Economie circulaire : principes et finalité

vendredi 14 mars 2014.
 

- B) Le productivisme n’est qu’une possibilité du capitalisme

- A) L’économie circulaire peut devenir une pratique révolutionnaire

B) Le productivisme n’est qu’une possibilité du capitalisme

L’antiproductivisme voudrait redonner sa juste place à la production  : non plus l’objectif ultime de nos sociétés, mais un moyen aux services des besoins humains. Si les termes du débat sont ceux-là, comment les communistes pourraient-ils ne pas être antiproductivistes  ? Le problème est que l’« antiproductivisme » charrie souvent des discours hostiles à la production industrielle, alors que les communistes estiment « qu’industrie et écologie sont solidaires ». Vouloir maintenir le tissu industriel du pays, vouloir le redévelopper après tant de fermetures d’usines, ce n’est pas du « productivisme ». La désindustrialisation est un drame humain autant qu’environnemental. Elle ne signifie pas diminution du nombre d’usines dans le monde, mais délocalisation d’activités qui se maintiennent et se développent dans des zones où les normes écologiques sont quasi inexistantes.

Autre problème  ; l’expression « antiproductivisme » est négative. Refuser de produire pour produire, cela définit un cadre général, mais il faut aller plus loin que ce refus. Il faut proposer une alternative qui passe d’abord par une planification démocratique. Car ces questions essentielles devront être abordées sous contrôle citoyen, sauf à verser dans un antiproductivisme autoritaire. Quelles productions réduire  ? Lesquelles faudra-t-il abandonner  ? Dans quel domaine, en revanche, sera-t-il nécessaire de produire davantage parce que des besoins sociaux essentiels demeurent insatisfaits  ? Au cœur de cette alternative  : l’économie circulaire. Sa finalité est de faire décroître de façon conséquente les flux de matières dans la production. Y parvenir suppose de remanier profondément le système de production. Il faut concevoir les produits pour qu’ils durent, et donc s’opposer à la logique de l’obsolescence programmée. Nouveau service public  ? Ateliers municipaux de réparations  ? Les fabs labs auraient ici, à n’en pas douter, un grand rôle à jouer. Il faut imposer aussi la construction modulaire des produits qui permet de remplacer les parties défaillantes ou dépassées des appareils, sans avoir à changer l’appareil lui-même. Jeter le tout, quand une partie seulement ne fonctionne plus, est l’une des pires aberrations capitalistes.

Enfin, il faut concevoir les produits en vue des opérations de recyclage à venir et du réemploi des déchets comme matière première de nouvelles productions. Une dernière réserve pour terminer, peut-être la plus importante. Le capitalisme est-il un productivisme, ainsi que le présupposent de nombreux textes écrits sur la question  ? Qu’il soit animé de lourdes tendances productivistes est une évidence. Néanmoins, il n’est pas réductible à cela. Le capitalisme est aussi synonyme de pénurie. Il cesse de produire ce qui n’est plus rentable  : par exemple, les médicaments destinés aux pays d’Afrique. La rareté peut aussi, dans bien des cas, faire monter les prix. On touche là au cœur du capitalisme  : non pas la production pour la production, mais la production pour le profit. Produire sans cesse plus est souvent profitable, mais pas toujours. Ainsi, le productivisme n’est qu’une possibilité du capitalisme, possibilité subordonnée à l’exigence de profit.

Par Florian Gulli et Léo Purguette Membres du comité de rédaction de la Revue du projet (1)

A) L’économie circulaire peut devenir une pratique révolutionnaire

Jean Barra, ingénieur énergéticien à EDF, Roland Charlionet, chargé de recherche à l’INSERM et Luc Foulquier, ingénieur chercheur en écologie, appellent de leurs voeux cette "révolution technologique qu’il s’agit de mettre en œuvre maintenant et qui doit déboucher concrètement sur un projet de société centré sur l’humain"

La Terre a des ressources limitées, alors même que les êtres humains n’ont jamais été aussi nombreux, plus de 7 milliards, à aspirer légitimement au bien-être et que des milliards d’entre eux se retrouvent toujours dans des conditions inacceptables de survie.

•La gestion des ressources

Certaines ressources peuvent être considérées comme renouvelables si leur utilisation s’inscrit dans les cycles naturels  : par exemple l’eau (renouvellement en quelques jours pour l’eau de ruissellement, quelques mois pour les nappes phréatiques), la nourriture qui est basée sur des cultures et des élevages annuels ou pluriannuels, le bois avec des forêts exploitées sur plusieurs dizaines d’années. Mais d’autres ressources minérales ne sont disponibles qu’en quantités limitées (parfois très faibles) et non renouvelables à l’échelle du temps humain. Si celles basées sur l’exploitation des océans (le sel, le magnésium, l’iode…) se renouvellent en moins d’une année, il en faut quelques dizaines de milliers pour les produits de l’érosion comme les sables et les graviers, plusieurs dizaines de millions pour le pétrole et le gaz (le charbon s’est formé pendant le carbonifère, il y a 350 millions d’années) et des centaines de millions pour la plupart des autres ressources minérales (minerais de métaux). Or les métaux, par exemple, sont indispensables pour le développement des infrastructures et de l’urbanisation (fer et ferro-alliages), celui de l’électroménager (aluminium, cuivre, zinc, étain…), celui de filières industrielles telles que l’électronique, l’aéronautique, l’énergie, les nano et biotechnologies (lithium, cobalt, gallium, germanium, titane, néodymes, terres rares…). Une première évidence s’impose  : il faut économiser les ressources en les recyclant.

