Réforme territoriale : Le redécoupage permanent

mercredi 28 mai 2014.
 

François Hollande a annoncé au détour d’une interview le 6 mai au matin qu’il envisageait de supprimer les départements et de diviser par deux le nombre de régions. Il a dit qu’« il faut aller vite sur les réformes de notre territoire ».

Pourquoi ce projet tout à coup si urgent n’a jamais été évoqué pendant la campagne présidentielle ? Et, pourquoi François Hollande a-t-il annoncé lors de ces vœux aux corréziens le 18 janvier 2014 qu’il était contre la suppression des départements ?

Ce projet de réforme territoriale n’est qu’un artifice de plus et parmi d’autres du PS agonisant au pouvoir pour obéir à Bruxelles. Il ne s’agit pourtant pas de sujets anecdotiques. Contrairement à ce que semble penser François Hollande, il ne s’agit pas là que d’un exercice de tracé sur une carte. L’organisation du territoire est un des éléments du pacte républicain. La revoir en profondeur à ce point c’est donc remettre en cause ce pacte. La précipitation du président de la République est le symptôme de la poursuite de ses attaques contre la République, de son mépris pour la démocratie et la souveraineté populaire et du diktat auquel il se plie de la Commission européenne, pro-régions et austéritaire.

L’organisation territoriale est un pacte républicain

Les Départements ont été créés au moment de la Révolution Française, en novembre 1789. C’était la traduction d’une volonté politique forte pour valoriser l’appartenance à un ensemble national. Les départements étaient dirigés par une assemblée, composée de citoyens élus. Cette organisation a permis d’homogénéiser l’organisation territoriale, tout en conservant une administration locale. Ainsi, ont été supprimées les particularités des provinces d’Ancien Régime, considérées comme étant uniquement le reflet des privilèges de l’aristocratie locale.

A l’inverse, les Régions ont été créées beaucoup plus récemment, en 1955. Les régions de programme permettent la mise en œuvre décentralisée des plans nationaux, et ne sont pas dotées de représentants élus. Les Régions deviennent des établissements publics en 1972, toujours administrées par le préfet, représentant de l’Etat. Ce n’est qu’avec la loi de 1982 que les Régions sont gouvernées par des élus.

La création des départements est profondément politique, et n’a rien ni d’aléatoire, ni d’anodin. S’appuyer sur les régions comme structure principale de l’organisation territoriale et supprimer les départements c’est donc à la fois rayer cet héritage et avec lui un des fondements de la République.

Un projet bidouillé, hors des réalités

Le projet de suppression des départements et d’agrandissement des régions, est justifié par un souci de lisibilité et d’économies. Deux arguments autant fallacieux que dangereux.

La lisibilité d’abord.

C’est l’argument toujours invoqué à côté de la simplification pour masquer la suppression des services publics. En effet, induire que la suppression des départements rendra plus lisible l’action publique c’est considérer que les citoyens aujourd’hui ne comprennent pas ce que font les conseils généraux. Mais c’est faux, la majorité des personnes interrogées dans les récents sondages savent que les départements s’occupent d’action sociale et de routes, les deux principales compétences de ces collectivités locales avec les collèges.

C’est en fait pour répondre à la Commission européenne que l’on propose de telles mesures : celle-ci pousse à la régionalisation, pour affaiblir l’échelon étatique, et bénéficier ainsi de liens directs avec les Régions dans les Etats membres. Avec pour objectif d’asseoir encore davantage ses orientations libérales. Tout cela au prix d’une flambée des régionalismes encouragés par cette politique européenne et par l’anxiété induite par le tricotage et détricotage permanents des organisations territoriale. L’exemple de la Catalogne, de la montée en puissance de la Ligue du Nord en Italie ou la manifestation des indépendantistes bretons réclamant le rattachement de la Loire Atlantique à la région Bretagne au lendemain des annonces du Président de la République témoignent de ce danger pour l’unité des Etats et de la République en France.

Les économies ensuite.

La suppression des départements et la fusion des régions seraient sources d’économies. Mais pourtant les départements sont aujourd’hui en charge du RSA, de la protection maternelle et infantile, de l’aide sociale à l’enfance, des pompiers, du recrutement des assistantes maternelles, de l’entretien des routes et des collèges…

Soit on considère que ces missions seront toujours assurées, que ce soit par les régions ou par un organisme de l’Etat et dans ces cas-là l’argument des économies est fallacieux. Soit les économies auront bien lieu, mais en sacrifiant les services publics existants aujourd’hui, par la suppression du lien de proximité que constituent les départements et incarné notamment par les travailleurs sociaux et les agents de terrain, soit en privatisant une partie de leurs missions, comme par exemple l’accompagnement des personnes âgées ou des personnes handicapées, accentuant les inégalités sociales d’accès aux soins et à la prise en charge. Et dans ce cas, l’argument est particulièrement dangereux.

Enfin, quelle ironie que cette argument d’économies quelques mois après l’adoption d’une loi qui consacre les Métropoles, échelon territorial en doublon des communes et inscrit dans une politique de concurrence entre territoires particulièrement coûteuse.

Absence de consultation des français

Enfin, ce projet a été présenté, en trois phrases par le Premier Ministre et le Président de la République avec à chaque fois une insistance particulière sur la nécessité d’aller très vite. Aucune consultation des français n’est prévue sur ces sujets. Pourtant, ils n’ont pas voté un tel programme puisque cette réforme vient d’être sortie du chapeau. Pourtant, cela constituerait des changements profonds de leurs rapports à la puissance publique et des institutions qui font société et République. A ceux qui demandent un référendum, le ministre de l’Intérieur répond que cela n’est pas possible, que cela serait contreproductif car les français ne répondent en général pas vraiment à la question qui leur est posée.

C’est un nouveau mépris du peuple qui « n’aurait pas compris », auprès de qui « il faut faire de la pédagogie » et autres sornettes maintes fois entendues depuis le référendum sur la Constitution Européenne de 2005.

En fait, ils ont peur, car les français ont très bien compris et rejetteraient ce bidouillage. Ils ont peur d’une telle souveraineté populaire car le maître aujourd’hui, de Valls et Hollande, celui à qui ils rendent des comptes, et qui soutient ce projet, n’est pas le peuple français, mais la Commission et la Banque Centrale européennes. Comme des petits enfants qui ont peur de se faire taper sur les doigts en cas de fausse note, ils préfèrent éviter de poser la question, et inscrivent ainsi leur action dans la dynamique austéritaire de l’Union Européenne actuelle.

Claire Mazin


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