Tribunal Russell sur la Palestine : conclusions

vendredi 14 février 2014.
 

Le 25 janvier s’est tenue une confé­rence dont l’objet était de res­tituer les conclu­sions du Tri­bunal Russell sur la Palestine et d’en tirer toutes consé­quences utiles pour com­battre l’impunité d’Israël du chef des vio­la­tions du droit inter­na­tional carac­té­risées à la charge de cet Etat.

Rappel… Le tri­bunal Russell a tenu quatre ses­sions et une session de syn­thèse. Les quatre ses­sions se sont déroulées selon le même ordre : un jury, présidé par Sté­phane Hessel et constitué de per­son­na­lités connues pour leur enga­gement pour la liberté et la justice rendait son verdict après l’écoute et le ques­tion­nement d’experts et de témoins.

La pre­mière session a eu pour cadre Bar­celone, en mars 2010. Elle avait pour but de qua­lifier l’attitude de l’Union Euro­péenne et d’Etats membres vis-​​à-​​vis de la poli­tique israé­lienne d’occupation du ter­ri­toire pales­tinien. Le jury a conclu à la com­plicité active de l’UE et d’Etats membres dans la poli­tique de colo­ni­sation israé­lienne.

Il a rendu le même verdict à l’encontre d’entreprises mul­ti­na­tio­nales à la session de Londres de Novembre 2010. La session du Cap, en novembre 2011, était consacrée à la question du crime d’apartheid. Le jury a reconnu la validité de l’accusation au regard de la Convention de l’ONU sur la répression et l’élimination du crime d’apartheid. La session de New York, en novembre 2012, a conclu à la res­pon­sa­bilité des États-​​Unis et a pointé les man­que­ments de l’ONU. Elle a éga­lement abordé la question du sociocide, sans conclure for­mel­lement sur la validité de ce concept.

La session de syn­thèse s’est tenue à Bruxelles en mars 2013. Le Tri­bunal a ainsi offi­ciel­lement clos ses travaux, en demandant aux sociétés civiles du monde de s’emparer de ses conclu­sions et de faire pression sur les gou­ver­ne­ments pour qu’ils appliquent ses recom­man­da­tions. Il a aussi encouragé les sociétés civiles du monde à s’investir dans les mou­ve­ments paci­fiques, notamment le BDS, initié par la société civile pales­ti­nienne.

Les ora­teurs ins­crits au pro­gramme de la confé­rence étaient, par ordre de passage :

• Chris­tiane Hessel, membre du Comité Orga­ni­sateur Inter­na­tional du Tri­bunal Russell sur la Palestine, autrice de « Gaza, j’écris ton nom », paru aux édi­tions Indigènes

• Véro­nique de Keyser, vice-​​présidente du groupe socia­liste au Par­lement Européen, co-​​autrice avec Sté­phane Hessel de « Palestine, la tra­hison euro­péenne », paru aux édi­tions Fayard et témoin à la session de Barcelone

• Ilan Pappé, historien israélien, témoin à la session de New York

• Miguel Angel Estrella, pia­niste, ambas­sadeur de la Répu­blique Argentine auprès de l’UNESCO et membre du jury à la session de New York

• Pierre Galand, coor­di­nateur général du Comité Orga­ni­sateur Inter­na­tional du Tri­bunal Russell sur la Palestine

• Jean-​​Guy Greilsamer, membre de la campagne BDS F

• Taoufiq Tahani, Président de l’Association France Palestine Solidarité

• Frank Barat, coor­di­nateur du Comité Orga­ni­sateur Inter­na­tional du Tri­bunal Russell sur la Palestine

Le débat était modéré par Brahim Senouci, membre du Comité Orga­ni­sateur Inter­na­tional du Tri­bunal Russell sur la Palestine.

Après une pré­sen­tation des asso­cia­tions orga­ni­sa­trices de l’événement, Chris­tiane Hessel a pris la parole pour une brève intro­duction dans laquelle elle a retracé à grandes lignes les raisons de son impli­cation et de celle de son époux, Sté­phane Hessel, dans le Tri­bunal Russell. C’est suite à plu­sieurs voyages en Palestine qu’ils ont res­senti tous deux la nécessité impé­rieuse de s’investir dans le combat paci­fique pour faire triompher le droit dans cette région du monde.

Véro­nique de Keyser a énoncé, de manière cli­nique, la longue liste des com­pro­mis­sions de l’Union Euro­péenne, la surdité des gou­ver­ne­ments aux aver­tis­se­ments venant du Par­lement, le choix après la vic­toire du Hamas aux élec­tions de 2006 (parti dont la par­ti­ci­pation avait été exigée par l’UE !) d’ostraciser ce mou­vement, pré­ci­pitant ainsi la fracture du mou­vement national et celle du ter­ri­toire pales­tinien. Elle pointé la culpa­bilité de l’UE dans la longue des­cente de l’Autorité Pales­ti­nienne vers un statut de men­diant inter­na­tional. Elle a cependant terminé sur une note opti­miste en rap­pelant que l’UE s’est enfin décidée à exclure les pro­duits des colonies du champ de l’Accord qui la lie à Israël.

