Six personnalités expliquent leur refus d’un grand marché transatlantique consacrant la domination des multinationales

mercredi 25 mars 2015.
 

A l’initiative du collectif Stop Tafta, cent personnalités (politiques, syndicalistes, intellectuels…) lancent en France un appel des citoyens contre le traité transatlantique. Six d’entre elles expliquent leur engagement.

Patrick Le Hyaric, député européen Front de gauche, directeur de l’Humanité. « Le droit des affaires ne doit pas primer »

« Si la Commission européenne n’a rien à craindre de la réaction des populations à propos de ce grand marché transatlantique, qu’elle sorte du secret des négociations. Qu’elle fasse publier le mandat de négociation, qu’elle donne tous les éléments en débat au Parlement européen, aux parlements nationaux, aux syndicats, aux associations de consommateurs, aux associations non gouvernementales. La Commission défend âprement le projet de tribunal arbitral international, or ce sont les élus des peuples qui font la loi, pas les avocats des multinationales. Nous refusons que le droit des affaires prime sur les droits humains et sociaux. Il ne s’agit pas de politiques dites commerciales, il s’agit de la sécurité de l’emploi, de savoir ce que nous mangerons demain, de notre santé, de l’accès à l’éducation et à la culture, de la biodiversité, des manières de produire. Il s’agit de nos droits économiques et sociaux. En fait, il s’agit d’un choix de civilisation. Nous attendons de la transparence et plus d’explications de la Commission. Et surtout l’abandon de ce dangereux projet. »

Bernadette Groison, secrétaire générale 
de la FSU. « L’école concernée au premier chef »

«  Si l’on en croit les défenseurs du traité de libre-échange, l’éducation ne serait pas vraiment concernée. Cela est contestable parce que le traité de libre-échange, s’il existe un jour, aura un impact sur notre modèle de société, donc sur l’école. En réalité, les débats en cours sur les systèmes de formation, le socle commun de connaissances et de compétences, ou encore l’apprentissage, nous donnent d’autres indications. Il existe, à l’évidence, une volonté de mettre le système de formation en adéquation avec le modèle de production visé par Tafta. La mise en concurrence des universités, des diplômes, la surenchère des classements sont des illustrations parfaites du projet de soumettre la formation au monde de l’entreprise. Or la vocation de ce dernier n’est pas de répondre à l’intérêt général. Certes, la formation doit préparer au monde professionnel, mais pas seulement. L’école joue aussi un rôle émancipateur, d’éducation des citoyens, de développement de leur esprit critique dont il n’est pas question de nous passer. D’ailleurs, comme le préconise notre appel, des coopérations pourraient améliorer le système éducatif, avec les États européens en premier lieu. Nous pourrions comparer nos systèmes pour lutter contre l’échec scolaire ou mutualiser encore plus les recherches, les laboratoires, ce qui n’existe pas assez.  »

Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice PS. « Ce traité vise en fait à affaiblir les États »

«  Le refus du traité transatlantique est majoritaire au PS, comme l’a montré le vote des militants lors de la convention sur l’Europe de juin 2013 sur l’amendement qui prenait position contre l’engagement des négociations sur ce traité. Cela correspond à un choix idéologique de fond  : l’affirmation de la nécessité de sortir du libre-échange généralisé pour entrer dans une logique du juste-échange à laquelle, à l’évidence, ce traité, tel qu’il est conçu, tourne le dos. Ce projet constitue aussi une menace pour la démocratie  : il s’élabore dans le dos des peuples, via des réunions clandestines tenues dans la plus totale absence de transparence, et le tribunal d’experts envisagé dans l’accord est une façon de déposséder les peuples du pouvoir d’arbitrage de leurs juridictions nationales. Ce traité vise en fait à affaiblir les États pour donner le pouvoir aux multinationales. Dans ces conditions, nous ne pensons pas que des normes sociales et environnementales équilibrées puissent y être introduites. »

Gaël Giraud, économiste, jésuite.

« Il faut attaquer ce traité en amont de son adoption » «  Il y a plusieurs raisons de s’opposer au traité, mais la cause majeure est la clause de défense des investisseurs. Celle-ci autorise les entreprises (américaines ou européennes) à assigner un pays devant un tribunal si son gouvernement adopte une législation défavorable aux intérêts de l’entreprise. La seule condition est qu’elle ait investi dans le pays qu’elle poursuit. Le tribunal ad hoc chargé de l’affaire tranchera uniquement sur la base du droit commercial international et du traité. Pour simplifier, ce ne seront plus les gouvernements qui dirigeront mais les multinationales. Sur le front du débat économique, il n’y a aucune preuve empirique sérieuse que la libéralisation du commerce ait contribué de manière significative à la prospérité économique. Par contre, il est très clair qu’elle a fait augmenter les inégalités et entraîné la désindustrialisation de pays comme la France. Il faut attaquer ce traité de libre-échange en amont de cela.  »

Laura Chatel, secrétaire fédérale des Jeunes écologistes. « Nos normes environnementales sont en danger »

« L’accord Tafta entre l’Europe et les États-Unis présente un danger sans précédent du fait, en particulier, de l’introduction d’un mécanisme de règlement des différends sous la forme d’un tribunal ad hoc qui serait géré par des arbitres internationaux. Les grandes firmes internationales édicteraient alors toutes les normes et pourraient faire condamner les États à payer des amendes si leurs lois ne leur convenaient pas. Nos normes environnementales seraient alors en danger car elles sont, aux États-Unis, souvent moins élevées. Quand la province de Québec a suspendu tous les permis d’exploitation de gaz de schiste à cause de la pollution générée dans la région, des entreprises l’ont attaqué via ce système de règlement des différends en lui demandant le paiement d’une énorme amende. Cela pourrait arriver à la France qui a aussi décidé d’une telle interdiction. Il faut en finir avec cette idée complètement folle que la crise et ses conséquences se régleront avec toujours plus de libre-échange. Des solutions plus audacieuses, plus nouvelles doivent émerger comme une taxe carbone aux frontières de l’Europe. »

Marie-Monique Robin, journaliste, documentariste. « Ce type d’accord tire toujours les droits vers le bas »

« Tous ces accords de libre-échange ne profitent qu’aux multinationales. J’ai vu à l’œuvre l’Alena, l’accord nord-américain dont George Bush père disait lui-même qu’il était un laboratoire du libre-échange. Cet accord a littéralement détruit l’agriculture mexicaine, en mettant par exemple en concurrence le maïs traditionnel mexicain avec le maïs OGM subventionné des États-Unis. Cet accord a poussé à la rue ou à l’immigration clandestine trois millions d’agriculteurs mexicains, sans aucune contrepartie positive pour le Mexique. Il ne faut pas croire une seconde que la signature d’un traité de libre-échange avec les États-Unis va apporter un point de croissance, ou de l’emploi. C’est faux. Ce type d’accord tire toujours vers le bas toutes les réglementations sociales et environnementales. Si on laisse passer cet accord, les multinationales imposeront leurs règles, et si nous refusons de manger du poulet aux hormones, l’une d’elles déposera plainte auprès d’un organisme de contentieux, et obtiendra gain de cause. »


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message