Biodiversité : une COP pour tenter d’enrayer l’effondrement

mercredi 30 octobre 2024.
 

La COP biodiversité s’ouvre lundi 21 octobre à Cali, en Colombie. Ce rendez-vous sera l’occasion pour les 196 pays engagés de déterminer les moyens concrets de freiner l’érosion vertigineuse des espèces végétales et animales au niveau mondial.

La 16e conférence mondiale sur la biodiversité s’ouvre lundi 21 octobre à Cali, en Colombie, dans un contexte où chaque jour de nouvelles études scientifiques décrivent des écosystèmes toujours plus abîmés et proches du point de bascule.

Face à l’effondrement de plus en plus marqué de la biodiversité, ce cycle de négociations habituellement moins porté politiquement et médiatiquement que les COP climat commence à prendre une importance nouvelle.

Il y a deux ans, la COP15 s’était conclue par un accord important, celui du cadre Kunming-Montréal, qui, à travers 23 cibles identifiées à l’horizon 2030, engage les États à protéger 30 % des surfaces terrestres et 30 % des espaces maritimes, tout en restaurant 30 % des espaces naturels.

Les 196 États signataires de l’accord ont aussi décidé de financer la préservation de la biodiversité en mobilisant 20 milliards de dollars par an d’ici 2025 et 30 milliards par an d’ici 2030. Parallèlement, les pays doivent réduire les subventions aux activités néfastes pour la biodiversité (soutien à des industries polluantes, soutien à l’agro-industrie) de 500 milliards par an.

À cette COP, où plusieurs chefs d’État doivent se rendre, signe de l’importance croissante de ce rendez-vous, il est attendu que les pays signataires présentent leur « stratégie nationale biodiversité », définissant les mécanismes concrets qu’ils vont mettre en œuvre pour atteindre ces vingt-trois objectifs. « Cali sera la COP de la mise en œuvre sur l’ensemble des décisions prises à Montréal », résume le ministère de la transition écologique, de l’énergie et du climat.

À ce jour, pourtant, une trentaine de pays seulement ont présenté leur stratégie nationale, dont la France et huit pays européens, et une centaine n’ont présenté que des engagements sur certaines des 23 cibles à atteindre.

Les pays du Sud, qui recèlent la plus grande biodiversité mondiale, vont à nouveau interpeller les pays du Nord pour qu’ils financent la préservation de leurs écosystèmes, après avoir bien souvent pillé pendant des décennies leurs ressources.

Pour Juliette Landry, chercheuse spécialiste de la gouvernance de la biodiversité à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), l’intérêt de cette COP va être de « soutenir cette dynamique ». Une dizaine de stratégies nationales sont arrivées dans les tout derniers jours et l’ouverture de la COP devrait être l’occasion pour un certain nombre de pays de présenter enfin leur plan d’action. « Ce sursaut de mobilisation est un signe positif. Évidemment, il faudra regarder le contenu de ces cibles nationales mais cela montre les effets du cadre mondial Kunming-Montréal », se félicite cette habituée des COP.

À Cali, les négociations vont aussi porter sur l’harmonisation des indicateurs et les modalités de mesure des engagements. Pour techniques qu’elles soient, ces discussions sont cruciales. « Qu’est-ce que cela veut dire “aires protégées” exactement ? Qu’est-ce qu’on met précisément derrière cette expression ? En France, on voit bien que le niveau de protection n’est pas du tout le même dans un parc régional naturel ou dans une réserve biologique intégrale par exemple », souligne Antoine Schwartz, vice-président de France nature environnement (FNE), qui participe aux négociations dans la délégation européenne.

Au-delà de ces discussions techniques, « le nerf de la guerre, c’est l’argent », rappelle Juliette Landry. Les pays du Sud, qui recèlent la plus grande biodiversité mondiale, vont à nouveau interpeller sur ce point les pays du Nord pour qu’ils financent la préservation de leurs écosystèmes, après avoir bien souvent pillé pendant des décennies leurs ressources.

La justice environnementale au centre des discussions

Une partie des négociations va d’ailleurs porter sur l’opportunité de créer un nouveau fonds spécifiquement fléché vers la biodiversité, une des grandes revendications du groupe Afrique, mais globalement rejeté par l’Union européenne, qui préfère abonder les fonds existants.

Depuis la dernière COP, et malgré les engagements pris, les pays du Nord ont encore très peu mis la main au portefeuille, avec seulement 260 millions de dollars effectivement débloqués pour la biodiversité.

La question de la justice environnementale entre pays du Sud et du Nord se jouera aussi autour du partage des bénéfices issus de l’utilisation du séquençage numérique des ressources génétiques (le DSI, pour « digital sequence information »). En clair, si le protocole de Nagoya de 2010 avait établi un mécanisme de rétribution des pays pourvoyeurs de biodiversité, utilisé par les industries pharmaceutiques et cosmétiques du Nord, le tournant du séquençage génétique de cette biodiversité permet désormais à ces pays de s’en affranchir complètement. Ils n’ont en effet plus besoin de se rendre physiquement in situ pour prélever la ressource et s’adossent au séquençage numérique.

À Cali sera donc discutée la création d’une banque de données génétiques des espèces végétales ou animales, sous l’égide de l’ONU, dont l’accès serait payant. Nul doute, sur ce point, que le lobbying des multinationales des secteurs les plus concernés risque de peser fortement sur ce débat.

Ça ne sert à rien de discuter du financement pour préserver la biodiversité si par ailleurs on ne s’attaque pas aux milliards accordés au soutien d’activités polluantes.

Marine Pouget, Réseau action climat

Quel poids donner aussi aux peuples autochtones dans la gouvernance des sommets mondiaux sur la biodiversité ? Alors qu’ils ne représentent que 6 % de la population mondiale, les territoires qu’ils occupent – et ont su préserver – représentent cependant 80 % de la biodiversité mondiale. Aussi leurs organisations revendiquent-elles d’être fortement intégrées aux décisions mondiales, alors qu’ils restent encore très marginalisés dans les COP climat.

L’autre point central du cycle de négociations qui s’ouvre est d’essayer de contraindre les États à concrètement réduire leurs investissements dans des activités néfastes pour la biodiversité.

« Ça ne sert à rien de discuter du financement pour préserver la biodiversité si par ailleurs on ne s’attaque pas aux milliards accordés au soutien d’activités polluantes, destructrices de la biodiversité », prévient Marine Pouget, responsable gouvernance internationale au Réseau action climat, qui rappelle sur ce point qu’il est aussi impératif de toujours lier lutte contre les dérèglements climatiques et préservation de la biodiversité.

La mauvaise santé des sols et des forêts a un impact direct sur l’aggravation de ces dérèglements.

Selon Earth Track, 2 680 milliards de dollars ont été dépensés au niveau mondial dans des subventions à des activités néfastes pour l’environnement.

La France, qui aime à se présenter comme une bonne élève des négociations sur la biodiversité, et a en effet été un des premiers pays à présenter un plan stratégique détaillé sur le sujet, continue aussi de défendre les subventions à un modèle agricole gavé de pesticides, dévastateur pour la biodiversité. Elle n’a pas non plus été étrangère au recul général de l’Union européenne sur ce sujet. Ce qui va lourdement peser dans cette COP.

Sa défense d’un « marché de la biodiversité », à l’image d’un « marché du carbone », qui pourrait permettre d’ouvrir des droits à détruire certains écosystèmes, à condition de compenser « ailleurs » par des actions de verdissement, est aussi très mal vue par bon nombre d’associations écologistes.

Lucie Delaporte


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