•Le recyclage

Contrairement à quelques idées reçues, beaucoup est fait dans ce domaine. Par exemple, la société Indra Automobile Recycling (http://www.indra.fr) s’occupe du recyclage industriel des véhicules hors d’usage. Le véhicule est décortiqué, les pièces détachées utilisables sont stockées pour la revente et les matériaux sont valorisés ou recyclés dans des filières ad hoc  : les pneus, les vitres, les métaux (75 % de la masse du véhicule), la mousse des sièges, les fluides et les filtres du moteur, enfin le polypropylène des pare-chocs. Certaines industries gèrent elles-mêmes leurs déchets et organisent leurs filières de valorisation. Mais beaucoup de choses reposent sur les collectivités locales, qui organisent le tri sélectif et la collecte au plus près (métaux, papiers, verres, plastiques, tissus, déchets verts…) puis le traitement dans des unités plus ou moins importantes. Par exemple, l’agence métropolitaine des déchets ménagers, le Syctom à Paris, atteint une taille critique qui lui permet d’avoir une grande efficacité dans le recyclage et la valorisation, et d’être en situation de résister aux multinationales de ce secteur.

Pour le système capitaliste, les déchets constituent une nouvelle source de profit, et une matière première parfois plus juteuse que celle habituellement extraite de la mine ou de l’usine  ; d’où le développement rapide d’un marché international, avec l’établissement de catégories de matière recyclée, la définition de normes, la détermination des cours et la spéculation qui va avec  : le niveau de rémunération qui est consenti à un producteur de matière recyclée est fixé par l’industrie, la géopolitique, la finance internationale (par exemple le remplissage des bateaux de papier recyclable pour l’exportation fixe les cours… et le plan de charge des papeteries spécialisées dans l’Hexagone  !).

•L’économie circulaire

Mais les limites du recyclage apparaissent rapidement. Le verre et la plupart des métaux sont certes recyclables indéfiniment… quand ils sont purs. Si le matériau de base est composite (et ils le sont presque toujours  : alliage, adjonction de constituants variés, peinture, encre, etc.), le recyclage coûte cher, la dépense énergétique est élevée et les qualités du produit recyclé sont détériorées. En outre, certains produits, même purs, se recyclent mal (détérioration de la fibre cellulosique du papier par exemple). Il faut donc aller plus loin.

•Deux principes d’action complètent celui du recyclage

1.Le premier est l’écoconception. Il s’agit tout d’abord de concevoir les produits pour leur fonction propre mais aussi pour les préparer à leurs vies ultérieures après l’usage initial (prévoir les opérations de recyclage à venir et leur traçabilité ou s’orienter vers la biodégradabilité). Ensuite, il faut les concevoir pour durer longtemps (c’est le contre-pied du paradigme productiviste où l’usure et l’obsolescence rapide des produits sont programmées) et mettre en place de véritables services d’entretien.

L’agencement d’un produit doit être modulaire afin de ne devoir remplacer que la partie usée ou technologiquement dépassée. Enfin le produit doit être prévu pour fonctionner avec le minimum de pollution durant tout son cycle de vie.

2.Le deuxième est l’inscription des activités productives humaines dans les cycles naturels. Il faut étudier de près la résilience des écosystèmes, c’est-à-dire leur capacité à résister et à survivre à des altérations ou à des perturbations. Le rejet de déchets non maîtrisé dans la nature peut conduire à des situations catastrophiques, comme les émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère qui entraînent le réchauffement climatique avec ses conséquences.

Le capitalisme a des velléités de passer progressivement d’une économie linéaire à une économie circulaire. Par exemple, la fondation internationale Ellen MacArthur rassemble, depuis janvier 2012, des centaines d’entreprises s’engageant dans cette voie et, en France, un institut de l’économie circulaire a vu le jour le 6 février dernier. Ne nous y trompons pas. De la même manière que nous voyons un capitalisme vert essayer de se parer d’atours écolos, il y aurait un capitalisme écoproductif favorable à l’économie circulaire  ! Mais c’est pour mieux cacher que le productivisme est un caractère systémique du capitalisme, la production y étant réalisée pour maximiser le profit.

Marx se servait déjà du concept de métabolisme pour décrire l’économie circulaire dans toute la complexité des rapports êtres humains-nature. Cette révolution technologique qu’il s’agit de mettre en œuvre maintenant doit déboucher concrètement sur un projet de société centré sur l’humain.

Jean Barra, ROLAND CHARLIONET et LUC FOULQUIER,

Tribune dans L’Humanité


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