Depuis ce 13 août 2015, la Terre vit sur ses réserves

mercredi 19 août 2015.
 

A) A partir de ce soir, 13 août 2015, la Terre vit sur ses réserves (Le Monde)

L’humanité vit désormais au-dessus de ses moyens. En moins de huit mois, elle a déjà consommé toutes les ressources naturelles renouvelables que la planète peut produire en un an.

L’organisation non gouvernementale Global Footprint Network réalise ce calcul depuis une vingtaine d’années. Grâce à des données fournies par les Nations unies, elle compare l’empreinte écologique, qui mesure l’exploitation des ressources naturelles de la Terre par l’homme, avec la biocapacité de la planète, c’est-à-dire sa capacité à régénérer ses ressources et absorber les déchets, comme les émissions de gaz à effet de serre. L’ONG détermine ainsi le jour de l’année où l’empreinte écologique dépasse la biocapacité. Pour 2015, ce « jour de dépassement » est le 13 août.

Toujours plus précoce, cette date avance de trois jours par an, en moyenne, depuis 1970. En 2005, elle tombait début septembre et en 1975, fin novembre. « Même si notre calcul est approximatif, il montre que le dépassement est très élevé. Et que l’humanité continue d’accroître sa consommation de ressources, alors qu’elle vit déjà à crédit », s’inquiète Mathis Wackernagel, fondateur de l’ONG et cocréateur du modèle de calcul. A partir du « jour de dépassement », l’humanité creuse sa dette écologique. Une dette dont la planète et ses habitants paient déjà le prix : déforestation, baisse des réserves d’eau, épuisement des ressources aquatiques, accumulation de déchets et de gaz à effet de serre…

« Cercle vicieux »

A quelques mois de la conférence mondiale sur le climat (COP21), le jour de dépassement prend une résonance particulière. « Les négociations à venir seront capitales pour réduire l’empreinte écologique. Car les premiers responsables de son augmentation, ce sont nos émissions de carbone », précise Sebastian Winkler, vice-président de l’organisation internationale. Rien que pour absorber les gaz à effet de serre émis par l’homme, 85 % de la biocapacité totale de la planète sont aujourd’hui nécessaires, d’après l’ONG.

« C’est un cercle vicieux : notre mode de consommation dégrade les écosystèmes dont nous dépendons. Il rejette des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et le réchauffement climatique aggrave encore la situation », alerte Diane Simiu, directrice des programmes du WWF France, organisation de protection de l’environnement.

B) La vraie dette est... verte (Patrick Le Hyaric, eurodéputé FDG)

Contrecarrer la crise écologique, c’est stopper les dogmes de la guerre économique et la surexploitation de l’homme et de la nature.

L’an passé, c’était le 18 août... En 1970, c’était en décembre ... Cette année, c’était la semaine dernière, le 13 août. C’est le jour où la consommation mondiale en ressources naturelles a dépassé ce que la nature est capable de produire en un an. Dit autrement, la Terre vit désormais sur ses réserves entre cette mi-août et le 31 décembre. Et, depuis quarante ans, cette date avance de trois jours en moyenne par an. Tel est le résultat des études réalisées par l’organisation non gouvernementale Global Footprint Network, validées par les Nations unies. Ses méthodes de calcul méritent d’être confrontées à d’autres sources, discutées, améliorées ou contestées même. Mais, précisément, il n’y a pas de débat à propos de données aussi vitales, au sens propre du terme. Cela fait à peine l’objet d’une brève au milieu des faits divers des journaux télévisés.

Pourtant, l’affaire est sérieuse et plus qu’inquiétante ! Il est vrai qu’un travail et des confrontations sérieuses autour de ces données s’accommodent très peu de la médiocrité de l’actuel débat politicien. Notre belle planète voit, année après année, s’accumuler ce que l’on pourrait appeler « une dette écologique » qui, sans retournement rapide de la situation, peut faire craindre le risque d’un épuisement de la Terre. Or, dépasser, comme on le fait aujourd’hui, le seuil qui peut déstabiliser les écosystèmes qui maintiennent la vie humaine, revient à prendre le risque d’éteindre la vie sur Terre.

L’énoncer ne relève pas du catastrophisme et doit être compris comme un pressant appel à la conscience humaine pour engager d’urgence un processus de transition des modes de vie et de développement de nos sociétés et du monde. En effet, la terrible réalité d’un basculement est déjà là, sous nos yeux. L’homme, la nature et les animaux sont déjà touchés sous différentes formes : déforestation, baisse des ressources d’eau potable, fonte de glaciers, pollutions de toutes sortes, épuisement de réserves aquatiques, accumulation de déchets et de gaz à effet de serre, emballement du climat, chute de la biodiversité, disparition d’espèces végétales et animales, sécheresses répétées sur certaines zones de la planète qui ont pour conséquences de faire flamber les matières premières alimentaires, attisant des famines et des guerres, accélérant les migrations du sud vers le nord. C’est dire à quel point les simplismes, le rejet des autres, les racismes, le culte du chacun pour soi et de la concurrence de tous contre tous, désormais incrustés comme des évidences dans les débats politiques des forces dominantes et dans trop de consciences humaines, relèvent de la puérilité et de l’irresponsabilité. C’est dire aussi à quel point les données sur « l’empreinte écologique » ont une résonance particulière à quelques mois de la conférence mondiale sur le climat de Paris - Seine-Saint-Denis. Tout devrait être fait pour qu’elle débouche sur des actes concrets, précis, planifiés, contrôlés pour réduire sérieusement les gaz à effet de serre. Cet enjeu est autrement plus sérieux et grave que les problèmes de comptabilité analytique du monde capitaliste dont on nous abreuve en permanence pour mieux extorquer les fruits du travail des salariés, priver les retraités de leur dû, tout en réduisant les moyens consacrés à l’avenir de la jeunesse et à la culture.

