Pétain et la droite sont largement synonymes

mercredi 2 septembre 2015.
 

Les fondamentaux idéologiques du pétainisme restent prégnants dans la droite française. Seul les contextes de 1940 et 2015 sont différents... jusqu’à quand ?

A) Pétain hante toujours la droite française

La figure du chef du régime vichyste, soixante-dix ans après son procès, reste majoritairement taboue 
à droite. Des fondamentaux politiques et sociétaux de sa « Révolution nationale » ressurgissent 
pourtant de plus en plus dans les thématiques imposées par la droite et l’extrême droite.

Il y a soixante-dix ans, le 15 août 1945, Philippe Pétain était ­reconnu coupable de haute trahison et d’intelligence avec l’ennemi par la Haute Cour de justice. Le numéro un du régime collaborationniste de Vichy était frappé d’indignité nationale, condamné à la confiscation de ses biens et à la peine de mort, qui sera commuée en emprisonnement à perpétuité par le général de Gaulle. Que reste-t-il de l’ancien maréchal, en 2015, en dehors de son passé ­militaire et au-delà de ses adorateurs d’extrême droite, qui se réunissent marginalement le 23 juillet pour fleurir sa tombe sur l’île d’Yeu  ? «  Son héritage, issu de nombreuses familles de droite d’avant-guerre, se retrouve différemment aussi bien à l’extrême droite qu’à droite  », mesure l’historien Alain Ruscio. Mais une tendance s’impose  : une partie de la droite et son extrême convergent ensemble pour imposer à nouveau un vieux modèle défendu bien avant 1940, basé sur le travail, la famille et la patrie.

Qui reprend aujourd’hui le flambeau de Philippe Pétain  ? Il y a d’une part ceux, minoritaires mais croissants, qui tentent de le réhabiliter ouvertement et dans toute sa dimension, des polémistes hallucinés Éric Zemmour et Renaud Camus au président d’honneur du Front national, Jean-Marie Le Pen, pour qui «  Vichy est excusable  ». Et puis il y a ceux qui condamnent sa collaboration avec l’Allemagne nazie, et dénoncent son antisémitisme, mais partagent des fondamentaux politiques et sociétaux avec le chef de l’État français. Avec ceux qui, à Vichy, avaient fait remplacer le « Liberté, égalité, fraternité » de la Révolution française par la devise « Travail, famille, patrie ».

De nombreux relents pétainistes chez Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen

« Cette maxime est en fait consubstantielle à la droite. Ce slogan serait ouvertement utilisé s’il n’était pas frappé d’interdit, car c’est cette idéologie qui guide aujourd’hui la droite française  », estime l’historien Alain Ruscio. Il ne faut pas chercher longtemps pour retrouver chez Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen de nombreux relents pétainistes, à travers des positions traditionnelles de la droite qui exaltent le dur labeur pour vivre, la famille réunie sur des valeurs chrétiennes éternelles, et l’union sacrée autour d’une patrie placée au-dessus de tout. La création de 2007 à 2012 par Sarkozy d’un ministère commun autour de «  l’identité nationale et de l’immigration  », ses ambitions de remettre au goût du jour de possibles «  dénaturalisations  » pratiquées massivement sous Vichy, ses louanges pour «  le rêve capétien réalisé  » et le «  long manteau de cathédrales  », sa haine de «  l’assistanat  » et de «  l’égalitarisme  », ses appels au «  vrai travail  » – proches de «  la terre qui ne ment pas  » selon Pétain citant Barrès –, et ses cris d’amour pour «  le travail et la famille  » lors de la campagne de 2012 sont des exemples parmi d’autres. Sans oublier sa critique des syndicats, ces «  corps intermédiaires qui s’interposent entre le peuple et le sommet de l’État  » et «  confisquent la parole aux Français  ».

