Barbaste, Tarbes, Bagnères, Pau : la joie du succès rencontré

vendredi 22 novembre 2013.
 

A Tarbes, on a fini trop tard, selon moi, au restaurant avec Marie-Pierre Vieu et son équipe, après le meeting. Je n’ai pas assez dormi et la fatigue est déjà là, quoique la journée ne fasse que commencer. Il est vrai que la viande servie à Tarbes était exquise. Je n’en aurai trouvé que de bonnes, d’Agen à Bagnères-de-Bigorre, Tarbes et même à Pau où elle fut servie en brochettes de tapas, mangées de bon cœur avec Olivier Dartigolles. Chaque fois c’était cette ambiance du travail accompli et de la joie du succès rencontré. Les salles combles et la ferveur des participants, leurs réactions amusées ou leurs huées d’indignation contre le gouvernement, Manuel Valls et Hollande, surlignent la complicité des présents, leur envie de se sentir ensemble et d’en découdre, ne serait-ce qu’en nommant les choses par leur nom. Mon parler « cru et dru » est assez bien compris, non seulement dans sa visée tactique mais aussi pour l’intention humoristique qu’il contient ! Une autre chose aussi qui compte dans cette circonstance. Les salles sont combles, joyeuses et pleines d’entrain, de façon d’autant plus enthousiaste que je me trouve à la tribune en compagnie de dirigeants communistes de premier plan. Comme c’est le cas à Tarbes où Marie-Pierre Vieu, mais aussi Marie George Buffet, s’exprimèrent, ou à Tarbes aux côtés d’Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF. Bien sûr je ne me trouve là que par ce qu’il s’agit de listes autonomes du Front de gauche au premier tour. Sans qu’il n’y ait jamais besoin d’évoquer la difficulté que nous subissons du fait du lâchage parisien, le nombre et le comportement des participants exprime une forme d’adhésion politique très nette et très consciente.

A Bagnères de Bigorre, après une visite au local de la CGT où s’étaient rassemblés une trentaine d’amis à midi, et encore après une bonne tablée, on fit route vers l’abattoir municipal. A table, les camarades, dont plusieurs professionnels impliqués, m’avaient décrit leur bataille pour garder un abattoir municipal dans ce secteur. On n’y pense pas mais c’est le type d’instruments sans lequel il est absolument impensable d’envisager le maintien et le développement de certaines productions agricoles décisives. En particulier parce que l’agriculture familiale d’élevage ne permet pas l’organisation des transhumances modernes où les animaux naissent à un endroit sont engraissés à un autre, abattus à un troisième et ramenés sous forme de livraisons à un quatrième ! Dans cette discussion qui a d’abord un aspect économique entrent ensuite en ligne de compte d’autres dimensions peu souvent évoquées. Parmi celles-ci la façon avec laquelle les animaux sont traités à l’occasion de tous ces transferts. Leur martyr prend souvent la suite de conditions d’élevage de masse déjà écœurante de cruauté. Je ne peux manquer d’y penser à cet instant. Et je veux le relever pour vous tous qui me lisez. Je vous propose cette réflexion de l’admirable Marguerite Yourcenar. Voici : « L’homme a peu de chances de cesser d’être tortionnaire pour l’homme, tant qu’il continuera à apprendre sur l’animal son métier de bourreau ».

Il y a aussi un autre aspect qui lie directement la nature de l’élevage au territoire et au modèle économique. À Tarbes il y a un abattoir. Il est privé. Pour lui l’abattage des moutons produit peu de poids et rapporte peu : il n’est donc pas intéressant. Par conséquent le mouton n’y est plus traité. C’est pourtant lui, et souvent lui seul qui peut être élevé sur les territoires pentus de cette zone. Si donc on en restait aux normes de rentabilité de l’abattoir privé il ne servirait à rien d’élever des moutons et par conséquent les territoires qu’eux seuls peuvent valoriser seraient à l’abandon. En fin de compte, si ma visite sur le site de l’abattoir était assez symbolique toutes ces rencontres et discussions qui l’ont environnées de l’étaient en aucunement. C’est tout le contraire ! J’y vois plus clair sur tout ce qu’impose l’idée de relocalisation de l’agriculture. Pour y passer massivement il faudra une organisation des services indispensables pour mettre en place les nouveaux processus de production agricole.

Ici, je parle du lien qui unit la planification écologique et la transition du modèle agricole. Laurent Levard, qui est le responsable au Parti de Gauche des questions agricoles et qui a doté notre parti, pratiquement à sa fondation, d’un programme fortement charpenté sur le sujet, m’a bien préparé. Aussi bien, depuis le temps lointain où j’étais le responsable provisoire du « Jura rural » au journal les dépêches du Jura jusqu’à cet après-midi à Bagnères-de-Bigorre, je n’ai pas perdu le goût du sujet. Je me méfie des déclamations qui ne s’appuient pas sur un contenu clair d’organisation concrète. Les délires bucoliques des citadins m’ont souvent exaspéré. La transition depuis l’actuel modèle productiviste vers celui que nous voulons construire est une question très délicate. La réussite est une obligation si l’on veut bien se souvenir qu’il s’agit ici de nourrir la population ! Il faut tout considérer. Cela va des moyens à mettre en œuvre en aval de la production jusqu’à ceux de l’amont. Je parle ici de la formation professionnelle des agriculteurs et de leur statut social. On ne peut écrire comme nous le faisons dans nos programmes qu’un passage à l’agriculture paysanne créerait 300 000 nouveaux postes de travail sans se demander qui va les occuper et à quelles conditions. Pour faire bref je veux dire qu’on ne peut passer à côté de la détresse de vie qui est actuellement celle des petits producteurs agricoles pris à la gorge dans tous les aspects de leur existence quotidienne. Je n’évoque pas seulement les conditions économiques encore que celles-ci soient souvent au point de départ de tout. Chaque jour un paysan se suicide dans notre pays. Chaque jour ! Il n’en est pourtant jamais question. Mais c’est la réalité ! Le désespoir que cet acte contient s’est noué dans l’impasse économique d’innombrables chefs d’entreprises agricoles. Mais aussi dans leur solitude affective, leur isolement, l’asservissement nuit et jour à une tâche sans horizon de mieux être.

