Elections parlementaires en Inde : un glissement vers l’extrême droite ?

mercredi 14 mai 2014.
 

L’Inde, «  la plus grande démocratie du monde  », est actuellement en pleines élections législatives et possiblement à l’aube d’une nouvelle orientation politique marquée par le conservatisme et l’ultra-nationalisme. Après 5 semaines de votations, le 16 mai prochain, le parti majoritaire à la Lok Sabha, Chambre du Peuple dans un parlement bicaméral, et le futur Premier ministre issu de ce parti seront connus. Alors que le Parti du Congrès (centriste social-démocrate) est actuellement majoritaire, les élections de 2014 pourraient marquer l’arrivée au pouvoir du nationaliste pro-hindous Narendra Modi et de son parti, le BJP.

Plus de 814 millions de personnes sont attendues aux urnes en Inde entre le 7 avril et le 12 mai 2014 afin d’élire une des deux chambres du Parlement, la Lok Sabha. La plus grande élection jamais organisée s’achèvera le 16 mai, jour où sera connue la répartition exacte entre les différents partis politiques des 543 sièges de la Chambre du Peuple. Le parti et ses alliés qui auront obtenu le plus de voix verront leur leader prendre le poste de Premier ministre  : ces élections législatives sont capitales dans l’orientation politique que suivra l’Inde les cinq prochaines années. Or, le risque est grand que le parti conservateur et ultra-­nationaliste hindou BJP (Bharatiya Janata Party) remporte la bataille face au traditionnellement majoritaire Parti du Congrès, dont le candidat de tête est Rahul Gandhi issu de la dynastie Gandhi-Nehru.

Un nationalisme anti-musulman

La «  Dance of Democracy  » (comme l’appelle le Times of India) a donc démarré, mettant en scène les différents repré­sen­tant·e·s des partis en lice. Soulignant sa politique orientée vers extrême droite, le BJP a choisi comme leader Narendra Modi, âgé de 63 ans et gouverneur de l’État du Gujarat depuis 2001. Modi a débuté sa carrière de militant politique au sein du mouvement fasciste nationaliste hindou RSS (Corps des volontaires nationaux), franc supporter d’une Inde pour les hindou·e·s et pour la relégation des mu­sul­man·e·s au statut de citoyen de seconde zone (si ce n’est directement au Pakistan). Il choisit ensuite de rejoindre les rangs du BJP pour faire campagne dans son état natal.

En 2002, sous la gouvernance de Narendra Modi, de violents pogroms ont lieu dans le Gujarat contre les mu­sul­man·e·s. Le conflit se cristallise lors de l’assassinat de 58 hindou·e·s en partance pour un pèlerinage. Aujourd’hui encore les coupables n’ont pas été identifiés, mais les mu­sul­man·e·s sont à l’époque désignés coupables par les foules. Des émeutes surviennent dans tout l’Etat sans que la police n’intervienne et le constat est lourd  : près de 2000 morts (officiellement moins de la moitié) et de terribles atrocités marquent encore les mémoires. La responsabilité de ce massacre colle à la peau de Modi qui, bien que se montrant actuellement plus modéré à l’encontre des mu­sul­man·e·s, représente toujours la voie de l’ultra-­nationalisme, pro-armée et pro-hin­dou·e·s. Dans le programme du BJP pour ces élections, il est d’ailleurs explicitement prévu la construction d’un temple hindou à Ayodhya, lieu où la mosquée Babri Masjid fut rasée en 1992 ce qui provoqua de premières émeutes inter­religieuses.

Des élections sur fond de crises sociale et économique

Le BJP et son chef de file trouvent une large partie de leur électorat dans une classe moyenne qui a pris de l’ampleur avec l’ouverture économique indienne des années 90. Avec l’impact de la crise économique et de l’inflation sur la croissance économique, cet électorat s’est déporté vers la droite libérale et nationaliste qui tient un discours populiste sécuritaire tout en stigmatisant les pauvres et les mu­sul­man·e·s. Les milieux patronaux sont aussi séduits par le discours néolibéral tenu par Modi et son parti autant que par les facilités économiques et fiscales qu’ils leur promettent. Durant son mandat de gouverneur, Modi a privilégié un fort développement des infrastructures permettant d’attirer les capitaux et les grandes entreprises.

Deux facettes donc chez Modi  : l’attrait économique et la violence contre les minorités. Ce constat donne un avant-goût du visage de l’Inde ces prochaines cinq années si le BJP remporte les élections. Il y a fort à parier que les violences faites aux femmes, les centaines de milliers de suicides de paysan·n·e·s désespérés de pouvoir sortir un jour de la spirale de la dette, l’expulsion de millions d’habitant·e·s des bidonvilles au profit de grands groupes immobiliers dans les centres urbains ou le sort des Dalits et des Indigènes ne figureront pas en tête de liste du programme du parti. Pourtant certaines possibilités existent  : sur les 543 sièges de la Lok Sabha, des quotas sont prévus pour des représentant·e·s Dalits et Indigènes (18 %) et pour les femmes (33 %), mais les principaux partis ont choisi d’un commun accord de ne pas s’y tenir cette année.

Alors quelles alternatives pour les élec­teurs·trices indiens  ?

Traditionnellement le Congrès est un parti centriste modéré qui prétend défendre les intérêts de la population, des pauvres comme des minorités. Mais depuis des années qu’il est au pouvoir, les changements se font encore attendre et de plus en plus le discours du parti s’axe autour d’une militarisation pour combattre les factions rebelles Maoïstes. Restent deux alternatives (Aam Admi Party, le parti anti-corruption, et le troisième front de gauche composé du Parti communiste d’Inde et de quelques alliés) pour tenter d’obtenir une répartition du Parlement qui ne laissera pas toute la place au BJP.

Aude Martenot


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