« Ce n’est pas parce que Pétain a un jour parlé de la famille, de la patrie et du travail que l’on doit s’interdire de le faire  ! » s’énervait Henri Guaino, proche conseiller et plume de Nicolas Sarkozy en 2012. Ne pas s’interdire, c’est déjà fait. Il n’y a plus qu’à reconnaître la filiation, qui va au-delà d’un Pétain marqué au fer rouge de l’histoire. «  Vichy a d’abord été l’émanation de toutes les couleurs de l’Assemblée nationale – hormis les communistes, déjà exclus – qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain. On trouvait aussi de nombreux socialistes et radicaux. Le régime va vraiment s’enfermer dans la droite revancharde avec la mise en place de la Révolution nationale, portée par tous ceux qui avaient considéré le Front populaire comme une abomination. On a tendance à oublier que la droite française était très puissante, très virulente et très réactionnaire pendant l’entre-deux-guerres  », ajoute Alain Ruscio.

Le barrage sanitaire entre la droite et l’extrême droite est fissuré

Abreuvée par les idées de Maurice Barrès et Charles Maurras – qui considère l’ascension de Pétain comme une «  divine surprise  » –, la droite française va saisir l’occasion apportée par l’occupation nazie pour abroger la République et mettre en place un programme traditionaliste, contre-révolutionnaire, nationaliste, pro-patronat et anti-ouvrier, en interdisant les syndicats et le droit de grève. «  Cette droite en réalité classique, issue de mouvements qui convergeaient déjà avant Vichy, se retrouve frappée d’interdit après la Libération. Elle a trempé dans la collaboration. Elle est souillée. Elle va se recomposer autour de ceux qui ont résisté, parmi lesquels les gaullistes sont les plus nombreux. Ce sont eux qui assurent alors le leadership sur la droite  », reconstitue Alain Ruscio. Des slogans classiques, devenus slogans pétainistes, se font plus discrets pendant un temps. «  Le septennat de Giscard sonne le début de leur retour, mais on les retrouve dans toute leur vigueur depuis Nicolas Sarkozy  », lequel est conseillé par des idéologues d’extrême droite, de Patrick Buisson à Guillaume Peltier.

Le barrage sanitaire entre la droite et l’extrême droite, qui a tenu de de Gaulle à Chirac, est aujourd’hui sérieusement fissuré. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen tiennent souvent des propos similaires entre bons et mauvais travailleurs, bons Français et mauvais étrangers, accusés de menacer la France à la fois d’un point de vue culturel et économique. Une manipulation grossière, qui tourne totalement le dos à l’idéal révolutionnaire et républicain, qu’ils détournent à loisir, tout comme ils tentent de détourner, à la manière de Pétain, la journée du 1er mai (voir encadré). «  Il s’agit d’une sorte de retour à la nature de la droite. On assiste à la fin de la parenthèse gaulliste. Marine Le Pen l’a bien compris  : elle cherche à éliminer toutes les scories de son père pour montrer toutes les convergences qu’il y a entre la droite de Nicolas Sarkozy et la sienne  », prévient Alain Ruscio. Cette «  droite décomplexée  », face à quel passé si ce n’est celui de Vichy (hors collaboration), remet en cause les acquis sociaux du Conseil national de la Résistance, réhabilite le colonialisme et soutien les opposants au mariage homosexuel. Elle n’est plus antisémite, et n’a plus besoin de mettre fin à la République puisqu’elle a su la vider de son sens – jusqu’à se l’approprier à travers l’appellation «  Les Républicains  » – mais reste obsédée par l’islam et l’identité nationale.

Mais Le riche n’est pas un étranger... Dans les propos xénophobes de la droite ne sont pas visés les riches étrangers, même ceux liés aux dictatures. « Est étranger aujourd’hui celui qui n’est pas culturellement et économiquement calibré sur le parfaitement intégré », 
observait le militant du Gisti Jean-Pierre Alaux dans l’Humanité du 5 avril 2008, préférant parler de « “prolétariophobie” à l’échelle mondiale ».

« la terre ne ment pas », BIS

« Dans cette identité nationale française, il y a le rapport 
des Français avec la terre, 
avec leurs ancêtres. » 
Nicolas Sarkozy à Rennes, en 2007.

Aurélien Soucheyre avec Grégory Marin, L’Humanité

B) Il y a soixante-dix ans, le procès de Pétain et pas du pétainisme

Histoire Le 15 août 1945, Philippe Pétain, reconnu «  coupable d’avoir entretenu des intelligences » avec l’ennemi, est condamné à mort à l’issue d’un procès qui ne dure que vingt-quatre jours. La rapidité de son déroulement et l’impasse faite sur l’étude du parti pris idéologique laissent interrogatif.

