L’inspection pédagogique : mal-aimée mais inchangée

samedi 20 septembre 2014.
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Ce rituel ancestral et décisif pour les carrières est souvent vécu comme un traumatisme par les professeurs et comme une évaluation obsolète pour bon nombre d’inspecteurs.

Dans l’imaginaire collectif, l’inspecteur pédagogique, mine sévère et costume sombre, guette la moindre erreur de l’enseignant depuis le fond de la classe pour prendre ensuite un malin plaisir à lui aligner les reproches lors d’un entretien à charge. Une image peu flatteuse qui n’est pas si éloignée du ressenti des professeurs. D’après un sondage du syndicat SE-Unsa paru en avril, 83 % des enseignants du premier degré ont peur de l’inspection, contre 54 % dans le second degré. Un chiffre confirmé par le SNUipp-FSU. Dans son enquête publiée à la rentrée, la principale organisation du premier degré détaille ce ressenti  : 78 % des instituteurs trouvent l’exercice stressant et seulement 52 %, valorisant  ; 82 % l’assimilent à une tâche avant tout administrative et de contrôle. Pas de statistiques récentes du côté des enseignants du secondaire, mais le secrétaire général adjoint du Snes-FSU, Xavier Marand, confirme que l’inspection est bien vécue comme traumatisante par la majorité de ses collègues. Une crainte pour les enseignants

