Espagne : vers la monarchie bananière autoritaire ?

vendredi 13 décembre 2013.
 

Condamnation du maire de Marinaleda, criminalisation d’actions syndicales pacifiques... le franquisme judiciaire trouve une nouvelle jeunesse avec le Parti Populaire de Mariano Rajoy.

Le 13 novembre, la justice espagnole s’est à nouveau illustrée par une décision annihilant le droit syndical. Elle a réduit l’activisme de 5 syndicalistes dont deux grandes figures de la lutte sociale, Juan Manuel Sánchez Gordillo, maire de Marinaleda, et Diego Cañamero, porte-parole du Syndicat des Travailleurs andalou (SAT), à du vandalisme primaire. Le Tribunal Supérieur de Justice d’Andalousie a donc définitivement statué : l’occupation des terres de Las Turquillas, propriété militaire à l’abandon près d’Osuna (Séville), représente un délit de désobéissance grave à l’autorité qui condamne les deux chefs de file du mouvement à sept mois de prison ferme et à une amende de 1200€ pour délit d’usurpation d’immeuble. Le SAT a décidé de faire appel.

L’occupation de Las Turquillas s’inscrit dans la dynamique des actions du SAT et de sa branche agraire, le SOC, depuis les années 1980. Les ouvriers agricoles organisés s’opposent dans leur lutte à la structure latifundiaire de la propriété en Andalousie et à l’état d’abandon dans lequel se trouvent des centaines de milliers d’hectares de terres de propriété publique, appartenant à la Communauté Autonome d’Andalousie ou au Ministère de la Défense. C’est à ce dernier qu’appartiennent les terres occupées à Osuna, tout juste consacrées à l’élevage d’une vingtaine de juments. Pourtant, dénonce le SAT, près de 36% des andalous sont au chômage, dont de nombreux ouvriers agricoles sans terre.

Une justice de classe

Dans un pays où le Parti Populaire au gouvernement est rongé par la corruption à grande échelle, Diego Cañamero s’insurge : « si nous avions coulé le Prestige, escroqué des milliers de personnes âgées ou laissé des familles entières dans la rue, nous pourrions nous promener tranquillement », faisant allusion à la catastrophe écologique d’un échouage pétrolier sous le gouvernement Aznar, aux scandales bancaires touchant de petits épargnants et aux expulsions hypothécaires qui jettent des familles entières à la rue. Plus la manœuvre brasse de millions d’euros, plus la justice ferme les yeux ou préfère regarder ailleurs. Preuve en est la rapidité avec laquelle le Tribunal a rendu sa décision, en seulement cinq jours, quand on sait la lenteur habituelle des procédures judiciaires et administratives dans un pays ou la justice peine à fonctionner en raison des coupes budgétaires.

Comme le souligne le maire de Marinaleda, « il s’agit d’un jugement politique [qui répond à une] consigne de répression » alors que le projet de Loi de Sécurité Citoyenne adopté en Conseil des Ministres la semaine dernière résonne comme un acte clairement autoritaire[1] portant atteinte aux libertés sociales et fondamentales pour lesquelles le peuple espagnol se bat depuis la fin du franquisme. Plus que jamais, la dénonciation des conséquences de la crise financière et la lutte pour des alternatives concrètes à la misère qui consume la société espagnole sont criminalisées, réduisant chaque jour le champ des libertés et violant les Droits de l’Homme. L’aggravation des tensions sociales, conséquence directe des politiques austéritaires menées par la Troïka, met en exergue un déni de démocratie grandissant, rappelant les heures les plus sombres de l’histoire espagnole.

On se souvient que l’ancien chef du gouvernement de la Communauté valencienne, Francisco Camps avait été acquitté en 2009 par un jury populaire malgré les cadeaux qu’il avait reçus du réseau de corruption urbanistique Gürtel. Mieux encore, l’enquête sur la trésorerie parallèle du Parti Populaire révélée par le journal El Mundo est au point mort. Cette caisse noire aurait servi à rémunérer avec l’argent de grandes entreprises les principaux responsables du parti dont Mariano Rajoy lui-même.

