Charlie : Ce qui vient de se passer

vendredi 20 février 2015.
 

Charlie c’était quoi ?

Il est bon de revenir sur ce qui est bien connu en France mais peu ailleurs. Le public de bien des pays pourrait croire que Charlie était un grand organe de presse français, bien dans la ligne occidentale : pas du tout. D’autres - particulièrement, et cette convergence est significative, parmi les lecteurs des médias dominants dans les pays musulmans, en Amérique du Nord et en Russie - qu’il s’agit d’un journal antimusulman et quelque peu raciste, ne respectant pas les gens. Il est donc bon de revenir sur une histoire mal connue, brièvement.

Peu de gens savent sans doute que si tant de monde ces jours ci arbore « Je suis Charlie », c’est, indirectement, parce que le dessinateur de cartoons américain Charles Mac-Schulz avait appelé le principal personnage de ses historiettes d’enfants parlant comme des adultes, Peanuts, personnage auquel il s’identifiait, Charlie Brown. Charles Mac-Schulz était un chrétien fervent, oscillant durant sa vie entre diverses obédiences protestantes. L’espèce de sérieux qu’en partie sans le vouloir il insufflait à ses personnages enfantins conférait à ses bandes dessinées un mélange inédit de comique et d’intellectualisme.

La transposition culturelle de ce produit typiquement nord-américain dans l’Europe latine en fit, par un joli paradoxe, un emblème de la contre-culture des années 1960, cela d’abord en Italie avec le très grand mensuel de BD Linus (1965), qui reprenait le nom d’un de ses personnages, puis en France avec la réplique exacte de Linus, Charlie mensuel (1969), qui, avec la mutation du magazine de jeunes Pilote, plus « grand public » et qu’il influença d’ailleurs grandement, fut au cœur des bouleversements culturels de l’après mai-68.

Charlie mensuel était aussi en partie le volet esthétique et intellectuel, souvent érotique aussi, du grand défoulement satirique, mais aussi fantastico-poétique (Fred et Topor étaient aussi de la bande) du journal « Bête et méchant » Hara-Kiri, fondé en 1960. En 1970 Hara-Kiri, comme chacun sait, est interdit pour avoir titré après la mort de Mongénéral : Bal tragique à Colombey, 1 mort, par le ministre de l’Intérieur Marcellin, grand matraqueur devant l’Eternel. La semaine suivante, avec le même format et le même style, paraît Charlie Hebdo, adossé et aidé par Charlie mensuel. En même temps, la reprise du titre « Charlie » contient une allusion ironique à Charles De Gaulle. Hara-Kiri et Charlie-Hebdo dans le registre de la satire, violente, surréaliste ou les deux, toujours anticléricale, et Charlie mensuel dans le registre de la BD plus esthétique et théorisante, apparaissent rétrospectivement, avec le journal Pilote, comme des phénomènes culturels majeurs, et c’est là l’une des raisons qui explique la réaction populaire faisant suite au crime du 7 janvier 2015 : c’est la génération de leurs lecteurs qui est sortie dans la rue, spontanément, la première. Imaginez qu’aux Etats-Unis Woodie Allen, Harvey Kurtzmann et Robert Crumb aient été réunis dans un improbable magazine et assassinés au nom de Dieu. Les deux doyens assassinés ce mercredi noir, Cabu et Wolinsky, représentaient cela en France, en quelque sorte.

