Une journée au Testet (Corinne Morel-Darleux)

mercredi 24 septembre 2014.
 

Depuis fin aout j’avais des fourmis dans les pieds. Contactée par Yannis Youlountas pour faire partie des premiers membres du comité de soutien, j’ai ensuite co-signé une tribune de personnalités associatives et politiques à l’invitation de Reporterre pour interpeller la Ministre Royal, puis suivi et relayé de loin les différents événements se déroulant contre le projet de barrage de Sivens dans le Tarn. Il était temps pour moi d’y aller, aussi quand l’invitation des camarades de Toulouse et du Tarn est arrivée j’ai sauté sur l’occasion d’aller voir tout ça de plus près.

Ce projet de barrage, non seulement implique le déboisement et la destruction de la zone humide du Testet, mais il a pour vocation d’irriguer des cultures céréalières très gourmandes en eau, à rebours du modèle d’agriculture paysanne que nous défendons. Il a été décidé de manière opaque, porté par le président du Conseil général qui reconnait aujourd’hui lui-même que le projet est peut-être surdimensionné et qu’il n’a pas les financements européens sur lesquels il comptait pour le réaliser. Diable. Dommage de le dire une fois que le déboisement est effectué ! Car vendredi j’y suis allée, et je peux témoigner qu’il n’y a plus que trois arbres debout sur toute la zone, ceux dans lesquels des citoyens se sont harnachés pour s’opposer au saccage. Le reste est parti pour faire des meubles et du bois de chauffage.

Environnement, agriculture, démocratie. On retrouve au Testet tous les ingrédients des luttes écologistes contre les grands projets inutiles et imposés qui se multiplient depuis que le combat de Notre Dame des Landes a permis d’accroitre mise en réseau et visibilité de ces différents lieux de résistance contre le modèle productiviste et les abus de pouvoir qui lui sont intimement liés. Du combat contre les gaz de schiste à la ferme-usine des 1000 vaches, jusqu’au triangle de Gonesse contre le projet d’Europa-City où une marche a rassemblé largement ce samedi à l’initiative du collectif Alternatiba d’Ile de France, la mobilisation citoyenne s’amplifie, stimulée par la perspective du sommet Cop 21 de négociations internationales sur le climat à Paris en 2015.

Mais localement au Testet c’est dur. Les zadistes sont peu nombreux, fatigués et harcelés par certains pro-barrage qui opèrent de nuit sur la zone. Les dernières décisions de justice ne vont pas dans le bon sens, les arbres ont été coupés. Le moral tient mais il faut les aider. Parce que leur combat c’est aussi le nôtre, celui d’un intérêt général humain à sauvegarder les conditions même de la vie humaine sur terre, à changer nos manières d’être à la nature et de l’exploiter. Pas par utopie fleur bleue, pas pour emmerder les agriculteurs du coin ou se donner des airs écolos : juste parce qu’on en a impérativement besoin. L’eau, l’oxygène, la biodiversité, la fertilité des sols… Est-il encore besoin d’expliquer que sans tout ça l’être humain n’est rien ?

Heureusement au Testet les soutiens affluent, jusqu’aux comédiens de Groland, peu à peu les relations sur place se teintent d’humanité avec les gardes mobiles, les renforts des lycéens (voir la vidéo ici) redonnent du cœur, et de plus en plus de journalistes commencent à venir rendre compte de la situation. En tant qu’élue, en montrant ma carte du conseil régional et après quelques minutes de négociation, j’ai pu passer le barrage policier vers la zone fermée de la Zad du Testet.

Avec Jean-Christophe Sellin, membre du Bureau National et deux camarades du PG munies d’une caméra, nous avons ainsi pu apporter notre soutien à la dizaine de jeunes citoyens qui continuent vaille que vaille d’occuper le terrain. Une caravane leur sert de point fixe, les huissiers apparemment ne veulent pas venir sur zone constater la situation, or faute de constat et de décision de justice, il ne peut y avoir de décision d’expulsion. Du moins c’est ce qu’ils espèrent, tout en redoutant les bulldozers.

