Pourquoi le Front national est-il l’ennemi du monde du travail ?

dimanche 25 octobre 2015.
 

Décryptage par Alain Hayot, délégué national à la culture du PCF, Valérie Igounet, historienne, spécialiste du négationnisme et Mourad Lafitte, réalisateur.

A) Marine, Marion, Jean-Marie, ou l’ordre inégalitaire établi

par Alain Hayot Délégué national à la culture du PCF

Le poids du lepénisme pèse lourdement sur l’air du temps. Il éclaire la vraie nature du parti du clan Le Pen, plus uni que ne le laisse voir la tragi-comédie qu’il nous sert. Le FN donne le la au débat politique. On le mesure entre autres aux ignobles propos de Nadine Morano ou au fait que Sarkozy prétend combattre le FN tout en calquant sa vision sociétale sur celle des lepénistes.

La crise des réfugiés fonctionne comme un révélateur de la collusion idéologique autour du thème de la fermeture. La reculade de Merkel suivie par Hollande et les autres dirigeants européens donne des ailes à Marine Le Pen. Elle parle, contre toute réalité, de «  submersion migratoire  ». Le fantasme du «  grand remplacement  » n’est plus très loin comme il ne l’est pas non plus dans les propos de Fillon, Estrosi ou Ciotti. Ils légitiment ainsi les peurs agitées par Marine, Marion et Jean-Marie Le Pen.

Ainsi de l’appel au repli nationaliste qui exacerbe la haine de ces «  barbares  » venus des mondes arabo-musulman et africain, ces galeux d’immigrés auxquels le FN veut retirer le droit du sol au nom de la priorité nationale. Comme si le logement, l’hôpital ou l’école souffraient d’abord de la présence étrangère  ; comme si notre histoire ne témoignait pas du fait que le genre humain n’a ni souche ni racine mais un cerveau pour penser, des langues pour échanger, des pieds pour bouger et une conscience pour éprouver son unité.

Ainsi de la culture où le FN tente d’exploiter le désarroi identitaire de millions de Français dans une Europe et un monde qui leur échappent. Dans les communes qu’il dirige, le FN pratique la censure. Dans le pays, il mène des actions violentes contre la création contemporaine qualifiée au mieux d’élitiste, au pire de pédo-pornographique. Ce que rejette le FN, mais aussi de nombreux élus de droite, c’est la capacité de l’art à transgresser le réel, à inventer et à anticiper le changement. Le FN prétend savoir ce que le peuple veut en matière culturelle. En vérité, il veut l’enfermer dans une vision passéiste et sclérosée du patrimoine et dans une forme de divertissement déconnectée de toute portée critique et émancipatrice.

Ainsi du monde du travail où la situation à Air France a montré la convergence du FN avec le patronat, le gouvernement, les forces politiques et les médias qui s’en sont pris avec une violence inouïe aux salariés. Là encore, les Le Pen, Philippot ou Collard ont étalé leur haine de classe. Contrairement au discours social qu’ils tiennent, ils n’ont pas eu un mot de solidarité avec les salariés, encore moins d’attention à leur détresse face aux licenciements. Philippot en a même rajouté en menant une charge contre les syndicats, accusés de politiser les enjeux. Comme si l’économie et l’emploi ne dépendaient pas de choix politiques. Ainsi des élus régionaux FN qui ont systématiquement voté contre toutes les délibérations qui allaient dans un sens social et culturel au service des populations et des territoires et dont toutes les interventions transpiraient la haine et le racisme.

Il est désormais clair, pour ceux qui en doutaient encore, que la dédiabolisation ne consiste pas à changer la nature du FN. En s’adaptant aux enjeux contemporains, il s’agit une réponse d’extrême droite, nationaliste et populiste, xénophobe et autoritaire aux peurs engendrées par la crise capitaliste et sur laquelle la famille Le Pen est sur la même longueur d’onde. Au point que le père a qualifié le discours de sa fille à Marseille de «  jean-mariste  » et que la nièce se retrouve chez l’une comme chez l’autre.