Charlie-Hebdo avait cessé de paraître en 1982, puis avait été relancé en 1992, avec en partie la même équipe, mais sous la direction d’un véritable chef d’entreprise, Philippe Val, sur une ligne de dénonciation par la satire et le dessin du Front National, du racisme, et des religions monothéistes chrétienne, juive et musulmane. La tradition française iconoclaste de la satire anticatholique, qui a joué un rôle essentiel dans l’émancipation des esprits et dont il ne faut jamais oublier qu’elle fut le fait non de dominants, mais de dominés subissant une oppression, renouvelée à nouveau sous le régime de Vichy et par les lois antilaïques adoptées après 1958, est transposée aux Juifs et aux musulmans. Plus généralement, on peut dire que l’évolution politique globale de Charlie, typiquement française elle aussi, partie d’un anarchisme juvénile et boute-en-train, aboutit à une sorte de radical-socialisme fin de siècle. Avec Philippe Val, elle semble se « droitiser » de plus en plus, produisant des conflits dans la rédaction (en 2005 Val est pour le Oui au référendum sur le traité constitutionnel européen, contre la majorité de la rédaction) et une véritable « scission » avec un ancien, Siné, chassé en 2009 sous l’accusation d’antisémitisme. Val tend à faire de l’islamisme politique la principale menace totalitaire contre les libertés à l’échelle du monde, cela dans les années de la fuite en avant militaire nord-américaine sous le président Bush.

En 2009, Val quitte Charlie Hebdo, nommé par le président Sarkozy à la tête d’une radio publique. Son successeur, le dessinateur Charb (Stéphane Charbonnier), est nettement plus « à gauche », soutenant ouvertement le PCF ou la LCR puis le NPA selon les moments, et se prêtant volontiers au rôle de faiseur de croquis pour les congrès, meetings et fêtes politiques. Mais il assume totalement le choix fait en 2006 de publier les « caricatures de Mahomet » parues au Danemark, qui suscitent une campagne internationale de haine et de menaces de la part des islamistes et de plusieurs Etats, et sont considérées comme choquantes et impubliables par les chefs d’Etat et l’opinion bien pensante des pays anglo-saxons. Charb aura plusieurs fois l’occasion d’expliquer que sans droit de choquer, et sous la menace du délit de blasphème il ne saurait y avoir de liberté d’expression, condition par ailleurs de la liberté religieuse, les gens choqués ayant le droit de le dire et de répondre, mais pas d’interdire et encore moins de tuer. A quoi l’on pourrait ajouter deux petites choses. D’abord, que « venger le Prophète » n’est pas combattre quelque oppression que ce soit, impérialiste ou autre. Et aussi que les « caricatures de Mahomet » les plus offensantes pour ce que l’islam contient de contradictions vivantes et de traditions culturelles, sont figurées par les chefs islamistes eux-mêmes, dont les musulmans sont, massivement, les premières victimes.

De manière très consciente, Charlie Hebdo par des caricatures anticléricales et antireligieuses « joue avec le feu » dans la mesure où pour beaucoup de racistes en France être arabe, basané et musulman sont choses équivalentes. De plus, rares sans doute étaient ceux qui riaient de bon cœur de tous les dessins de Charlie : l’humour grinçant peut tomber dans le mauvais goût. Ceci permet à qui ne comprend pas l’humour noir et la dose de dénonciation qu’il recèle, qu’on juge tel dessin de mauvais goût ou non, d’y voir du racisme, alors que par ailleurs le lectorat raciste n’est pas du tout celui de Charlie Hebdo, qui n’a cessé de dénoncer tout aussi violemment, y compris avec des stéréotypes physiques (eux aussi discutables ! ), l’électorat du Front National, par exemple avec le personnage du « Beauf », le français antipathique et méchant croqué par Cabu, ce très grand dessinateur humoristique à l’échelle mondiale, et ce très grand critique des défauts français, assassiné le mercredi noir 7 janvier 2015. L’on doit aussi rappeler que Charlie pendant des années a publié chaque semaine les chroniques du mouvement RESF, le Réseau Education Sans Frontières, spécialisé dans la défense des enfants de familles immigrées ou réfugiées en France sans papier et dans le combat pour le droit d’asile, parrainant ainsi et protégeant, parfois physiquement, un grand nombre de musulmans, et se faisant le principal organe de presse en France en matière de défense des Roms.