Ce qui cloche  ? Un peu tout. La fréquence, tout d’abord. Les inspecteurs sont censés évaluer l’enseignant tous les cinq ans. «  C’est très rarement le cas, constate Xavier Marand. Quand un inspecteur vient, c’est plutôt tous les dix ans, donc c’est l’événement. Quelqu’un vient juger vos compétences, décider de l’avancement de votre carrière… c’est normal d’appréhender.  » Un enseignant peut gravir les échelons au fur et à mesure de son ancienneté, ou voir cette progression boostée par une bonne note lors de son inspection. Fabienne Bellin est professeur de mathématiques en fin de carrière. Elle a été inspectée trois fois  : «  L’inspecteur débarque comme un chien dans un jeu de quilles, une 
fois tous les quinze ans et remet en cause notre pratique. Donc, oui, c’est traumatisant.  » Du côté des inspecteurs, même regret  : «  On aimerait venir plus souvent, constater les progrès, la mise en place de conseils qu’on a pu donner, mais c’est impossible, explique Patrick Roumagnac, secrétaire général du syndicat de l’inspection de l’éducation nationale, Unsa-SI.EN. On est trop peu nombreux. Aujourd’hui, l’inspection n’est qu’une parenthèse pour l’enseignant.  » Ce manque de temps empêche également l’évaluation collective, pourtant essentielle, selon l’ancien inspecteur. «  L’enseignant n’est plus l’instituteur d’antan qui était responsable de tout, mais quelqu’un qui fait partie d’un ensemble. Lors d’une inspection, on devrait pouvoir rencontrer le conseiller pédagogique et une partie des enseignants pour comprendre le contexte dans lequel il travaille.  » Paul Devin, ancien inspecteur et secrétaire général du Syndicat national des personnels d’inspection (SNPI FSU), a fait ses calculs. Une circonscription compte environ 400 enseignants du premier degré et, lui, en inspectait à peine 70 par an. Il lui fallait donc six ans en moyenne pour les voir tous. Puis recommencer. Une véritable course contre la montre. «  Alors que les professeurs ont de moins en moins de moyens, les inspecteurs entrent dans un modèle de management privé, déplore-t-il. Il faut du rendement, de la performance. Il y a quinze ans, ces termes n’existaient pas.  » Le reproche le plus fréquent reste celui du comportement de l’inspecteur, accusé d’être plutôt dans le jugement que dans l’accompagnement. Les forums regorgent d’anecdotes où les enseignants disent s’être sentis humiliés, tyrannisés même, et dans la majeure partie des cas, infantilisés lors de leur inspection. Mathieu, professeur de musique, le dit sans détour  : pour lui, ces évaluations, c’est «  papa inspecteur qui vient gronder fiston professeur  ». Il se rappelle de celle qui devait lui permettre de valider son agrégation. Il était confiant. En quinze ans de carrière, il n’avait jamais eu de remarque négative. Sa classe était motivée. Même sa chef d’établissement voulait lui confier le poste à long terme. Seulement, le jour J, ce fut un désastre. «  L’inspecteur a assisté à une heure de cours et m’a dit que rien n’allait. Il m’a reproché, entre autres, de faire écrire mes élèves, soi-disant qu’ils écrivaient bien assez dans les autres cours  ! J’étais abasourdi, il ne me laissait même pas me défendre  !  » Comme il s’en doutait, son agrégation n’a pas été validée. Diagnostiqué en burn-out, il s’est mis en arrêt et ne souhaite pas revenir dans un système qui, selon lui, n’a pas su reconnaître son investissement. Les recours restent maigres pour un enseignant qui souhaite contester une inspection. Il peut rédiger une réponse au rapport qui sera intégrée à son dossier, ou espérer, pour les professeurs du second degré, que la note de son chef d’établissement compensera celle de l’inspecteur et demander une nouvelle évaluation. Fabienne Bellin a elle aussi le souvenir d’un inspecteur-juge avec qui le dialogue a été impossible. «  Je savais que j’étais en difficulté avec ma classe et j’attendais des conseils pour m’aider à avancer. Au lieu de quoi, je n’ai eu que l’inventaire de ce qui n’allait pas. Au final, cette inspection ne m’a rien apporté.  » Paul Devin reconnaît les torts de certains de ses collègues et les explique en partie. «  Lors de nos réunions, beaucoup font part de leur difficulté à assumer la mauvaise image de notre fonction. Parfois, pour faire face, ils se blindent et restent dans l’injonction.  » Lui a sa stratégie. Il pose des questions et amène ainsi l’enseignant à comprendre de lui-même ses erreurs et les solutions qu’il peut trouver. Patrick Roumagnac l’approuve  : «  Instaurer une relation de confiance est primordial, c’est à ce moment que les masques tombent et que l’enseignant admet ses faiblesses. Il m’est souvent arrivé de voir des enseignants fondre en larmes devant moi, et là, c’est moi qui étais traumatisé  ! Pourtant, je n’avais pas de reproches à leur faire, mais eux se trouvaient nuls, je devais les rassurer.  » L’ancien inspecteur reconnaît que la partie psychologique de l’entretien n’est pas toujours facile à gérer. La formation actuelle, sur un an, en alternance, prend en compte, avant tout, l’aspect pédagogique. Autre réclamation  : l’augmentation de formations continues, jugées trop peu fréquentes par les enseignants comme par les inspecteurs. «  La formation est le seul moment où on est détaché de l’urgence de nos classes et du rapport hiérarchique, résume Franck Brock, professeur des écoles. Cela nous permet de nous interroger en profondeur sur nos pratiques pédagogiques. Seulement les possibilités de formation sont rares et les stages peu engageants.  » Selon la dernière enquête Talis, les enseignants français du secondaire bénéficient moins d’activités de formation continue que leurs homologues des pays de l’OCDE  : 76 % ont pu en suivre une en 2013, contre 88 % en moyenne.

Ailleurs en Europe des évaluations plus collectives Le dernier rapport 
de l’inspection générale sur «  l’évaluation des enseignants  » cite la chercheuse Nathalie Mons  : «  22 pays européens 
sur 30 étudiés ont des évaluations collectives 
en plus des individuelles. 
Et près de la moitié ont aussi introduit une évaluation par les chefs d’établissement.  » Des pistes pour la France  ?

Raphaëlle Besançon, L’Humanité


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