Réforme territoriale : Un embrouilli désastreux

lundi 7 octobre 2019.
 

En mai, lors de sa rencontre avec la délégation du Parti de Gauche conduite par Gabriel Amard et Danielle Simonnet, François Hollande avait promis une réforme « proche, simple et démocratique ». Sa nouvelle carte et sa tribune indiquent tout le contraire : le nouveau paysage territorial sera plus éloigné des citoyens, plus complexe, et moins démocratique.

La méthode opaque du redécoupage signe l’état d’esprit de la réforme : tenir le peuple à distance. Pour la proximité, le mensonge saute aux yeux quand on voit la taille des nouvelles régions. Où sera la proximité dans une région qui ira du Gard aux Hautes-Pyrénées, de Nîmes à Tarbes ? Ou dans une région qui ira de Chartres à La Rochelle ? François Hollande annonce que ces nouvelles régions auront compétence pour les routes, les bus, les collèges. Ces compétences sont aujourd’hui gérées par les conseils généraux, à l’échelle des départements. Demain, elles seront gérées à plusieurs centaines de kilomètres de distance. Les collèges de Moulins-sur-Allier seront gérés depuis Lyon, à 200 kilomètres ! Les routes du Gers seront gérées depuis Montpellier, à moins que ce ne soient les routes du Gard qui soient gérées depuis Toulouse, dans les deux cas à 300 kilomètres de là. Que vont devenir les personnels qui travaillent à l’entretien des routes, des collèges et des lycées ? Devront-ils accepter des mutations à plusieurs centaines de kilomètres ? Et sur quelle base seront harmonisées les conditions sociales des agents des différentes régions fusionnés ? Par le haut ou par le bas ?

La course au gigantisme ne se limite d’ailleurs pas aux régions. François Hollande veut aussi faire grossir les intercommunalités. Les Communautés de Communes ne pourront plus compter moins de 20 000 habitants contre 5 000 aujourd’hui. Pourquoi changer ce découpage alors que les électeurs viennent de voter pour élire leurs représentants dans ces instances il y a à peine 3 mois ? Et que la carte des intercommunalités du pays a été revue de fond en comble ces dernières années suite à la réforme Sarkozy ?

Ce ne sera pas plus simple non plus. Fusionner des régions ne rend rien plus simple. Déjà, les problèmes s’accumulent : Quel nom pour les nouvelles régions ? Quelle préfecture de région entre Toulouse et Montpellier ou entre Metz et Strasbourg par exemple ? Comment harmoniser les vacances scolaires entre les écoles, collèges et lycées de Basse-Normandie actuellement en zone A et ceux de la Haute-Normandie, aujourd’hui en zone B ? Surtout, François Hollande prévoit de supprimer les Conseils généraux. Mais leur suppression n’est pas prévue avant 2020. En effet, il faut pour cela changer la Constitution, et François Hollande n’a pas de majorité pour le faire. Donc les départements continueront à vivre. D’ailleurs, les élections départementales auront bien lieu en 2015. Mais ils seront progressivement vidés de leurs compétences dès l’an prochain. Au profit de qui ? François Hollande lui-même ne sait pas bien répondre. Sa tribune est d’un flou artistique. Au début, ça parait clair : « les grandes régions auront davantage de responsabilités. Elles seront la seule collectivité compétente pour soutenir les entreprises et porter les politiques de formation et d’emploi, pour intervenir en matière de transports, des trains régionaux aux bus en passant par les routes, les aéroports et les ports. Elles géreront les lycées et les collèges ».

Puis, ça devient vite encore plus confus : « la création de grandes régions, et le renforcement des intercommunalités absorberont une large part des attributions [du conseil général]. Mais cette décision doit être mise en œuvre de façon progressive car le conseil général joue un rôle essentiel dans la solidarité de proximité et la gestion des prestations aux personnes les plus fragiles. […] Du temps est nécessaire et de la souplesse est indispensable. Une large initiative sera laissée aux élus pour assurer cette transition. Certaines métropoles pourront reprendre les attributions des conseils généraux et toutes les expérimentations seront encouragées et facilitées ». Vous avez compris quelque chose ? Le seul point à peu près clair, c’est que les compétences seront réparties entre collectivités à la carte entre seigneurs locaux. Ici, c’est la région qui s’en occupera mais ailleurs, ce pourrait être l’intercommunalité ou une autre « expérimentation ». Sans compter que François Hollande annonce la suppression des conseils généraux mais précise dans sa tribune que « le département en tant que cadre d’action publique restera une circonscription de référence essentielle pour l’État, autour des préfets et de l’administration déconcentrée avec les missions qui sont attendues de lui » !

