Après les attentats du 13 novembre : Ce que signifie l’instauration de l’état d’urgence

mercredi 25 novembre 2015.
 

Régime d’exception, l’état d’urgence n’a été appliqué que deux fois en dehors des événements de la guerre d’Algérie : en 1984 pour la Nouvelle-Calédonie et en 2005 à la suite des émeutes dans les banlieues. Le chef de l’État envisage sa mise en place pour trois mois.

Que signifie précisément l’état d’urgence décrété par François Hollande le 14 novembre ? L’état d’urgence est un régime d’exception qui renforce les pouvoirs de l’exécutif à des fins de sécurité, sur tout ou partie du territoire. Il permet de restreindre les libertés de circulation, de réunion et d’expression, dans des conditions fixées par la loi du 3 avril 1955. Il peut être déclaré « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant par leur nature ou leur gravité le caractère de calamités publiques ». L’état d’urgence est décrété pour douze jours, soit jusqu’au 26 novembre, au-delà desquels il ne peut être prorogé que par le vote d’une loi. C’est la direction prise par l’exécutif : selon une information du Figaro dont Mediapart a obtenu confirmation, François Hollande a l’intention de demander la prolongation de l’état d’urgence pour trois mois.

Il faut souligner que l’état d’urgence n’est pas le seul régime d’exception. Il en existe deux autres plus sévères : l’état de siège, qui ne peut être déclaré qu’en cas de menace imminente d’une armée étrangère ou d’une insurrection armée, et le niveau le plus élevé, les pleins pouvoirs, définis par l’article 16 de la Constitution, qui donnent au président de la République des pouvoirs exceptionnels, « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate ».

Les modalités précises de l’état d’urgence sont fixées par décret. Deux décrets ont été passés et sont entrés en vigueur le 14 novembre (2015-1475 et 2015-1476). Le premier spécifie que pour toute la durée de l’état d’urgence, le 1° de l’article 11 de la loi de 1955 est appliqué. Ce paragraphe confère au ministre de l’intérieur et aux préfets de département « le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ».

À noter que l’article 11 comporte un deuxième paragraphe qui permet aux mêmes autorités de « prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Ce paragraphe n’étant pas mentionné dans les deux décrets, l’état d’urgence actuellement en vigueur ne comporte pas de mesures de censure de la presse ou des médias.

D’après le deuxième décret, sur l’ensemble du territoire métropolitain, les préfets de département disposent de très importants pouvoirs de contrôle sur la liberté de mouvement. Ces pouvoirs, détaillés par l’article 5 de la loi du 3 avril, sont : « 1° D’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixées par arrêté ; 2° D’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; 3° D’interdire le séjour dans toute ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics. »

Ce n’est pas tout. Le régime décidé le 14 novembre permet aussi de mettre en œuvre une série de mesures « sur l’ensemble des communes d’Île-de-France ». Elles sont énumérées dans les articles 6, 8 et 9 de la loi du 3 avril.

Selon l’article 6, le ministre de l’intérieur peut assigner à résidence toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics ». L’article précise qu’en aucun cas « l’assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées », et que l’autorité administrative devra « assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que de leur famille ».

L’article 8 concerne surtout les loisirs et expose que le ministre de l’intérieur ou le préfet de département peuvent « ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ». L’article ne précise pas les motifs qui doivent justifier cette fermeture provisoire. Il indique que « peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre ».

L’article 9, enfin, permet aux autorités d’« ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories ». Schématiquement, la première catégorie comprend les armes de guerre, la quatrième les armes dites de défense et la cinquième les armes de chasse . Les armes de deuxième et troisième catégorie ne sont pas mentionnées car il s’agit de matériels de guerre peu courants comme, par exemple, ceux qui sont destinés à la guerre chimique ou incendiaire.

Même si ce régime d’exception n’est pas, comme on l’a vu, le niveau le plus élevé de renforcement de l’exécutif, l’état d’urgence représente déjà un très haut niveau de contrôle sécuritaire. La loi du 3 avril 1955 avait été instaurée pour faire face aux événements de la guerre d’Algérie et a été appliquée de 1961 à 1963 par le général de Gaulle. Elle n’a ensuite été réactivée qu’à deux occasions : en 1984 par le gouvernement de Laurent Fabius en Nouvelle-Calédonie, à la suite des tensions meurtrières entre Caldoches et indépendantistes, et en 2005, par Jacques Chirac, dans vingt-cinq départements, à la suite des émeutes dans les banlieues.

À l’époque, Dominique de Villepin, qui était à l’origine de la mesure, l’avait annoncée au 20 heures de TF1, sans oser prononcer les mots « état d’urgence », craignant, selon Le Monde, de donner l’image d’une France « à feu et à sang ». On n’en est plus là.

MICHEL DE PRACONTAL


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