Municipales 2014 : Remarques pour mes camarades communistes

dimanche 27 avril 2014.
 

La représentation municipale du Front de gauche et, au-delà, de la gauche de gauche se concentre depuis le début sur les élus et les mairies dirigées par des communistes ou « apparentés ». Que le patrimoine municipal des communistes aille bien ou mal n’est donc pas l’affaire des seuls communistes. Qu’en est-il après ces municipales de 2014 ? Laissons les formules au vestiaire, « érosion » ou « Bérézina ». Essayons de nous tenir le plus près possible des faits.

1. Le phénomène communiste municipal est depuis longtemps un tissu de communes de taille plus ou moins grande. À son apogée, en 1977, le PCF gérait 1 464 communes, qui regroupaient 8,6 millions d’habitants, soit un peu plus de 16,5 % de la population française. Dans cet ensemble, les communes de plus de 3 500 habitants étaient au nombre de 380 et regroupaient 7,7 millions d’habitants. Un cinquième des municipalités communistes concentrait un peu plus de 85 % de la population administrée par des communistes ; les 15 % restants étaient donc partagés par les quatre cinquièmes des mairies communistes. En 1977, le PCF gérait ainsi plus de 23 % de la population urbaine métropolitaine.

2. Le patrimoine municipal du PCF s’est réduit après 1977, élection après élection, quelle que soit la conjoncture politique. Le mouvement a été plus ou moins rapide. Par exemple, en 1983, le parti retrouvait à peu près le même nombre global de mairies qu’en 1977. Mais cette stabilité cachait un important déséquilibre : la part des communes modestes se consolidait et gagnait même en population administrée ; mais dans le sommet du tableau, le PC perdait 33 communes de plus de 3 500 habitants et une population de 1,6 million d’habitants.

À l’époque, le bon résultat dans les petites communes avait atténué le choc du recul en milieu très urbanisé. Mais les élections de 1989 ont remis les pendules à l’heure : les communistes ont perdu à la fois dans les petites et les grandes communes. En douze ans, la population administrée a baissé de 3,3 millions ; le PCF n’était plus qu’à la tête de 254 villes de plus de 3500, pour 12,7 % de la population urbaine française. Les élections de 2008 ont constitué en ce sens une exception. Le fléchissement global a été faible, d’une quarantaine ou d’une soixantaine selon les estimations de l’époque. Dans la tranche des plus de 3 500, c’était presque l’équilibre, le PCF conquérant à peu près autant de villes qu’il en perdait (entre 30 et 35).

3. Où en est-on en 2014 ? À l’heure où j’écris ces lignes, une analyse globale est impossible. Une impression, encore trop partielle, suggère que le PCF se comporte plutôt bien dans des communes de dimension modeste (au-dessous de 3 500 habitants). Le problème est que les masses de population impliquées ne sont pas d’abord dans ces communes.

Ce qui est décisif, une fois de plus, c’est l’importance de la population gérée. En 2008, à partir des fichiers constitués par le PCF et par l’Anecr, j’ai décompté 194 communes de plus de 3 500 habitants administrées par un maire communiste ou « apparenté ». Ces communes regroupaient 2,9 millions d’habitants. En 2014, dans cette tranche de communes, je dénombre 134 communes conservées et 11 communes conquises ou reconquises, dont Montreuil et Aubervilliers (180 000 habitants à elles deux). Ce total de 145 représente environ 75 % des effectifs de départ. La perte de 25 % est la plus forte depuis 1989 (27 %).

En population administrée le déficit est de 570 000 environ. Le total de population administrée par 145 mairies communistes s’élève à un peu moins de 2,4 millions d’habitants, soit 5,4 % de la population de la France urbanisée. C’est plus de quatre fois moins qu’en 1977 et plus de deux fois moins qu’en 1989.

4. J’ajoute au tableau le cas particulier de la Région parisienne. Elle représente aujourd’hui, à elle seule, la moitié de la population municipale du PCF. Or, c’est dans cette région, qui fut le territoire par excellence de la « banlieue rouge », que le recul est le plus saisissant. Au maximum de son influence, en 1977, le PCF était à la tête de 147 municipalités et administrait un tiers de la population francilienne. Aujourd’hui il n’administre plus qu’un dixième de cette population, répartie dans 38 communes (un quart de l’effectif de 1977). Par rapport à 2008, il perd à nouveau un peu moins d’un quart de ses mairies, à peu près autant qu’en 1983 et en 2001.

Le département de la Seine-Saint-Denis est le symbole le plus fort de ce délitement. Il compta jusqu’à neuf députés communistes sur neuf en 1978 et, en 1977, les 27 municipalités communistes administraient près de 80 % de la population départementale. En trente ans, les communistes ont perdu 20 communes et les villes communistes ne regroupent plus qu’un gros quart de la population du « 93 ». Bobigny, Bagnolet et Saint-Ouen faisaient partie des plus anciennes villes communistes, déjà même socialistes avant la Première Guerre mondiale. Elles ont été perdues en 2014, au profit du PS (Bagnolet) et de la droite.

