« Quand certains parlent d’aller vers la 6e République, je leur dis : revenons déjà à la 5e ». Ce propos de Marine Le Pen, tenu en septembre dernier, illustre une réalité : le régime antidémocratique de la monarchie présidentielle de la Ve République n’a pas de meilleur allié que le FN !
Les mots d’ordre changent, l’idéologie reste
On l’oublie parfois, mais, à une époque, le FN faisait sien le mot d’ordre d’une 6e République. Ainsi, au mois de septembre 1994, Jean-Marie Le Pen annonçait sa candidature à l’élection présidentielle en déclarant proposer au pays une « autre politique » par le biais d’une « refonte constitutionnelle ouvrant la voie vers une Sixième République ». Certes, à l’exception du terme, cela n’avait pas grand-chose à voir avec la 6e République démocratique, sociale, laïque et écologique que défend le camp progressiste. Lors du congrès du FN en 1997, Jean-Marie Le Pen précisait les contours de « sa » Sixième République, opposant son « sérieux » et son « calme » à la « pseudo-démocratie de la rue, des manifs, des banderoles, des coups de gueule » et de la « chienlit », reprenant les termes du général de Gaulle à propos de mai 1968. En clair, la prétendue « Sixième République » de Jean-Marie Le Pen était un régime avec un chef d’Etat autoritaire, conçu pour écraser toute contestation politique ou sociale.
En apparence, le discours d’aujourd’hui du FN sur les institutions et le régime politique pourrait sembler aux antipodes des déclarations autocratiques d’un Jean-Marie Le Pen des années 1990. Marine Le Pen et Florian Philippot n’ont aujourd’hui de cesse de chanter les louanges de la 5e République. Quand le second se réclame idéologiquement du gaullisme, ce qui est assez ironique dans un parti créé par des anciens de l’Algérie française, la première déclare : « Les institutions de la 5e République sont tout à fait aptes à exprimer la démocratie pour le peuple français ». Marine Le Pen a très bien compris que le système institutionnel de la 5e République lui permettrait parfaitement, une fois au pouvoir, d’écraser les mouvements sociaux, vieux rêve de son père. Lors de la dernière élection présidentielle, elle déclarait vouloir devenir présidente pour « remettre de l’ordre en France » et en finir avec le « laxisme d’Etat ».
Fascination pour la monarchie présidentielle
L’extrême-droite a le culte du chef ; en 1998, Jean-Marie Le Pen se qualifiait de « monarque démocratique ». Il est donc logique que les dirigeants du FN veuillent garder le système de la monarchie présidentielle, par lequel le général de Gaulle se vantait d’avoir opéré la « synthèse entre la République et la monarchie ». Non seulement le FN ne souhaite pas revenir sur le présidentialisme, mais il veut même l’aggraver ! Son programme pour 2017 prévoit une révision constitutionnelle pour le retour au septennat présidentiel, mais un septennat non renouvelable. Il est d’ailleurs assez curieux de voir le FN, qui se prétend à la pointe de la modernité, reprendre à son compte l’idée du septennat non renouvelable, tarte à la crème de personnalités aussi « modernes » que Raymond Barre ou Edouard Balladur ! Cette idée, elle exprime le refus absolu que les gouvernants rendent des comptes au peuple. Un président élu pour sept ans, évidemment sans référendum révocatoire, et sans perspective de repasser devant les électeurs à la fin de son mandat, c’est un chef d’Etat avec les pleins pouvoirs totalement irresponsable. Imaginons ce que certains pourraient faire avec l’article 16, qui permet au président de se transformer en dictateur, dans un tel système institutionnel.
Le FN partage le mépris des fondateurs de la 5e République pour le Parlement. Certes, le FN réclame la proportionnelle aux législatives, ce qui rendrait l’Assemblée nationale plus représentative. Mais c’est une imposture. Le FN au pouvoir ne se gênerait pas pour piétiner la démocratie parlementaire. Lorsque M. Valls a utilisé l’article 49, alinéa 3, pour faire passer la loi Macron en force à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen a déclaré qu’elle n’hésiterait pas à faire de même : « Je n’exclus pas le recours à ce qui est légal a priori. Des événements peuvent peut-être le justifier. » Pour le FN, la monarchie présidentielle, c’est le régime rêvé.
Cumul, féodalisme et népotisme
Le FN est tellement à son aise dans le régime de la Ve République qu’il en reproduit les vices non seulement nationalement, la fascination pour la monarchie, mais aussi localement, le féodalisme. La question du cumul des mandats est emblématique. Au mois d’avril 2013, dans son programme, on pouvait lire : « Le Front national est favorable au non-cumul des mandats. Il permettra en effet de renforcer la défense de l’intérêt général qui doit motiver l’action de tout député, élu de la nation, moins tenté de satisfaire à quelque intérêt local. » Dans la réalité, le FN fait exactement le contraire ! Lors des élections sénatoriales de 2014, le FN a obtenu deux élus, deux cumulards : D. Rachline, sénateur-maire de Fréjus, et S. Ravier, le sénateur-maire du 7e secteur de Marseille. Marion Maréchal-Le Pen n’est pas en reste. Au mois de juillet 2013, elle écrivait : « Voter la loi et contrôler l’action du gouvernement sont des tâches solennelles et lourdes qui ne sauraient se contenter d’élus à temps partiel accaparés par ailleurs par un mandat de maire ou la présidence d’un conseil général ou régional. » Puis, au printemps 2015, elle se déclarait candidate à la présidence du conseil régional de PACA – en étant déjà députée ! – avant que la tragicomédie familiale ne le conduise à réclamer un « délai de réflexion ».
En matière de féodalisme, l’autre marqueur du FN, c’est le népotisme. Certes, il n’en a pas le monopôle. La pratique est très courante à l’UMP (cf. les Tiberi, les Balkany ou Jean Sarkozy) comme au PS (l’épouse du maire PS de Lyon sera candidate aux régionales). Mais le FN et, plus généralement, l’extrême-droite poussent le népotisme à un niveau inégalé. Songeons à B. Mégret présentant sa femme à Vitrolles dans les années 1990 ou à J. Bompard, maire d’Orange et ancien du FN, présentant sa femme et ses enfants dans les autres villes vauclusiennes. Et, bien évidemment, que dire de l’esprit dynastique qui règne à la tête du FN ?
Défenseur du système
Le FN n’est là que pour assurer la sauvegarde d’un régime dans les dorures duquel il rêve de se mouler. Profitant seulement à ceux qui veulent que rien ne change, il est particulièrement mis à l’honneur dans les médias aux ordres de l’oligarchie au pouvoir. Des études ont montré que les deux personnalités politiques les plus présentes dans les émissions de télé et de radio depuis un an étaient Marine Le Pen et Florian Philippot. La propagande médiatique qualifie d’« antisystème » un parti dont l’unique projet institutionnel est de consolider le régime en place. Car, l’oligarchie et le FN l’ont bien compris, le danger pour tous deux, c’est la reconquête par le peuple de sa souveraineté politique, c’est-à-dire la 6e République !
Marc Duval
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