Le FN ne veut pas d’une société de liberté pour les individus, d’égalité et de droit pour tous, encore moins de fraternité entre chacun-e-s quelles que soient ses origines et ses convictions. C’est la démocratie qu’il combat avec ceux qui n’hésitent plus à s’associer à lui pour conserver l’ordre inégalitaire établi et pour s’opposer à toute marche populaire et citoyenne vers l’émancipation. En résumé, le FN n’est jamais que la roue de secours d’un néolibéralisme aux abois.

B) Le FN, parti de la classe ouvrière  ?

par Valérie Igounet Historienne, spécialiste du négationnisme

Le FN de Marine Le Pen est-il un nouveau parti au discours social  ? Fait-il aujourd’hui de la «  politique pour le peuple  », comme il s’y engage  ? Bien avant que le FN ne devienne la propriété de Marine Le Pen, il affichait cette stratégie. À l’occasion de son 7e congrès (novembre 1985), il appelait notamment les ouvriers à rejoindre le FN, qui se posait en défenseur d’un «  système de création de richesses pour tous et non (d’)un système qui ne favoriserait que les riches  ». Le secrétaire général, Jean-Pierre Stirbois, soutenait depuis longtemps cette idée – le FN doit attirer l’électorat populaire – basée sur deux principes  : donner une assise électorale large au parti d’extrême droite et développer le discours «  social  ».

À l’occasion de la présidentielle de 1995, le FN s’affiche comme le «  premier mouvement ouvrier de France  » et affirme que «  30 % des ouvriers  » ont voté pour lui. Ce constat est, entre autres, le résultat du travail de Bruno Mégret qui a développé une stratégie d’implantation au sein du FN, en se concentrant notamment sur le combat social, «  troisième pilier de crédibilité  » de son programme après «  l’insécurité  » et la «  lutte contre l’immigration  ». À partir de la fin 1995, le FN crée des sections syndicales au sein de plusieurs secteurs professionnels.

Pour la première fois, Jean-Marie Le Pen arrive en tête chez les ouvriers et les chômeurs. Dans Ces Français qui votent Le Pen (Flammarion, 2002), Nonna Mayer parle d’«  ouvriéro-lepénisme  ». «  Ce sont, précise la politologue, avant tout des ouvriers qui se tournent vers le Front national (...). Et ils ne sont pas nécessairement de gauche (…). Il ne s’agit pas de n’importe quels ouvriers, mais de la fraction la plus “ouvrière” d’entre eux  ».

Depuis la présidentielle de 2012, et sur ce point, le profil de l’électeur frontiste n’a pas foncièrement évolué  : il est peu diplômé, assez jeune. Ce sont des employés, artisans, commerçants et ouvriers qui, dans leur majorité, votent FN. Pour cette dernière catégorie, l’évolution est significative. En 1973, moins de 3 % d’ouvriers ont déposé un bulletin de vote FN dans l’urne. Aujourd’hui, ils sont près d’un tiers à le faire. Ce sont les ouvriers de droite qui votent FN en réaction au socle frontiste immigration-insécurité et non ceux de gauche qui, eux, ont choisi majoritairement François Hollande pour le premier tour de la présidentielle de 2012. Cette partie de l’électorat frontiste ne vient donc en aucun cas de la gauche. Selon Florent Gougou (1), ce sont de «  nouveaux ouvriers qui entrent dans le corps électoral  ».

Le FN de Marine Le Pen se présente aujourd’hui comme le représentant des catégories ouvrières et populaires  : antilibéral, souverainiste, républicain et laïc. Certaines de ses villes laboratoires se situent dans des berceaux de l’électorat de gauche. Dans ces territoires, les discours des maires et représentants frontistes surfent sur la misère, reprennent les thèmes de l’insécurité sociale, et critiquent les patrons et la mondialisation. L’objectif du FN  ? En s’appuyant sur les résultats des diverses élections depuis les municipales du printemps 2014, Marine Le Pen désire implanter le FN dans les territoires français, affirmer une crédibilité politique dans un ensemble de domaines et montrer sa «  normalisation  ». Aujourd’hui, on ne voterait plus FN seulement pour sa thématique anti-immigration. Le reniement de l’antisémitisme du père pourrait parachever l’édifice purement artificiel d’un discours social mis en place depuis de longues années.

(1) «  Le FN, parti des ouvriers  ?  », note de la Fondation Jean-Jaurès, février 2014.

