Martinez (CGT) : « L’union nationale, ce n’est jamais bon pour la démocratie »

mercredi 25 novembre 2015.
 

Alors que l’union nationale voulue par François Hollande anesthésie les discours politiques à gauche, la CGT s’est fendue mercredi 18 novembre d’un communiqué critique sur la politique menée par le gouvernement depuis les attaques à Paris. Taxé d’angélisme, Philippe Martinez, premier secrétaire de la centrale cégétiste, s’explique.

Tout d’abord, comment comprenez-vous les très rares critiques entendues depuis l’instauration de l’état d’urgence et pourquoi est-ce la CGT, un syndicat, qui tient publiquement cette position en rédigeant un communiqué très critique ?

Philippe Martinez. Il y a eu une déclaration commune d’un certain nombre de syndicats, mais nous sommes allés, c’est vrai, un peu plus loin dans notre analyse. Pourquoi nous ? On s’appuie sur notre vécu au travail, sur notre expérience comme syndicalistes, et c’est peut-être ce qui manque à d’autres. Le lien que nous avons avec les salariés nous oblige à considérer les questions sociales autour de ce sujet.

Mais vous ne vous bornez pas aux questions sociales, vous prenez aussi position sur l’intérêt ou pas d’aller mener une guerre plus affirmée en Syrie ?

Nous avons une petite expérience en la matière depuis 150 ans et l’analyse que l’on en tire, c’est qu’à chaque fois qu’on nous a dit qu’il fallait faire la guerre pour régler le problème, le problème se développe. Car quand on bombarde, on ne fait pas de différences entre les gens, ce sont des bombes qui tombent sur des femmes, des enfants, des hommes… Et après on s’étonne qu’ils fuient et quittent leur pays ! Je le dis souvent aux militants : en France aussi, pendant la Seconde Guerre mondiale, un exode a eu lieu. Donc cette position pacifiste est dans les gènes de la CGT.

Nous avons toujours porté ces valeurs-là, et même si les conditions sont un peu différentes aujourd’hui, on doit être là pour les porter.

Et vous ne vous sentez pas trop seuls ?

Vous savez, à la CGT, on est parfois seuls mais c’est pas pour ça qu’on ne dit que des bêtises… Pour avoir un vrai débat, il faut des avis contradictoires. Sous cette notion d’union nationale, on a peut-être tendance à vouloir lisser les commentaires et les arguments. Ce n’est jamais bon pour la démocratie.

Sur la question des libertés, êtes-vous inquiet en tant que membre du mouvement social des restrictions possibles ?

On peut être inquiet, oui, c’est pour ça qu’on interpelle tout de suite le gouvernement. Il faut veiller à plus de sécurité et d’ailleurs on pourrait certainement se donner les moyens d’en faire encore plus, en termes d’effectifs. Y compris, je pense, pour les soignants.

On a vu l’engagement des personnels de santé, qui venaient de quitter le travail et qui y sont retournés sans se poser de question. C’est vraiment ça, à mon sens, le service public, et ça méritait sans doute plus que des remerciements au moment où il y a plein de conflits à l’hôpital... Mais oui, nous avons des craintes car une politique de sécurité et une politique sécuritaire, ce n’est pas tout à fait la même chose. Il y a le risque de pouvoir par là-même bâillonner toute forme d’expression. Or les problèmes sociaux restent entiers, et exigent des mobilisations.

Ce qui vous inquiète, c’est qu’on ne puisse plus se rassembler ou la mise sous surveillance du corps social ?

Les deux. Il y a la surveillance individuelle, on va pouvoir bientôt écouter tout le monde, et nous avions d’ailleurs déjà critiqué la loi sur le renseignement à ce sujet. Et puis nous avons peur aussi pour les libertés collectives, le droit de se rassembler, de contester. Estce que les salariés d’Air France, par exemple, doivent accepter les licenciements sans réagir ? Ce sont de vraies questions.

Vous estimez également que pour lutter contre la radicalisation, il faut plus de social, plus de justice, plus d’égalité. C’est selon vous la raison numéro un de la dérive de certains Français vers Daech ?

Non, c’est l’une des raisons, et malheureusement, elle n’est pas évoquée. Si on ne lutte pas contre le chômage, la précarité, l’isolement et notamment des plus jeunes, si on les maintient exclus du travail, on les rejette vers des solutions qui ne sont pas les bonnes. On sait bien que même s’il y a beaucoup de choses à faire pour améliorer les entreprises, rentrer dans un collectif de travail permet des échanges, une vie en société, un enrichissement collectif. Tout ça pousse à d’autres aspirations que celles d’aller se faire exploser dans une foule au nom d’une idéologie nauséabonde.

L’intégration par le travail, c’est essentiel pour nous.

La CGT, comme le reste de la société, est traversée par des mouvements contradictoires. Comment la base militante perçoit-elle ce que vous venez de déclarer au sein du bureau confédéral ?

Je viens de faire une assemblée de militants ce matin dans le Doubs, on était une centaine, je n’ai pas entendu de réactions négatives à ce communiqué. Et en même temps, c’est notre rôle aussi, plutôt que de faire comme si le problème n’existait pas, de faire réagir, de planter le décor. La pire des choses, c’est que chacun reste dans son coin avec en tête quelque chose de si traumatisant. Il ne faut pas croire, même en province, même loin de Paris, c’est traumatisant. Donc il vaut mieux clairement dire ce que l’on pense et après on en discute. Ça suscite des questions, sur le racisme c’est clair qu’il y a des tensions. Mais ne pas en parler serait grave dans une organisation comme la nôtre, avec ce qu’elle pèse dans le pays.

Il y a eu aussi des victimes parmi la CGT ?

Oui, une responsable d’une union locale était avec sa fille au Bataclan, et donc deux militantes de la CGT ont été tuées. Un camarade de la métallurgie également. Nous sommes touchés directement, comme beaucoup de familles.

Enfin sur la journée du 2 décembre, cela reste une journée d’action sociale ou le mot d’ordre a-t-il changé ?

C’est une journée d’action sociale. Après Air France, nous avions dit non à la violence sociale. Autour de cette affaire, dans tout le pays, il s’agit de continuer à plaider pour le progrès social (les manifestations seront autorisées ou pas, selon les préfectures, précise le service de presse de la CGT, ndlr). Nous sommes contents de constater que le pacte de stabilité pouvait être contourné, ce dogme qui paraissait si inébranlable. Eh bien, c’est le moment ou jamais : allons-y, fixons-nous des priorités. Le social en est une.


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