Ce qui s’est passé

Voila le journal qui a été pris pour cible par les tueurs du 7 janvier noir, un journal pris dans des difficultés financières, exposé à des menaces de morts et faisant l‘objet d‘une protection policière qui s‘est avérée dérisoire. Ils n’ont attaqué ni l’appareil d’Etat ni le grand capital ni la grande presse. Comme toujours avec les islamistes, et quoi que l’on pense des problèmes posés par l’orientation de Charlie à tel ou tel moment, ces derniers visent les opprimés et leurs défenseurs. Le même jour, Boko Haram massacrait des milliers de paysans et de villageois au Nord-Est du Nigéria. L’islamisme ne combat pas l’impérialisme. Il le sert en faisant diversion, financé par la rente pétrolière et enrégimentant des lumpens.

Les frères Kouachi et Amedy Koulibaly sont des personnages hélas typiques, non pas du prolétariat des quartiers en France, mais de la rupture avec ce prolétariat dont ils sont issus, comme étaient issus du prolétariat ou de la petite-bourgeoisie ruinée bien des cadres SA : par le banditisme, par les relations nouées en prison, par les « stages » au Yémen et autres voyages internationaux, ils n’étaient pas de jeunes prolétaires, même s’il est vrai que leur dérive est nourrie par la fermeture de toute perspective d’action émancipatrice aux jeunes habitants des « banlieues », mais des cadres fascistes exemplaires, formés militairement, n’ayant avec leurs anciens camarades prolétaires, actifs ou chômeurs, que des relations d’exploitation et d’oppression par les trafics et les injonctions religieuses, notamment envers les femmes. On notera qu’en plus, l’argument selon lequel ils combattraient pour une minorité nationale victime du racisme n’était pas le leur, puisqu’ils se réclament de l’islamisme radical qui nie toute nation, particulièrement les nations arabes, et, pur reflet de l’empire aveugle du capital dont il n’entend nullement gêner la valorisation et la circulation, bien au contraire, préconise le « califat » mondial.

Le 7 janvier, ces individus ont donc tué, à Charlie, les dessinateurs « historiques » Cabu et Wolinski, le dessinateur et rédacteur en chef Charb, les dessinateurs Tignous et Honoré, le chroniqueur économiste keynésien de gauche Bernard Maris, la psychanalyste Elsa Cayat - après avoir dit qu’ils ne tuaient pas les femmes ils l’ont assassinée, sans doute parce que d’origine juive -, le correcteur d’imprimerie kabyle Mustapha Ourad, l’ancien adjoint au maire socialiste de Clermont-Ferrand, organisateur de festivals culturels internationaux de qualité, Michel Renaud, qui avait été invité ce jour là par Cabu, l’agent de maintenance Frédéric Boisseau, le policier affecté à la protection de Charb Frank Brinsolaro, et l’autre policier de faction devant les locaux, Ahmed Berached, de confession musulmane. Ils ont blessé à l’épaule le dessinateur Riss (Laurent Sourisseau biographe acerbe de Sarkozy en bande dessinée), détruit la mâchoire du journaliste Philippe Lançon, blessé gravement à la jambe le journaliste écologiste Fabrice Nicolino, mis dans le coma avec un risque de séquelles graves le webmaster Simon Fieschi. Patrick Pelloux, médecin urgentiste, figure du combat pour la défense de l’Hôpital public en France contre les gouvernements successifs depuis 2003, était en retard à la réunion de la rédaction et doit sans doute à cela d’avoir survécu. Le lendemain matin, le troisième larron A. Koulibaly, soupçonné en outre d’avoir grièvement blessé un joggeur mercredi soir à Fontenay-aux-Roses, assassinait une policière d’origine martiniquaise, et le surlendemain il menait une attaque antisémite contre une grande épicerie kasher du sud de Paris, assassinant quatre personnes : Yoav Hattab, Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada. Grace au prolétaire malien et musulman Lassané Bathily, employé du supermarché, 5 personnes d’origine juive ont eu la vie sauve car ils les a fait se cacher dans une chambre froide, les sauvant ainsi du fasciste lumpen A. Coulibaly.