La zarzuela du grand capital et des mafieux

Dernier scandale en date, une véritable chasse aux fonctionnaires zélés de l’administration fiscale a été lancée par le ministre des finances, Cristóbal Montoro. L’une des inspectrices des finances qui avait ratifié l’amende de plusieurs millions d’euros à la multinationale mexicaine CEMEX[2] a été immédiatement mise à pied. Il semblerait que les conseillers financiers de cette entreprise, d’anciens membres du gouvernement Aznar et proches de l’actuel ministre, aient réussi à obtenir l’indulgence du ministère. On connaît aussi le laxisme du gouvernement espagnol dans le cas des dettes colossales des grands clubs de football. Le député d’Izquierda Unida Gaspar Llamazares s’exclame : « on a impression qu’il y a une administration fiscale pour les gens ordinaires et une autre pour les grandes entreprises ». Le gouvernement cherche certainement par ce moyen à pouvoir aussi dissimuler les déboires de la famille royale, alors que l’infante Cristina et son mari, impliqué dans plusieurs affaires de corruption, auraient caché d’importants revenus au fisc.

L’économie espagnole reste empêtrée dans la récession, conséquence du cercle vicieux de l’austérité. Le savoir-faire industriel, scientifique et culturel du pays est dilapidé (fermeture de distributeurs de films indépendants, de l’entreprise FAGOR avec les conséquences que l’on sait sur les emplois de ce groupe en France, départ des chercheurs faute de moyens, suppression de postes dans les universités). Alors que la crise avait souligné les faiblesses du modèle économique espagnol, fondé sur la bulle immobilière et le tourisme, les seules solutions que promeuvent les conservateurs au pouvoir s’inscrivent dans la continuité de ce qui a conduit le pays à l’échec. Ainsi, la Communauté de Madrid, gérée par les conservateurs et soutenue par le gouvernement, a tout fait pour que l’entreprise Las Vegas Sands du magnat Sheldon Adelson, choisisse la capitale espagnole pour y installer Eurovegas, un complexe géant d’hôtels et de casinos. Pour ce faire, le gouvernement populaire est prêt à satisfaire toutes les exigences du roi des jeux de hasard : changer la législation sur le tabac, permettre au complexe d’ouvrir toute l’année 24/24h et mieux encore, retoucher la loi sur le blanchiment des capitaux. Voilà donc ce qui est censé sortir l’Espagne du gouffre : des dizaines d’hôtels de luxe, des activités à la limite de la légalité qui favoriseront le développement du tourisme sexuel et de la pègre, sans oublier l’impact écologique de ce type de complexes qui supposera pourtant d’importants investissements publics, comme la construction d’une ligne de métro.

L’opposition du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol reste sans voix. Déchiré par des luttes internes, le PSOE est incapable de proposer une alternative alors que ce sont des recettes d’austérité guère différentes qui avaient été mises en œuvre sous Zapatero. C’est donc Izquierda Unida qui assume le rôle de principal opposant face à la dérive austéritaire du Parti Populaire. Le jeune député d’IU Alberto Garzón estime que l’Espagne vit un processus « déconstituant » de régression démocratique et sociale inédite. Il en rend responsables non seulement la pression de la Troïka, mais aussi le pacte de la Transition démocratique qui a suivi la mort de Franco auquel se réfèrent encore les deux grands partis PP et PSOE.

La gageure que doit relever IU, formation plurielle qui accueillera cette semaine le congrès du Parti de la Gauche Européenne à Madrid, c’est de réussir à briser le plafond de verre dont elle est victime en raison du système électoral et du black out médiatique. Dans le cadre des élections européennes, elle a relevé le défi de fédérer les mouvements sociaux espagnols, en situation de reflux. Elle s’y essaie dans le processus de rapprochement qu’elle a lancé, « Suma, la gente primero », plateforme de négociation avec de petits partis de gauche et une trentaine de mouvements sociaux et de marées citoyennes.

François Ralle Andreoli, Claire Martin Hernandez


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