagne du terrain (elle est majoritaire dans le pays désormais, à gauche aussi probablement, et peut-être influente dans la gauche radicale aussi).

Ajoutons y la place décisive (pour nous oui, pas pour d’autres) de l’écosocialisme et la place donnée « à la croissance » qui en découle. Tant que ces questions ne sont pas résolues (et il y en d’autres), c’est difficile d’imaginer un regroupement joyeux de la gauche radicale et écologiste.

Enfin une question de fond supplémentaire. Si l’on se fie à ce qui vient de l’Etat espagnol et qui semble « marcher », le « fond » », le contenu de ce nous appelons là bas gauche radicale (et qui n’est pas le terme retenu par Podemos) est …bien peu radical. Dans l’état des rapports de force que nous connaissons c’est sans doute inévitable. Pareil pour le « fond » du succès de Corbyn en Grande-Bretagne. Nous devons très probablement nous aussi viser un regroupement très vaste, en rupture avec les chefs du PS, mais donc, par définition, avec un degré de « radicalité » relativement. De radicalité cohérente devrait-on dire, puisqu’on peut trouver des radicaux confirmés sur un terrain (l’écologie par exemple) sans connexion avec les autres, c’est une partie du problème.

Et ensuite, bien entendu, se posent les questions « de forme » qui nous travaillent tous. Nombre de camarades avancent qu’il faut commencer par là pour aborder le reste. Se donner le cadre ouvert et unitaire, et le faire sérieusement, et alors que cent fleurs s’épanouissent. Peut-être. Mais, en l’absence du mouvement des masses pour donner la direction et imposer l’union, c’est loin d’être évident. En tout cas ça mérite une discussion qui ne soit pas juste la constatation que ce dont nous disposons est en crise décisive. La prise de conscience d’un problème n’est pas synonyme de sa solution.

Samy Johsua


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