C) Un parti mutique lors des conflits sociaux majeurs

par Mourad Lafitte Réalisateur

«  Aujourd’hui nous allons gagner la région et demain, en 2017, nous gagnerons le cœur de la nation  », annonce Marine Le Pen, devenue «  candidate des oubliés, des petits aux grands problèmes  ». Mais de qui, de quoi parle-t-elle  ? Son discours n’est rien d’autre qu’une litanie démagogique emplie d’inepties, d’incohérences et d’ignorance  ! Celle qui laisse entendre que le Front national et ses représentants se démarquent du système politique actuel, fustigeant notamment le cumul des mandats, semble pourtant s’y complaire puisqu’elle indique clairement dès le lancement de sa campagne que la région n’est qu’un tremplin vers l’Élysée.

Ainsi les choses sont plus claires  : Marine Le Pen, qui ne veut pas que cette grande région soit «  sacrifiée par la réforme territoriale  », qui s’évertue à être «  la candidate de l’équilibre des territoires  » et qui défend la proximité avec les «  petits  », préfère malgré tout le confort du château de Montretout aux maisons des corons  ! Toutes ses affirmations démontrent son incurie et une parfaite ignorance de la région dont elle prétend prendre la tête.

Quelles que soient les formes employées, c’est toujours la même rengaine, avec l’éternel cortège de thèses xénophobes sur ces étrangers coupables de voler l’emploi, le logement, les prestations sociales des Français  ; instrumentalisant la peur, banalisant le racisme, normalisant la haine de l’autre. Pourtant, depuis le XIXe siècle, la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais sont terre d’accueil, de passage et d’immigration.

Marine Le Pen a-t-elle conscience du sang versé par ces hommes et ces femmes venus d’horizon divers  ? 1914, la France fait appel aux combattants de ses colonies  : Marocains, Algériens, Tunisiens, Sénégalais, Malgaches, Kanaks, Indochinois. Durant ces quatre années de guerre, 250 000 soldats enrôlés, 75 000 tués ou portés disparus pour libérer la République. 1939, le plan Mandel (ministre des Colonies) lance une mobilisation des troupes coloniales d’Indochine, du Maghreb et d’Afrique dans la Somme. Une seconde fois, les régiments coloniaux payent un lourd tribut. Concernant l’emploi que Marine Le Pen affecte de mettre au cœur de ses préoccupations, en prétendue défenseure de la classe ouvrière, peut-elle occulter que l’agriculture, l’industrie du textile, de la chimie et les charbonnages ont, de tout temps, fait appel à une main-d’œuvre étrangère (belge, polonaise, algérienne, marocaine, portugaise…)  ? Une immigration qui a façonné l’histoire de cette grande région et contribué ainsi à son essor économique.

En revanche, silence total à propos des vrais coupables tel le prédateur Bernard Arnault, multimilliardaire, 13e fortune mondiale basée sur le démantèlement du groupe Boussac-Saint-Frères. Deux mois seulement après la reprise du groupe, plus de 3 000 suppressions d’emplois dont plus de 500 dans la Somme, laissant une vallée de la Nièvre totalement dévastée où la 3e génération de demandeurs d’emploi et de précaires voit le jour. «  Les Français me connaissent mais les habitants de la région me connaissent mieux encore. Ils m’ont vu les défendre durant douze ans, au conseil régional  », affirme-t-elle. Pourtant, lorsque la région a connu des conflits sociaux majeurs (Conti, Goodyear notamment) avec des milliers d’emplois supprimés, les élus du FN siégeant dans les collectivités concernées (région, communes…) ont fait preuve d’un étonnant mutisme  : pas un vœu, pas une motion, pas la moindre manifestation de soutien à l’égard de cette classe ouvrière si durement malmenée par une autre classe à laquelle ils appartiennent. Alors oui, si Marine Le Pen aspire à diriger la région, elle n’en connaît pas l’histoire et n’en respecte pas les valeurs humaines. Drapée dans son étendard fait de peur et de néant, son seul argumentaire est un discours populiste d’un autre âge, pareil à celui des ligues factieuses de 1934, qui ne doit plus abuser personne.

Source : http://www.humanite.fr/pourquoi-le-...


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