Le vendredi soir, les forces de police abattaient les frères Kouachy d’une part, A. Coulibaly d’autre part. Le lycéen de Charleville-Mézière Mourad H., présenté faussement par certains journalistes comme mêlé à ces crimes, était innocenté. Parallèlement à l’attaque fasciste contre Charlie Hebdo et contre le supermarché Kasher, et utilisant ces évènements, plusieurs agressions anti-arabes, anti-immigrés et anti-musulmanes se produisaient, tags, tirs et actes de vandalisme dirigés contre des mosquées ou des kebabs, particulièrement dans la nuit du 7 au 8 janvier, officiellement 54 actes de ce type entre le 7 et le 12 janvier.

Levée en masse et/ou union nationale

Tels sont les faits en ce qui concerne les attaques fascistes, antisémites ou racistes. Mais un autre fait majeur s’est immédiatement mis en branle, au fur et à mesure que les nouvelles montaient dans la journée de mercredi : une vague de manifestations spontanées pour la défense de la liberté d’expression, du droit au blasphème, contre le racisme -tous les racismes. Cette vague a commencé dés mercredi, vraisemblablement avec des centaines de milliers de manifestants. Elle n’a pas diminué jusqu’au dimanche.

Toutefois, devant ce déferlement, élus locaux, hommes politiques et, bien entendu, le pouvoir exécutif, a couru derrière puis essayé de prendre les devants. L’ « union nationale » a été proclamée. La volonté d’en haut de neutraliser le plus possible le contenu politique de cette énorme mobilisation spontanée, et le souhait fréquent à la base de dignité et de silence envers les organisations politiques, ont conduit à ce fait que le principal slogan, mot d’ordre ou symbole a été ce panneau « Je suis Charlie » désormais entré dans l’histoire.

Sous cette unité apparente, deux mouvements. La lame de fond populaire, et l’union nationale. Deux choses différentes même si on les confond souvent. Bien des contradictions ont eu le temps de surgir dans les multiples manifestations et rassemblements de ces quelques jours.

Chose importante, il arrive que les organisations syndicales ou certaines d’entre elles décident d’appeler de manière indépendante aux rassemblements, ou, comme la CGT, la FSU, Solidaires et l’UNEF à Clermont-Ferrand - ville où la mobilisation sera peut-être la plus forte de France à la fois par tradition et parce que l’une des victimes était une figure locale- appellent explicitement à refuser l’union nationale et à manifester pour la liberté d’expression. Ici la gauche ne veut pas manifester avec la droite, là l’inverse, ou alors les dirigeants des partis de gauche tentent, et ne parviennent pas toujours à transformer des rassemblements appelés par des organisations syndicales, démocratiques et laïques en messes œcuméniques. Mais la masse des gens ne voit pas vraiment tout cela et va à tout dés qu’elle le peut.

Partout on dit et on fait dire « pas de slogan » mais il y en a quand même, partout on dit et on fait dire « pas de pancartes » mais elles arrivent quand même, par exemple avec des dessins de Charlie, et puis on ne peut pas censurer ceux qui crient et affichent « Liberté d’expression » et « Droit au blasphème » dans de telles circonstances, tout de même ! Il y a le Front National à la manœuvre mais les gens le sentent, le voient et le minorisent, systématiquement - on va en reparler.

Il y a, aussi, les musulmans ou celles et ceux qui simplement peuvent se sentir « musulmans » sans l’être en fait parce que d’origine arabe, ou kabyle, ou de tel quartier, ou simplement basané, qui sont là - mais peu la jeunesse des banlieues, c’est vrai, ou alors, forcément, dans la masse - et qui veulent dire qu’ils n’ont pas à se justifier, ce qui est très juste alors que des imbéciles le leur demandent parfois, mais pas dans les manifestations, surtout sur les plateaux télé ; et qui craignent cependant d’être montrés du doigt et font remarquer que la laïcité ne consiste pas à tolérer les signes extérieurs catholiques en réprimant les musulmans. Oui les musulmans sont préoccupés, pas seulement les musulmans d’ailleurs mais tous leurs parents et amis et toutes les personnes d’origine nord-africaine proche ou lointaine, d’autant qu’il y a eu cette série d’agressions anti-musulmanes.

