Yanis Varoufakis analyse le déséquilibre des balances commerciales comme moyen de domination et cause d’instabilité du capitalisme globalisé

samedi 20 juin 2015.
 

Yanis Varoufakis, actuel ministre grec de l’économie a publié Le Minotaure global, origine de la crise financière et futur de l’économie mondiale. Sandro Poli (PG) résume ici l’argument principal de ce livre : l’instabilité du capitalisme globalisé relatif au déséquilibre des balances commerciales. Ce livre revient entre autre sur le rôle néfaste des surplus Allemands depuis 1990.

Le Global Minotaur et la nécessité d’un « mécanisme global de recyclage des surplus »

Le concept clé du livre de Varoufakis est celui de Global Surplus Recycling Mechanism (GSRM) ou Mécanisme global de recyclage des surplus. Varoufakis explique que la stabilité du système (capitaliste) d’échanges internationaux repose sur l’existence de ce type de mécanisme. En effet, un pays menant une stratégie d’accumulation de surplus commerciaux est un pays dont l’épargne (ou les capitaux disponibles) dépasse nécessairement les investissements domestiques, selon l’équation comptable classique [Importations – Exportations = Epargne – Investissement]. Autrement dit, a moins de conserver ce surplus de capitaux sous la forme de réserves, comme le fait la Chine depuis la crise asiatique de 1997, un pays accumulant tendanciellement des surplus commerciaux devient tributaire du « recyclage » de ces surplus, c’est à dire de leur investissement dans les pays déficitaires.

C’est le rôle pleinement assumé par les Etats-Unis entre 1945 et 1971 (avant la fin de Bretton Woods et la crise des années 70) : la reconstruction de l’Europe de l’Ouest déficitaire est en grande partie assurée par les capitaux américains. Les Etats-Unis se proposent d’investir leur surplus en Europe pour s’implanter sur le marché européen (plan Marshall etc.) et développer des débouchés pour leurs propres produits. Varoufakis parle de cette période comme du Global Plan. Or cet équilibre économique international est instable, et les flux de capitaux américains s’inversent progressivement en raison du rattrapage des économies de l’Europe de l’Ouest et du Japon, mais aussi des twin déficits (déficit jumaux) des Etats-Unis liés à la guerre du Vietnam puis aux chocs pétroliers.

Le Global Plan cesse de fonctionner avec la crise inflationniste des années 70. Le renversement est acté par la fin de Bretton Woods : les USA accumulent alors des déficits gigantesques financés par le reste du Monde, en particulier le Japon et l’Allemagne (puis plus tard la Chine). Varoufakis défend l’idée que ce renversement était souhaité par l’establishment américain qui assume désormais un mécanisme de recyclage inversé par rapport à la période du Global Plan : les Etats-Unis se proposent au contraire d’accueillir les surplus commerciaux du reste du monde en attirant leurs capitaux sur le sol américain via des taux d’intérêts élevés (le choc Volcker de la Fed en 1979 prépare la période Reagan de défiscalisation des profits et de baisse drastique de l’imposition du capital) et une monnaie stable et globale (le dollars et son privilège exorbitant).

Le Minotaure Global correspond aux Etats-Unis de la période allant de 1971 à la crise de 2008 : le Minotaure américain se nourrit des capitaux venant du reste du monde (les Etats Unis attirent 80% des flux de capitaux mondiaux sur cette période) et devient le nouveau mécanisme global de recyclage des surplus. Or les USA orientent ces capitaux étrangers vers le financement d’une économie américaine inégalitaire, ultra endettée et financiarisée. L’économie américaine devient une bulle financière géante financée par l’accumulation du surplus du reste du monde et de son placement au sein des banques américaines et autres hedge funds. Il s’agit donc d’un GSRM aussi éphémère que son précurseur : il repose sur le surendettement (effets de levier), la bulle immobilière et un système financier hypertrophié.

La place de l’Allemagne dans le cadre du Minotaure Global

L’Allemagne occupe une place particulière dans ce système en défendant à partir des années 90, à l’image des Etats-Unis lors du Global Plan (1945-1971), une stratégie unilatérale d’accumulation de surplus commerciaux vis-à-vis de ses partenaires européens.

Varoufakis défend l’idée que la réunification allemande s’inscrit dans ce cadre. Elle fut d’abord le moyen pour l’Allemagne de faire pression à la baisse sur ses salaires, afin de poursuivre sa politique de désinflation compétitive tournée vers l’accumulation rapide de surplus commerciaux.

Or, si les Etats-Unis refusèrent de mettre en place la proposition de Keynes (le bancor) à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, ils avancèrent le plan Marshall, conscient qu’une politique d’hégémonie se distingue d’une simple politique de domination ou d’exploitation. Les surplus américains de cette période financent des investissements stratégiques de long terme en dehors de leur territoire.

L’Allemagne des années 90 s’inscrit, elle, dans la période de financiarisation mondialisée entamée dix ans plus tôt. Elle refuse de mettre en place son propre système de recyclage de surplus à l’échelle de l’Europe et laisse ses banques réinvestir librement ces surplus commerciaux dans la bulle financière et immobilière (notamment aux Etats-Unis) plutôt que dans le financement de projets d’investissements productifs chez ses partenaires commerciaux.

La monnaie unique, largement défendue par l’Allemagne, permet par la suite de sceller dans le marbre des traités cette logique d’accumulation de surplus commerciaux, en interdisant à ses partenaires de la zone euro toute dévaluation. L’Europe continue alors de nier l’importance d’un système de recyclage des surplus allemands autre que celui de la liberté totale des flux de capitaux. Le surplus allemand finance ainsi la bulle immobilière espagnole et portugaise, la bulle financière grecque. Pire que Londres ou Wall Street, les banques allemandes atteignent un ratio d’endettement de 52 dollars pour un dollars de fonds propres à la veille du Crash de 2008.

Depuis l’éclatement de la crise et le retrait soudain des capitaux allemands hors d’Europe du Sud (désormais en repos à la BCE, en France ou en Allemagne), l’Allemagne de Merkel refuse de reconnaître sa responsabilité (et celle de l’Europe) dans l’absence de mécanisme de recyclage de ses surplus au niveau européen. Elle refuse aujourd’hui de mettre en place ce type de mécanisme (qui consisterait à autoriser le rachat de dettes publiques par la BCE et une politique de relance coordonnée européenne), c’est que cela conduirait évidemment à l’abandon de la suprématie temporaire que lui confère son statut créditeur dans une Europe en crise.

L’Allemagne entend profiter de ce pouvoir sans pour autant en comprendre les implications : elle propose pour l’Europe l’austérité, c’est à dire l’exact opposé de ce que serait un nouveau « plan Marshall ». Les Etats-Unis ont perdu leur caractère attractif s’agissant de l’investissement des surplus globaux et plus rien n’assure désormais l’équilibre relatif du système. L’Allemagne de Merkel mène donc aujourd’hui une politique de domination (ou d’exploitation) bornée, davantage qu’une politique d’hégémonie. Sans doute, selon Varoufakis, parce que les dirigeants européens s’avèrent incapables de penser un monde dans lequel le Minotaure Global a perdu son attractivité.


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