Une question subsiste  : comment se fait-il que le procès de la plus haute personnalité à la tête de « l’État français », mis en place à la suite du vote, le 10 juillet 1940, des pleins pouvoirs à Pétain par une majorité des députés de l’Assemblée nationale de la IIIe République finissante, mette à ce point de côté la responsabilité collective et ne creuse que très peu dans le dossier du régime politique et de l’idéologie sous-tendue  ? Le verdict prononcé le 15 août 1945, à 4 heures du matin, est assorti du « vœu » que la sentence ne soit pas exécutée en raison du « grand âge » du condamné. Le lendemain, le général de Gaulle commue la condamnation à mort en une peine de détention à perpétuité. La procédure aurait-elle été bâclée en vue de mettre les sujets qui fâchent sous le boisseau, telle la compromission d’une grande partie des classes dirigeantes (1), qu’elles soient économiques ou politiques  ? Seul le travail historique rigoureux et approfondi pourra éclaircir ces points. Mais, une chose est certaine, le pétainisme n’a pas fait l’objet d’une instruction sérieuse et la France n’en a pas fini avec lui. Pétain reste ce «  maréchal de France et homme d’État français  » né à Cauchy-à-la-Tour (Pas-de-Calais) en 1856 et qui meurt en détention sur l’île d’Yeu (Vendée) en 1951. L’encyclopédie Larousse rajoute  : «  Du vainqueur de la Grande Guerre au chef réactionnaire d’une France humiliée par l’occupant allemand, Philippe Pétain laisse une image contrastée. Dans la mémoire nationale, il incarne à la fois la victoire de 1918, la honte de l’été 1940 et les crimes de Vichy.  »

Une «  image contrastée dans la mémoire nationale  »  ? Même en tenant compte du prestige militaire acquis lors de la Première Guerre mondiale, on ne peut pas accorder un tel bénéfice du doute à celui qui a été le chef de l’État d’un des régimes collaborationnistes les plus zélés au nazisme hitlérien en Europe (2) avec sa redoutable Milice, son discours fasciste de «  Révolution nationale  » et ses lois antisémites  ? Impensable pour l’historien Roger Bourderon qui, dans un entretien (3), rappelait  : «  La collaboration d’État est un choix politique du régime de Vichy, c’est-à-dire de l’État français en tant que tel (…). Elle est lancée par Pétain lui-même au retour de Montoire, en octobre 1940, qui débouche sur des propositions de collaboration militaire, économique (…). De même, Pétain propose une collaboration policière qui, à partir de l’été 1941, fait des ravages  ». Et l’historien de montrer qu’elle n’est pas le fait d’un régime «  fantoche  » mais s’appuie au contraire sur «  une exaltation nationaliste, avec une conception totalement élitaire du corps social  » dans laquelle on reconnaît les «  ingrédients idéologiques des régimes fascistes de l’entre-deux-guerres  ». De son côté, l’historien Marc Ferro nuance ce caractère fasciste (4) en considérant que «  ce n’était pas au fascisme que l’on faisait référence mais à l’Action française  »  ; tout en reconnaissant que «  l’entourage de Pétain appartenait à ces milieux et que Pétain lui-même considérait Charles Maurras comme son maître à penser  ». Pétain s’inscrit dans la plus pure tradition d’une droite qui n’a pas tout entière sombré dans la collaboration, mais dans sa frange qui n’a toujours pas digéré la fin de l’Ancien Régime. Son courant contre-révolutionnaire et antirépublicain, dont la prise de pouvoir par Pétain puis la création de l’État français, lui permet de prendre sa revanche sur les forces vives de la République, le peuple révolutionnaire. Il incarne une contre-révolution conservatrice. Et si la France a fait le procès de Pétain ou encore a reconnu les responsabilités de son État vichyste, le procès du pétainisme reste à faire.

Pierre Chaillan, L’Humanité

(1) Lire le Choix de la défaite, d’Annie Lacroix-Riz, Armand Colin, 2006.
(2) Retrouvez «  L’Europe de la collaboration  » sur l’Humanité.fr
(3) Dans l’Humanité du 17 mars 1994.
(4) Pétain en vérité, de Marc Ferro, éditions Taillandier, 2013.


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