D’une autre façon les athées aussi, les athées beaucoup (les athées musulmans sont donc doublement inquiets !!!) : les amis de Charlie, les premiers dans la rue, commencent à rigoler dés jeudi quand la cathédrale Notre-Dame de Paris sonne ses cloches pour Cabu le croqueur de nonnes et Wolinski le dessinateur de petites femmes ! Un plus grand ancien encore du vieux Charlie et d’Hara Kiri, Willem, qui se dispensait des réunions de rédaction, ce qui l’a sauvé, commence à s’énerver vendredi et dit « vomir ceux qui disent subitement être nos amis. Nous avons beaucoup de nouveaux amis comme le pape, la reine Elizabeth et Poutine : ça me fait bien rire. »

Contradictions qui n’empêchent pas des couches toujours plus larges, toujours plus nombreuses, de descendre dans la rue pendant ces journées.

Ce développement massif, énorme, gros de grandes contradiction, le sachant de plus en plus, a culminé le dimanche 11 janvier avec l’étrange spectacle d’une gigantesque mobilisation populaire combinée à un rassemblement de chefs d’Etat tout aussi surprenant.

En effet, François Hollande avait convié, proche de lui dans les rangs, l’ancien président Nicolas Sarkozy, et les chefs d’Etat européen comme Merkel, Renzi et Cameron, et quantité d’autres dont Victor Orban l’inquiétant dirigeant hongrois, le roi et la reine de Jordanie, Omar Bongo, Benjamin Netanyahou et Avigdor Lieberman d’Israël, Mahmoud Abbas pour l’Autorité palestinienne, le ministre des Affaires étrangères de Poutine Lavrov, et tutti quanti. L’union dite nationale élargie en union sacrée internationale, on pouvait difficilement imaginer pire. Les associations de journalistes dénonçaient la présence de nombreux dirigeants répressifs envers la presse et, sur les réseaux sociaux, les discussions parmi les militants de gauche dont beaucoup disaient se refuser à aller à ces rassemblements du dimanche, comme Olivier Besancenot, allaient bon train.

Selon la police, et sans qu’il soit sérieusement possible de dire si ceci est minimisé, comme souvent, ou amplifié, il y a eu 3,7 millions de manifestants en France le dimanche 11 janvier, dont 700 000 à Paris.

Mais les grands de ce monde, arrivés à part et protégés par des cordons surarmés, sont isolés du peuple par plusieurs centaines de mètres de vide. La masse manifeste indépendamment, tranquillement. Son rassemblement a d’ailleurs, il faut le dire, un caractère national au sens initial du terme : un peuple qui se constitue comme tel dans le sentiment d’avoir à lutter contre l’oppression. Et l’inquiétude des militants de gauche, d’extrême-gauche et des syndicalistes, qu’il y ait récupération, détournement de ce mouvement vers l’idée de guerre de civilisation, vers un Patriot Act à la française dont on ne doute pas par ailleurs que M.M. Valls ou Sarkozy y rêvent, vers, malgré les bons sentiments proclamés, une diabolisation des musulmans, cette inquiétude légitime, fondamentale, est ici, dans la quiétude d’une foule très pacifique et très amicale, comme si la peine et le choc avaient engendré de l’empathie - et c’est réellement ce qui s’est produit - comme dissoute dans l’impression collective qu’un mouvement pareil n’est pas récupérable, au fond. Et c’est ainsi qu’à Paris la foule va, sans tenir compte ni penser au quarteron des quarante chefs d’Etat.