Ilan Pappé, en direct de Haïfa, a dénoncé l’apartheid pra­tiqué par l’Etat d’Israël et déroulé une plai­doirie en faveur d’un Etat commun. Dans un souci de cla­ri­fi­cation, le modé­rateur a rappelé que le Tri­bunal ne s’est pas pro­noncé sur la forme de la solution défi­nitive, consi­dérant qu’il n’était pas de son ressort de prendre parti sur cette question. Miguel Angel Estrella a introduit une note très per­son­nelle dans ce débat. Il a raconté son expé­rience argentine sous la dic­tature des colonels et son sou­venir d’une coha­bi­tation paci­fique entre Juifs et non Juifs dans son pays. Il a retracé la mise sur pied de l’Orchestre salam-​​shalom, regroupant des musi­ciens des trois confes­sions mono­théistes. Pierre Galand a décrit la genèse du Tri­bunal et en a retracé l’historique, la recherche des fonds, les ten­ta­tives de briser le mur média­tique, les inter­pel­la­tions des pou­voirs… Il est revenu sur les contri­bu­tions excep­tion­nelles de cer­tains membres du jury, notamment Roger Waters, dans la média­ti­sation de l’événement par l’utilisation de ses réseaux de mil­lions de fans. Il a appelé de nouveau les sociétés civiles à prendre leurs res­pon­sa­bi­lités en mettant leurs gou­ver­ne­ments en demeure de cesser toute com­pro­mission avec le colo­nia­lisme israélien. Le Tri­bunal Russell sur la Palestine ayant pour objet de dénoncer l’impunité de l’Etat d’Israël avec la com­plicité de tous les acteurs inter­na­tionaux déjà men­tionnés, dans ses conclu­sions, appelait Israël et ses « com­plices » à revenir au respect du droit inter­na­tional mais, pour le cas où ils ne le feraient pas, appelait les citoyens à inter­venir eux-​​mêmes, prendre des ini­tia­tives, notamment par l’intensification de la cam­pagne BDS (Boycott-​​désinvestissement-​​sanctions), de s’engager sys­té­ma­ti­quement à informer le public, prendre toutes mesures néces­saires de pression tant sur leur élus que sur les entre­prises com­plices. C’est dans ce cadre qu’ont eu lieu les inter­ven­tions ultérieures.

Jean-​​Guy Greil­samer a d’abord exposé sur la cam­pagne BDS lancée le 9 juillet 2005 par plus de 170 asso­cia­tions de la société civile pales­ti­nienne invitant les orga­ni­sa­tions des sociétés civiles inter­na­tio­nales et les gens de conscience du monde entier à imposer de larges boy­cotts et mettre en œuvre des ini­tia­tives de retrait d’investissement contre l’Etat d’Israël, mesures de sanction non-​​violentes devant être main­tenues jusqu’à ce que cet Etat res­pecte son obli­gation de recon­naître le droit inalié­nable des Pales­ti­niens à l’autodétermination. Il a pré­senté les déve­lop­pe­ments et les effets de cette cam­pagne dans le monde entier et, en par­ti­culier en France. Pour sa part, Taoufiq Tahani a passé en revue les dif­fé­rents modes d’action qui s’offrent aux citoyens et aux­quels le Tri­bunal appelle expli­ci­tement. Il a rappelé notamment la pro­cédure menée contre les sociétés Alstom et Véolia qui ont par­ticipé à la construction et la main­te­nance d’un tramway destiné à faci­liter les trans­ports des colons vers Jéru­salem. Il a insisté aussi notamment sur la question des pri­son­niers, rappelé l’appel à la cam­pagne inter­na­tionale lancé depuis la cellule où était empri­sonné Mandela pour la libé­ration des pri­son­niers poli­tiques pales­ti­niens et l’initiative de l’AFPS consistant à les faire par­rainer par des citoyens en France.

Frank Barat a enfin décrit le « follow up » des conclu­sions du Tri­bunal. Il y est aussi question des pri­son­niers et d’une ini­tiative qui pourrait entrer en réso­nance avec celle exposée par Taoufiq Tahani. Il s’agit d’une pro­po­sition d’Angela Davis de constituer un comité inter­na­tional constitué d’anciens pri­son­niers poli­tiques, qui appel­lerait à la libé­ration de Marwan Bar­ghouti et de tous les pri­son­niers pales­ti­niens. En conclusion, on peut estimer que les deux-​​cents per­sonnes qui consti­tuaient le public ont tiré parti de cette ren­contre. Elles ont d’abord (enfin, pourrait-​​on dire !) été édi­fiées sur le Tri­bunal Russell sur la Palestine et ont eu un aperçu fidèle de l’immense travail auquel il a donné lieu, travail rendu pos­sible par la mobi­li­sation de dizaines d’experts et de témoins, par le par­rainage de plus de cent-​​vingt per­son­na­lités pres­ti­gieuses à travers le monde, l’abnégation d’éminents juristes attachés à aider le jury dans la rédaction de ses attendus et de ses juge­ments. Ce travail a pu être conduit jusqu’à son abou­tis­sement grâce à l’aide de dona­teurs, ins­ti­tu­tionnels comme la mairie de Bar­celone, des syn­dicats, des asso­cia­tions, ou des par­ti­cu­liers… Last but not least, il faut saluer le courage des dizaines de béné­voles qui se sont acquittés de tâches souvent obs­cures mais qui ont toute leur part dans ce succès. Le public a aujourd’hui à sa dis­po­sition, non seulement les conclu­sions du Tri­bunal mais aussi les dizaines de rap­ports d’expertise et de témoi­gnages qui les fondent. Il est désormais outillé pour le mili­tan­tisme au quo­tidien qui consiste à convaincre l’ami, le voisin, le passant. Il est aussi protégé contre toute vel­léité de se voir frappé d’un dis­crédit moral, voire judi­ciaire. Il pourra uti­liser sa fougue et sa force de conviction puisque sa pro­pension natu­relle à se sentir proche du peuple pales­tinien opprimé ne se fondera plus seulement sur l’émotion mais aussi sur un argu­men­taire juri­dique inattaquable.

Brahim Senouci


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