Reste la démocratie. Ou plutôt : les reculs démocratiques. François Hollande et Manuel Valls ont déjà annoncé qu’ils ne voulaient pas de référendum. Ni sur la réforme des compétences, ni sur le découpage. Ensuite, François Hollande souhaite reporter les prochaines élections prévues en mars 2015 à l’automne 2015. Après les municipales et les européennes, faut-il y voir une volonté de repousser la prochaine sanction électorale ? L’objectif est clairement affirmé par François Hollande dans sa réforme : il veut « moins d’élus ». C’est déjà ce que voulait Nicolas Sarkozy. François Hollande reprend le même discours. Et il ne prend pas de gants : les 4 000 conseillers généraux disparaîtront en 2020. Et le nombre d’élus régionaux sera lui aussi réduit parfois drastiquement puisque François Hollande veut limiter leur nombre à 150 par région fusionné. Or, aujourd’hui, par exemple, Poitou-Charente, Limousin et Centre comptent à elles trois 174 élus. Il faudra donc revoir aussi la répartition des élus régionaux entre départements puisque aujourd’hui les conseillers régionaux sont élus sur une base départementale. Qui perdra ? Les territoires ruraux évidemment. Et la démocratie. Car moins d’élus, ce sont moins de citoyens en charge de représentation de leurs compatriotes ! Bien sûr, les « petits partis » verront leur représentation réduite d’autant.

Cette réforme est bricolée dans le cadre de la politique d’austérité, cela va de soit. Le gouvernement prévoit de réaliser 11 milliards d’euros de coupes dans les budgets des collectivités locales. C’est la déclinaison du plan d’austérité de 50 milliards de Manuel Valls. C’est une somme considérable. L’enjeu est donc de réduire la démocratie pour pouvoir couper en silence dans les services publics locaux. Car le gouvernement sait que sa réforme en elle-même ne rapportera rien. Le secrétaire d’État chargé de la réforme avait parlé de 12 à 25 milliards d’euros d’économies espérées une fois la réforme achevée. Le président de l’Association des départements de France, pourtant lui aussi membre du PS, avait parlé de « chiffres farfelus ». Déjà, le gouvernement est revenu à une fourchette de « 10 à 12 milliards d’euros ». Au fur et à mesure, le montant baissera. Car même réformé, il faudra quand même acheter des trains régionaux, entretenir les routes, verser les aides sociales aux personnes âgées, construire des collèges, etc. Et la réforme va même engendrer des coûts supplémentaires. Les élus régionaux viendront de plus loin, ce qui coûtera plus cher. Les fusions de régions et l’aspiration de compétences des départements vont entraîner une révision complète de la signalétique. Il faudra mettre le logo des régions à la place de celui des départements dans tous les collèges du pays par exemple.

Cette réforme va plaire à la Commission européenne. Elle l’a voulue. François Hollande n’en avait nullement parlé dans la campagne présidentielle. Par contre, la réforme territoriale figure dans les recommandations que la Commission européenne adresse à la France.

C’était déjà le cas l’an dernier. C’est encore le cas dans les recommandations qu’elle a adressés lundi 2 juin après-midi, veille de la tribune de François Hollande. Que dit la Commission ? Elle appelle « à intensifier les efforts visant à obtenir des gains d’efficacité dans tous les sous-secteurs des administrations publiques, y compris par une redéfinition, le cas échéant, de la portée de l’action des pouvoirs publics […] ; à fixer un calendrier clair pour le processus de décentralisation en cours et à prendre des mesures préliminaires, d’ici à décembre 2014, en vue d’éliminer les doublons administratifs, de faciliter les fusions entre les collectivités locales et de préciser les responsabilités de chacun des échelons des collectivités locales ; à fixer un plafond pour l’augmentation annuelle des recettes fiscales des collectivités locales tout en réduisant comme prévu les subventions octroyées par l’État ». Voilà à quoi obéit François Hollande ! Les despotes de la Commission veulent venir finir ce que Brunswik n’était pas parvenu à faire : intimider la France républicaine au profit des délires provincialistes. La prochaine étape sera l’instauration d’une « règle d’or » pour les collectivités, pour les obliger à baisser leurs dépenses au fur et à mesure que l’État baisse ses subventions. Et cela aura des conséquences directes sur le prix de la cantine dans les établissements scolaires, sur l’entretien de la voirie, sur le réseau d’aide à domicile, sur les investissements publics en matière d’accueil des personnes âgées dépendantes, de bâtiments scolaires, etc. Une fois de plus, l’affaiblissement de la démocratie est le compagnon de l’austérité. Les deux marchent ensemble. De l’Europe aux communes.

Cette réforme doit être combattue. Pour autant, faut-il être partisan du statu quo ? Oui, les institutions du pays doivent être réformées. Tout le monde en convient, semble-t-il, puisque cette « réforme » est engagée ! Mais qui en a l’autorité sinon le peuple lui-même, qui doit refonder les institutions ? C’est pour cela que la France a besoin d’une Assemblée Constituante et d’une nouvelle République. François Hollande préfère l’opacité, les copinages, les duchés d’Ancien Régime et le fait du Prince qui décide seul de la carte des régions. Face à cela, je ne sais comment porter remède sinon qu’avec le fer rouge de l’action populaire et l’insurrection civique. Je compte bien que la révolte des élus locaux nous aide à renverser ce projet funeste et ceux qui l’ont conçu.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message