Cette description vécue contredit naturellement les perceptions fantasmatiques qui ont court dans certaines publications se voulant révolutionnaire de par le monde, qui voudraient frémir à l’idée d’une grande vague nationaliste et anti-musulmane en France, un peu comme d’autres, ou les mêmes, veulent frémir à l’idée que le nazisme aurait repris le pouvoir en Ukraine, ou encore que tous les Egyptiens et tous les Tunisiens ou presque, et bien entendu tous les Syriens, ces malheureux Syriens pris entre deux feux, seraient des islamistes. Oui, de même qu’il y a des fascistes en Ukraine, des islamistes dans les pays musulmans, il y a des racistes en France qui ont essayé de tirer parti de ces évènements, sans arriver d’ailleurs, pour les plus sincère d’entre eux, à jouer à la sympathie pour Charlie Hebdo qui, culturellement, représente la France qu’ils détestent - ils sont les beaufs qu’esquive et contredit le grand Duduche de Cabu. Mais le fait dominant est leur minorisation qui est allé croissant au-delà des provocations de mercredi soir, permises par les attentats fascistes et islamistes.

Envers le Front National, le président Hollande et la direction du PS ont adopté une attitude délibérément ambigüe. Ils ne l’ont pas invité aux rassemblements de dimanche dont F. Hollande a voulu se présenter comme l’organisateur, mais Mme. Le Pen a été reçue, comme les chefs de l’UMP, de l’UDI, du PS, du PCF, du PRG, d’EELV et du PG, par le président de la V° République. Les responsables PS sur les plateaux de télévision ont expliqué que le FN n’était pas invité parce qu’il avaient « un pied en dehors de la République », ce qui veut donc dire aussi qu’il a un pied « dedans ». Autrement dit, cette vraie fausse exclusion du FN de « l’union nationale » ne pouvait pas faire plus le jeu du FN : possibilité était donné à ses membres de venir, tout en le diabolisant juste ce qu’il faut pour qu’il puisse se présenter en victime, la porte lui étant en réalité plus qu’entrouverte, par François Hollande lui-même, pour les futures opérations d’ « union nationale ». Le tout dans un contexte marqué par des crimes fascistes commis par des individus issus de familles immigrées et se réclamant de l’islam. Comment imaginer, a priori, meilleur contexte, meilleur cadre, meilleur terreau, pour le FN ?

En fait, et ceci a culminé dimanche, le FN a fini de devenir invisible, lui qui avait multiplié les tentatives jeudi et vendredi pour apparaître comme tel ou de façon masquée. Mme Le Pen avait appelé ses partisans à « manifester en province » et avait elle-même annoncé qu’elle prendrait la parole à Beaucaire, une municipalité FN. Elle voulait en faire un point de fixation, défiant le rassemblement parisien en se présentant comme injustement exclue de « l’union nationale ». Ce fut un échec politique cuisant : seulement un millier de participants, dont une grande partie sont venus pour siffler la chef du FN. Son n°2, Florian Philippot, devait manifester et s’exprimer à Metz. Un coup d’œil sur les sites de la presse régionale, comme sur ceux du FN, ne donne, le lendemain, aucune trace de cette intervention dans une manifestation de 45 000 personnes, avec des photographies de jeunes filles levant le poing et de vieux messieurs brandissant des unes anticléricales de Charlie …

La réalité est donc que l’extrême-droite a reculé en France ces derniers jours, et que ce n’est certes pas grâce à la politique de ses gouvernants. Cela, malgré la réalité des agressions anti-musulmanes qui doivent évidemment être dénoncées et combattues.

En conclusion : ce qui s’est produit est bien une forme inédite de ce à quoi aspirent bien des militants, des syndicalistes, des citoyens qui veulent une issue politique à la crise totale que nous connaissons : un processus constituant, où le peuple commence à se dresser comme tel.

Ce jaillissement ne durera pas des semaines, mais ce qui a jailli va maintenant remplir mille et uns canaux. D’une façon ou d’une autre, cela va se préciser bientôt, une nouvelle période commence.

Vincent Présumey, le 12/01/15.


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