THEORIE DU GENRE … ELLE COURT, ELLE COURT LA RUMEUR !

mardi 9 août 2016.
 

« Je l’ai vue sur Facebook ». Des interactions créées pour faire un effet de masse. Aux origines : Farida Belghoul, Soral, l’UNI… (février 2014)

Depuis la mi-janvier, des parents reçoivent des SMS les enjoignant à retirer leurs enfants de l’école un jour par mois, pour lutter contre la supposée « théorie du genre » qui leur serait enseigné. Des appels semblables sont lancés sur Facebook, avec effets réels dans les salles de classe. D’où part cette rumeur ? Pourquoi se répand-elle si bien ?

Réponses de Guillaume Brossard, cofondateur de HoaxBuster

Cet appel au « boycott d’un jour de classe » a ceci d’intéressant qu’il est très politisé, très réfléchi, et que les réseaux sociaux et autres canaux viraux ont servi à blanchir son origine. Nous ne sommes pas face à un mouvement spontané d’internautes, mais face à une instrumentalisation mûrement réfléchie.

« Je l’ai vue sur Facebook »

J’ai discuté la semaine dernière sur Facebook avec des gens qui parlaient de cette « théorie du genre qu’on enseigne à nos enfants à l’école ». Ils étaient scandalisés. Je leur ai demandé d’où provenait cette « information ». Réponse : « Je l’ai vue sur Facebook ». Mais encore ? Quelle est la source première ? « Quelle importance, m’a-t-on répondu, je n’ai pas le temps d’aller rechercher ça précisément, mais si autant de gens en parlent sur Facebook, c’est bien qu’il y a un fond de vérité. » On touche ici au fonctionnement même de la rumeur. Un discours tenu par un individu n’a pas beaucoup de poids. Mais si 10, puis 20, puis 50 personnes tiennent le même discours, alors il commence à en avoir. Et peu importe que le propos soit vrai ou pas, puisque de toute façon l’internaute n’a « pas le temps » de vérifier.

Des interactions créées pour faire un effet de masse

C’est exactement ce qu’il s’est passé avec cette supposée « théorie du genre » enseignée à l’école et à l’origine du « jour de retrait ». Des interactions ont été créées pour que les gens en parlent entre eux, pour qu’il y ait de plus en plus de monde au courant. Cet effet de masse s’est appuyé sur les réseaux sociaux, sur des listes de mails et sur des chaînes de SMS. Comment ces données ont-elles été collectées ? Via des pétitions signées dans la rue ou sur internet, via des « likes » de pages Facebook anonymes, qui permettent d’engranger des adresses mail et des profils « non politisés », ou encore via des abonnements à certaines newsletters.

Concernant les numéros de téléphones portables, plusieurs hypothèses :

Nous ne sommes pas si loin du mouvement « Manif pour tous », qui a collecté bon nombre de données de ses sympathisants ;

Certaines signatures de pétitions sont accompagnées de numéros de téléphone ;

Des logiciels permettent de générer automatiquement des numéros de portable (tous pris en France) puis d’envoyer des SMS en masse.

Ainsi, quand bien même le mouvement initial serait basé sur des idéologies auxquelles tous n’adhèrent pas, il bénéficie désormais de multiples relais qui vont porter sa parole sans même le savoir.

Aux origines : Farida Belghoul, Soral, l’UNI…

L’origine de la rumeur a donc été blanchie par les réseaux sociaux. Pourtant, elle est très identifiée et politisée. Farida Belghoul, une proche d’Alain Soral, ne cache pas son impulsion. Mais elle n’est certainement pas la seule figure. Quand on tape « théorie du genre » dans Google, on trouve en première page le site « theoriedugenre.fr ». Une recherche « whois » permet de découvrir que c’est le syndicat universitaire très marqué à droite l’UNI qui en est à l’origine.

Ce site est aussi à l’origine de la page Facebook « Non à la théorie du genre », qui comptabilise plus de 12.500 fans. Dans un autre registre, quand on tape « égalité », le premier site qui remonte est « Egalité et Réconciliation », la plateforme d’Alain Soral. Son idéologie renvoie pourtant à tout sauf à l’égalité et la réconciliation…

Bien sûr, c’est l’algorithme de Google, indexé sur les recherches des internautes, qui lui permet ce classement. Ce site ressort parce qu’il est, d’une part, très consulté, et, d’autre part, parce que les recherches actuelles associent le plus souvent les mots « égalité » et « réconciliation ». Mais le fait qu’un internaute lambda qui veut faire une recherche toute simple sur le mot « égalité » se voit proposer, en premier lieu, celui d’Alain Soral, est une orientation en soi. Et bien sûr, « Egalité et réconciliation » relaie abondamment les vidéos et messages de Farida Belghoul.

Les réseaux sociaux servent de blanchisseuse

Cet appel au « jour de retrait de l’école » diffusé sur le web et par SMS est donc très bien ficelé et très bien organisé. Quand on démonte cette machine de guerre, on voit que c’est une idéologie d’extrême-droite qui se cache derrière. Mais les parents visés ne s’en rendent pas forcément compte. En effet, les réseaux sociaux servent de blanchisseuse, ils font perdre de vue l’origine des émetteurs. Cet appel a tout de la rumeur, mais ce n’en est pas vraiment une. Il s’agit d’une manipulation orchestrée, s’appuyant sur les mécanismes de diffusion d’une rumeur. Toute cette histoire est instrumentalisée et parfaitement maîtrisée en amont.


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