J’ajoute enfin ce que l’on ne mesure pas encore. La débâcle du Parti socialiste et la perte de nombreuses villes où le PCF participait aux exécutifs dirigés par des socialistes vont priver les communistes, et donc la gauche de gauche, d’une représentation municipale étendue. Jusqu’alors, la majorité des élus associés à l’Anecr se trouvait dans ce type de communes. Qu’en sera-t-il au moment du décompte final ? Tout laisse craindre une baisse notable, qui va s’ajouter à celle, déjà bien préoccupante, de la décennie précédente.

5. La représentation municipale du PCF a donc sérieusement baissé dans la France urbaine en général. Le plus grave est que le décrochage est particulièrement accentué dans certains territoires. En 1977, le PCF n’avait aucune ville de plus de 3 500 habitants dans 26 départements. En 1989, leur nombre est passé à 42, puis à 52 en 2008. Il est de 59 en 2014.

La bonne tenue dans les communes petites et moyennes ne peut faire oublier l’affaiblissement préoccupant dans la France la plus urbanisée, là où se joue l’évolution contemporaine de l’économie et de la société. Il faut y être d’autant plus attentif que de nombreuses communes de plus de 3 500 habitants ont été conservées de justesse. Dans 29 villes communistes, le PCF se trouvait au second tour dans une situation de triangulaire (20), voire de quadrangulaire (9). Dans 17 de ces cas, son score se situe entre 40 % et 50 % et, dans 4 cas, il est même au-dessous de 40 %. On ne réécrit pas l’histoire : nul ne peut dire ce qu’il en aurait été dans un autre contexte politique moins traumatisant pour la gauche que celui de ce printemps 2014. Mais convenons qu’une cinquantaine de pertes et une trentaine d’incertitudes, cela fait beaucoup.

Mieux vaut partir de l’idée que, villes perdues et villes acquises de justesse sont le signal d’une fragilité redoutable. Rien ne garantit que la conjoncture prochaine sera meilleure. Il est donc raisonnable de se dire que le communisme français, dans sa dimension municipale, est dans une situation délicate exigeant beaucoup de lucidité, beaucoup de réflexion et beaucoup d’audace.

Bien sûr, tel ou tel cas concret de ville ne correspond pas nécessairement au tableau général. Des succès ont été enregistrés, et de belle manière. Mais aucun territoire n’est à l’abri d’une déconvenue. Pour une raison toute simple. Depuis 1989, les municipalités communistes sont frappées de plein fouet, non seulement par la crise économique et sociale, mais aussi par la crise politique. Depuis cette date, l’abstention approche ou même dépasse la moitié du corps électoral. Les comportements plus ou moins « hors-système », listes « citoyennes » ou « alternatives » se multiplient. Dans ces conditions, un basculement même modeste de l’électorat peut provoquer la formation de majorités tournées vers l’éviction des maires communistes. Ce fut en 1989 le cas à Alès et à Bègles ; ce fut le cas à Pantin en 2001 ; en 2014, cela a été le cas à Bobigny, au Blanc-Mesnil ou à Villejuif.

6. Les militants communistes réfléchiront bien entendu à tout cela, sans qu’il soit besoin de le leur dire. Qu’ils sachent simplement que le problème n’est pas seulement le leur, qu’il est celui de tous ceux qui continuent de vouloir l’alternative. Que l’espace municipal communiste reste conséquent est une chance ; qu’il se réduise dans la France urbaine est dangereux pour tous. Je disais un peu plus haut qu’il y a eu des résultats très honorables ou encourageants. Ce que je retiens pour ma part est de nature globale. Dans l’ensemble, quelle qu’ait été la stratégie retenue dans les villes communistes « sortantes », union de la gauche, Front de gauche ou listes communistes plus ou moins « ouvertes », le résultat a été en gros le même. Les reculs l’ont emporté sur les bons résultats.

Cela signifie que vous êtes, que nous sommes devant un problème plus global. Je tends à penser qu’il y a, dans notre dispositif à l’intérieur d’une gauche bien à gauche, quelque chose qui n’est pas adapté. Cela concerne ce que l’on a appelé, à tort ou à raison, le « communisme municipal ». Cela concerne plus largement la façon de faire de la politique. Pas simplement d’ailleurs de « faire » : il s’agit aussi de la manière « d’être » un militant, d’être un collectif politique dans une France qui n’est plus celle du XXe siècle. Ce problème d’inadaptation, je pense depuis longtemps qu’il touche le Parti communiste ; je pense aujourd’hui, plus encore qu’hier, qu’il n’est pas le seul à être affecté.

À nous tous de faire face à nos responsabilités.

Roger Martelli Tribune dans L’Humanité


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