Qu’en termes élégants ce pillage est nommé !
Nous utilisons le terme pillage et non privatisations, car celles-ci sont mises en œuvre dans le cadre d’une politique néolibérale (ultralibérale, de caractère à la fois extrémiste et dogmatique) dont les conséquences sont dévastatrices sur le plan humain et environnemental. De notre point de vue, il s’agit d’une nouvelle barbarie qui s’exprime par une marchandisation et une précarisation généralisées et où les humains se réduisent à des colonnes de chiffres.
Bien entendu, comme d’habitude, de bons apôtres médiatisés trouveront de bonnes raisons, comme pour justifier ce pillage. En l’occurrence : résorber la dette publique, recapitaliser des entreprises publiques,se mettre en conformité avec les exigences dela concurrence européenne, voire même sauver les caisses de retraite, etc.
Alors que les nationalisations ont toujours fait l’objet d’un programme de gouvernement clairement annoncé à l’avance, les privatisations ne sont jamais l’objet de la moindre consultation populaire et sont rarement annoncées à l’avance dans un programme.
Paradoxe de l’Histoire, c’est sous le régime de Nicolas Sarkozy, que les privatisations seront quasi inexistantes. Peut-être est-ce pour cette raison , que Jean-Luc Mélenchon ne s’est jamais trop acharné contre Sarkozy en tant que personne politique, mais a toujours fait la distinction entre sa personne et la politique qu’il mettait en œuvre.
Nous avons expliqué dans un autre article (1) que la classe dominante était constituée de deux pôles :
> Un pôle de la propriété – marché, celui de l’oligarchie économico financière propriétaires du capital
> et un pôle de l’organisation– compétence, Indissolublement lié au premier, il est constitué de cadres économiques, politiques et culturels, souvent formés dans les grandes écoles.
Cette connivence organique entre le propriétaires et les élites dirigeantes est clairement affirmée et matérialisée par le processus de privatisation des entreprises publiques.
Les cadres dirigeants des sociétés publiques et des sociétés privées, à revenus pharaoniques, sont tout à fait interchangeables au niveau de la compétence requise pour diriger et organiser.
Mais comme l’indique le court extrait suivant, ce processus de privatisations massives s’accompagne aussi d’une modification du management des sociétés qui ont gardé leur statut public et même d’une modification du management étatique.
[Un exemple emblématique est celui du secteur hospitalier qui fonctionne à l’aune des contrats d’objectifs et de moyens sous la houlette de la tarification à l’acte et à l’activité (T2A) ]. Lorsqu’on a compris la véritable nature bipolaire de la classe dominante, tout ceci devient clair et évident.
Comme nous l’avons vu par ailleurs (voir notre article en cliquant ici (1’) ), ces processus de privatisation remettent en cause la notion même d’intérêt général et par conséquent l’un des principes fondamentaux de toute démocratie républicaine. Dans ce même article, nous indiquions : "Alors que le patrimoine public représentait entre un quart et un tiers du patrimoine national total entre 1950 et 1970, (Source :Le capitali au 21ième siècle , Piketty, p. 290) il ne représente plus en 2011 que 3,7% du patrimoine national (INSEE le patrimoine économique national en 2011)"
Les extrémistes libéraux espèrent atteindre le taux de 0%.
Ces privatisations, contrairement à ce qui est toujours affirmé, participent au déficit budgétaire de l’État qui se voit ainsi, sur le moyen et le long terme, privé de ressources. Ainsi, par exemple, les revenus très lucratifs des autoroutes privatisées sont versés à des actionnaires privés au lieu d’alimenter les caisses de l’État. Observons d’ailleurs, sur le moyen et le long terme, que ces privatisations n’ont absolument pas empêché la croissance de la dette publique et ont contribué à l’affaiblissement du potentiel industriel de la France.
Observer que les soi-disant nationalistes et souverainistes de toute obédience ne se sont pas insurgés contre ce dépouillement économie de la nation, du peuple qui la constitue. Ces gens ne sont pas crédibles. Mais la raison en est simple : ce sont aussi des libéraux.
Mais tout ce qui vient d’être dit ne signifie absolument pas que nous soyons partisans d’une économie étatisée. Nous ne sommes ni extrémiste, ni dogmatiques. Comme Jacques Généreux, nous défendons l’idée d’une économie plurielle avec un secteur public d’État et local, un secteur de l’économie sociale et solidaire ,et un secteur privé où travailleurs et usagers auraient des droits nouveaux. Chose peu connue, cette manière de voir est aussi celle de la politique sociale de l’Église sur le plan économique. Ce n’est pas la conception des fanatiques de la théologie libérale.
Nous commençons cette série sur le pillage des biens publics en abordant la facette juridique.
Nous nous référons d’abord à une étude sur les privatisations d’entreprises publiques qui traite le sujet sous l’angle juridique et permet ainsi de clarifier les termes. Il s’agit donc ici d’un texte technique.
Le lecteur peut se référer au texte complet en cliquant sur le lien ci-dessous.(2). Nous n’avons extrait ici que le dernier paragraphe du texte complet. Source : Pyramides, Revue du centre d’études et de recherches les administrations publiques. (2)
Étude : Privatisations d’entreprises publiques, économie de marché et transformation des systèmes juridiques étatiques : un processus inéluctable ? Par Nicolas Thirion (Aspirant au Fonds National de la Recherche Scientifique (F.N.R.S.), attaché au service de droit commercial de la Faculté de droit de l’Université de Liège.)