Ce sont les mécanismes de la « concurrence », de la « compétitivité » qui épuisent en même temps les êtres humains et la nature. Pour obtenir ici une alimentation à bas prix, on détruit la forêt amazonienne pour y produire du soja qui sert à alimenter notre bétail. Ailleurs, en Afrique ou dans certaines parties de l’Asie, ce sont les cultures vivrières des populations locales qu’on empêche au profit de cultures d’exportation qui épuisent les sols pour prétendument rembourser des dettes. La Grèce, qui avait un secteur agricole de « circuit court », va devoir placer, sur injonctions des institutions européennes, son agriculture encore plus dans la concurrence mondiale. Le modèle de développement basé jusque-là sur le pétrole est à bout de souffle. L’exploitation aujourd’hui des pétroles non conventionnels comme les sables bitumineux, les gaz et pétroles de schiste, ne constitue qu’une fuite en avant dont on mesure mal les conséquences négatives. La dégradation régulière du capital naturel est donc une donnée très inquiétante. Le remboursement de cette dette verte ne peut pas se résoudre par des artifices comptables.

Quand, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France et l’Allemagne avaient chacune une dette représentant 200 % des richesses qu’elles produisaient, cela n’a empêché ni le redressement des deux pays, ni leur développement grâce à des dispositions techniques d’effacement de ces dettes que l’on pourrait aisément appliquer aujourd’hui pour la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la France ... En revanche, une augmentation de la température de la planète de 2 degrés dans les années à venir ne se résoudra pas par un jeu d’écriture. Ce serait vraisemblablement un pas de plus dans le violent tourbillon en cours dont le mot « crise » ne rend sans doute pas compte de toutes les complexités et implications pour le futur. De toute façon, nous ne reviendrons pas à la situation précédente. Les combinaisons des crises économiques et financières qui font tanguer le monde, des crises politiques, culturelles, morales et de l’approfondissement de la crise écologique placent la planète et le genre humain dans une situation inédite de l’histoire de l’humanité.

En ce sens, le risque existe que notre Terre commune entre dans un processus de basculement poussant, si on n’y prend garde, à un effondrement de la biosphère et de nos sociétés. Le processus est en cours.

Parce qu’il est sans violence apparente, il reste trop sous-estimé. L’effondrement des grandes civilisations s’est souvent étalé sur des dizaines d’années. Sans réaction au niveau nécessaire, les évolutions à l’œuvre peuvent, elles aussi, détruire notre civilisation. Les contrecarrer appelle de cesser d’appliquer les dogmes de la guerre économique qui conduisent à la surexploitation de l’homme et de la nature, de refuser le traité transatlantique, de penser une transition énergétique, de sortir du processus en cours d’industrialisation de la production agricole, de repenser la ville et les développements territoriaux, les systèmes de transport et les nouveaux logements économes en énergie, la transformation de nos systèmes industriels, mais aussi de permettre l’émancipation des femmes qui partout doivent pouvoir être maîtresses de leurs corps ou encore de pousser partout à une révolution démocratique permettant aux citoyens d’être maîtres de leurs destins.

Une telle transition-révolution nécessiterait beaucoup de travail de recherche, de travail de réalisation, donc d’emplois nouveaux. En réalité, il conviendrait de s’engager dans un processus révolutionnaire de métamorphose pour un nouveau développement humain, social, environnemental.

Un tel mouvement de transition devrait pouvoir se déployer partout, à commencer par les localités, comme commencent à le faire certains maires, des associations et des groupes de citoyens impulsant une autre façon de vivre pour vivre mieux sur une Terre préservée. Il doit évidemment occuper les autorités départementales, régionales, nationales et mondiales. Seul un mouvement citoyen d’une ampleur inédite sera en mesure de l’imposer dans l’action sociale, politique et dans l’expérimentation. Ces débats occuperont une grande place dans notre Fête de l’Humanité dans quelques semaines. Elle devrait lancer un appel à la mobilisation populaire pour la réussite de la conférence mondiale sur le climat.

C’est une grande urgence ! La vraie dette vis-à-vis des générations futures est verte. C’est de la vie sur Terre, de la vie humaine dont il s’agit !


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