Au retour, nous avons pu longuement discuter avec leur avocate Claire Dujardin et le porte-parole du collectif du Testet, Ben Lefetey. Entourés de Bernard Cottaz-Cordier et Nadine Verdier du Tarn, de Lise Maillard et des nombreux camarades venus apporter le soutien du PG, nous sommes ensuite allés rejoindre les lycéens qui avaient organisé une manifestation à Albi pour prolonger le mouvement de solidarité engagé dans différents lycées du coin. Qui a dit que les jeunes ne se bougeaient pas ? Ils étaient là, avec mégaphone et banderoles, soucieux de leur avenir et prenant les choses en main. Et bon sang ça fait du bien. Tout comme ça fait incroyablement plaisir de voir les grands Gatti, Neruda, Thoreau et Mendes habiller de leurs mots nos pancartes…

J’en ai passé des heures à défendre des projets, des luttes, des Yasuni ITT, à parler du projet absurde de Center Parcs dans la forêt des Chambarans, des militants de SOS Forêts, des travailleurs de l’ONF, des communes forestières étouffées par l’austérité, des emplois menacés ou de la loi dite d’avenir agricole… Mais on a aussi tous besoin d’un peu de poésie dans le maquis, et tout ça me fait toujours irrésistiblement penser au grand combattant-poète, amoureux des arbres : Armand Gatti.

Dante Sauveur Gatti… En 1982, il présentait au festival de Cannes son film « Nous étions tous des noms d’arbres », un film d’Irlande sur fond de combats à Derry - en gaélique : « la forêt de chênes ». La même année il s’installait non loin du Testet, à Toulouse, et y fondait l’Atelier de création populaire. Dans La Révolte des objets de Maïakovski, il jouait le rôle de l’auteur. Et en effet, qui d’autre que lui pour incarner cet « Amour, poésie, révolution » cher à Maïakovski ? Qui sinon Gatti, qui veut retrouver « les mots et le langage qui permettent d’affronter le monde » et concevra avec le groupe de La Parole errante, un théâtre qui se veut « l’université du pauvre » ?

On n’en a pas eu tant que ça, des résistants capables de mêler rimes et pistolet. Car pour Gatti, la langue est une arme. Comme le raconte le journal L’Humanité, surnommé « Don Qui » dans la résistance, en forêt de la Berbeyrolle non loin de Tarnac, le maquisard prenait le temps entre deux combats d’écrire les lettres d’amour de ses camarades, et d’aller lire aux arbres Les cahiers de prison de Gramsci. Il raconte : « Je ne sais pas exactement comment, mais au bout d’une semaine, j’ai eu le sentiment que les arbres répondaient, qu’ils comprenaient Gramsci. Parfois, il fallait les secouer un peu, puis ils partaient à l’assaut du ciel. Nous avions creusé un trou, il fallait l’habiter, le rendre stratégique. Et pour ça, les arbres qui sont avec les hommes les deux choses verticales dans le monde pouvaient nous aider ». Plus tard, arrêté puis déporté dans un camp de travail, Armand Gatti composera une épopée sur les arbres en deux mille alexandrins puis, évadé, il retournera à pied jusque sa forêt, avant de repartir en jeune parachutiste d’à peine vingt ans portant béret rouge et vert.

Je voudrais que les Zadistes du Testet ici, comme les Camille de Notre Dame des Landes, tous les hommes et femmes en lutte, placent leur pas sous la protection et dans la lignée fière, libre et farouche d’Armand Gatti, du syndicaliste brésilien Chico Mendes, des arracheurs de pieux chers à Jean-Jacques Rousseau, du désobéissant Henry David Thoreau et de l’arbre du peuple de Pablo Neruda qui écrivait « Voici venir l’arbre / c’est lui l’arbre du peuple, tous les peuples / de la liberté, de la lutte ».

Parce que leur lutte est belle, et qu’elle contient aussi notre liberté… Merci à eux.


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