Dernier paragraphe de l’étude : Du marché comme toujours comme principe directeur des systèmes juridiques étatiques ; quelques observations en guise de conclusion.
"…De cette brève incursion dans le processus de privatisation des entreprises publiques et dans les phénomènes annexes qui l’entourent, il paraît possible de déduire un certain nombre de considérations. Les privatisations d’entreprises publiques ont pour objet spécifique d’assurer le transfert, au profit du secteur privé, du contrôle jusqu’alors exercé par les pouvoirs publics. Toutefois, loin d’être de simples opérations de cession de contrôle, elles conduisent plus largement à octroyer aux mécanismes de marché une prédominance à trois points de vue.
1) D’abord, elles soumettent désormais les entreprises privatisées à des objectifs de maximisation du profit dont l’insatisfaction risquerait, en particulier, d’aboutir à des mouvements inconsidérés sur le marché boursier. Tributaires des visées essentiellement patrimoniales des petits porteurs et des puissants fonds de pension, ces entreprises seront alors tentées de ne plus prendre en considération les intérêts catégoriels (ceux des travailleurs, des fournisseurs et même des créanciers le cas échéant. On prend ce dernier adjectif dans son sens premier et non dans l’acception péjorative qui lui est désormais souvent attachée) à la naissance desquels son activité a pourtant contribué. (Or, dans l’état actuel du droit positif, ces intérêts catégoriels paraissent avoir été pris en compte par la loi et la jurisprudence, notamment à travers la consécration d’une définition large, en droit des sociétés, de l’intérêt social, perçu comme intérêt de l’entreprise (cfr., pour les seuls droits belge et français, notre article « Délocalisation d’une division de l’entreprise et intérêt social », RPS, 1996, pp. 60 et s.)
2) Ensuite, le statut des sociétés cotées en général fait l’objet de réformes, conçues à la lumière de l’expérience des privatisations, et dont la finalité essentielle consiste à renforcer les droits des actionnaires, en particulier dans leur dimension patrimoniale. Ces réformes peuvent certes faire l’objet de textes législatifs ; mais elles peuvent également prendre la forme de prescriptions essentiellement morales ou adopter les contours d’un droit mou.
3) Enfin, dans la logique de ce qui précède, les thuriféraires de l’évolution ici décrite s’insurgent par avance contre toute intervention autoritaire du législateur en matière de corporate governance ; la sanction du marché conduira en effet les opérateurs économiques à prendre les mesures nécessaires, au nom d’une autorégulation bien comprise. La puissance publique se voit ainsi dénier toute légitimité pour organiser comme elle l’entend le régime susceptible d’assurer la consécration des principes du corporate governance.
Ces conséquences des opérations de privatisation doivent par ailleurs être mises en relation avec l’extension continue des entités publiques susceptibles d’en être l’objet et avec certaines évolutions qui tendent à soumettre de plus en plus l’interventionnisme direct des pouvoirs publics à la logique marchande, que ce soit du point de vue de la gestion, du financement ou du régime de l’activité.
Multiplication des privatisations, consécration généralisée des mécanismes de marché, recul sur tous les fronts de la puissance publique : entend-on vraiment s’orienter vers la « privatisation du monde », pour reprendre la formule utilisée par l’écrivain Michel Houellebecq dans une contribution dévastatrice au numéro d’automne 2000 de la revue l’Atelier du roman ? A s’en tenir à la seule technique juridique, l’interrogation paraîtra bien oiseuse ; sur le plan de la politique juridique, voire de la politique tout court, elle s’avère au contraire fondamentale et il serait heureux qu’un débat s’engage enfin en vue d’y apporter une réponse claire."
Fin de l’extrait
Concernant les différents aspects juridiques de la privatisation, on peut aussi se reporter à l’étude : Les privatisations en France (Cabinet d’avocat, Me Toure) Sont mentionnés certains aspects historiques du développement des différences services publics, les notions de concession, de filialisation, et différents types de contrats. Voici un extrait intéressant de ce texte :
"…Cette expansion tous azimuts vers l’international constitue, plus que le statut de société anonyme des filiales des entreprises publiques en France, un ancrage affirmé dans le secteur privé. Les motivations au phénomène de la filialisation procèdent tout à la fois de volonté de démultiplication et de diversification que de donner une réelle autonomie à une ou plusieurs activités en expansion. Il en résulte sur le plan du régimeUn juridique, faute de reconnaissance du droit des groupes de sociétés en France, que les filiales disposent de leur propre personnalité morale différente de celle de la société-mère. Aussi arrive-t-il souvent qu’elles se livrent à des opérations de cession d’actifs ou de prise de participations comme n’importe quelle entreprise privée, ceci dans l’ignorance totale des procédures légales en vigueur : sans autorisation du parlement. Certains auteurs n’hésitent pas à parler de « privatisations silencieuses ».
A l’échelle internationale, le phénomène de filialisation est plus accentué : les filiales des entreprises mutinationales restent soumises entièrement au droit privé des pays d’accueil." Texte complet ici (3)
Hervé Debonrivage
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