À Pau, la nouvelle excitante du moment c’est évidemment le retour sur la scène des élections municipales de François Bayrou. Vu de Paris Jean-François Copé et les autres chefs de l’UMP ne veulent pas en entendre parler. Sur place il en va tout autrement. Les UMP du coin et les centristes font leurs tambouilles ensemble depuis tant d’années ! Bayrou a de l’espoir. Car sur place le milieu socialiste est un nid de guêpes irresponsables comme dans beaucoup d’endroits. Les féodaux locaux se livrent d’indicibles guerres comme chaque fois qu’un apanage tombe en jachère. Ici, le départ du député-maire sortant à dégoupillé les appétits. Une lutte mortelle et publique a éclaté entre le député-maire socialiste d’une commune voisine et le premier adjoint de Pau. Pour imposer un armistice et faire conclure une paix des braves, il aura fallu faire venir le patriarche landais Henri Emmanuelli, qui les apaisa en effet en partageant les bénéfices : à l’un la commune et son titre prestigieux, à l’autre l’agglomération. Depuis, tout baigne dans l’amour et la concorde, cela va de soi. J’en déduis que nous avons nos chances avec Olivier Dartigolles, figure montante du Front de Gauche, le seul qui agit, dans ce contexte, avec l’esprit ouvert de ceux qui n’ont rien à perdre. Sa liste a reçu presque aussitôt la participation de l’ancien bâtonnier des lieux Jean-François Blanco, avocat des questions sociales qui jusque-là n’avait jamais eu d’engagement politique ! C’est un signal fort dans le contexte. Je n’ai pas l’intention de résumer ici les données de l’élection municipale de Pau. Je veux juste souligner que le Front de Gauche en sera un acteur central du fait de son indépendance. Mais je ne veux pas manquer l’occasion de rappeler à mes lecteurs les fortes pensées de François Bayrou sur le grand sujet de la dette, de la dépense publique et de l’austérité, qui sont aujourd’hui le cœur de l’actualité réelle. C’était alors le « monsieur plus » de l’austérité. Combien de fois l’ai-je pointé dans le cours de la campagne présidentielle ! Mais, à l’époque, le plus grand nombre ne réalisait pas la conséquence réelle des plans d’économies et de réduction de la dette que les candidats alors réputés importants se jetaient à la figure comme autant de gages de leur sérieux et de leur courage. A présent tous ceux-là rasent les murs.

Comme le Modem est aussi dans les petits papiers suaves de plus d’une liste municipale socialiste, je crois utile au débat de rappeler quelle est la pensée de François Bayrou à propos de l’austérité. Il aime ! Il en redemande. Il battait des records pendant la campagne présidentielle : "Il faut un plan de 100 milliards d’euros : 50 milliards de recettes et 50 milliards d’économies sur les dépenses" ça c’était sur TF1. Puis il en rajoutait, il se répétait à chaque occasion comme dans « la Tribune » le même mois de novembre : "On doit économiser 50 milliards : 20 milliards pour l’Etat, 20 milliards pour la Sécurité Sociale et 10 milliards pour les collectivités". Pour finir et revenir dans l’actualité, n’ayons pas la mémoire courte. En préparant la marche du 1er décembre nous penserons aussi à François Bayrou qui déclarait :"Il faudrait également relever le taux normal de la TVA de deux points. On l’a vu avec l’Allemagne qui avait relevé son taux de trois points : c’est relativement indolore". Oui, bien sûr, c’est très bien dit ! L’augmentation de deux points de TVA est « relativement » indolore. C’est-à-dire que plus on a de hauts revenus et plus c’est indolore et, à l’inverse, moins on gagne d’argent et plus ça fait mal… Et justement c’est contre cela que nous manifestons.

Je serais électeur de Pau, je me méfierais. Ceux qui ont l’intention de prendre un bulletin socialiste devraient y réfléchir à deux fois. Car pour appliquer la politique d’austérité que lui-même proposait, François Bayrou rêvait de cette union dont nous ne voulons pas. Il disait sur la chaîne parlementaire : "Il faut une majorité centrale pour faire ce qu’ont fait les Allemands avec l’agenda 2010 ou les Espagnols avec la règle d’or". Reconnaissons qu’alors, il se rendait parfaitement compte des limites d’un tel attelage. Il s’exprimait d’ailleurs sur le sujet sans détour : "Bien sûr, les réformistes sont compatibles et ils auront l’obligation de travailler ensemble. Mais c’est autre chose d’affirmer que la gauche de la gauche, type Mélenchon, pourrait se retrouver dans une telle démarche. Je suis sûr que c’est une illusion, un leurre » (Le Figaro). Vous voilà prévenus !

Ma première halte avait été, après l’arrivée à Agen, roulant de nuit, passé Nérac la magnifique, un hameau de Barbaste. C’était un hôtel de charme où je passais la nuit avec ma petite troupe. Après le réveil aux confitures maison, on commença cette journée si spéciale au petit monument de Lausseignan. Puis le moment fort à Barbaste, devant l’église d’où le monument aux morts a été sorti il y a de cela plusieurs décennies. Sous les grands arbres torturés, avec les enfants des écoles portant des fleurs simples, les pompiers au garde à vous et les porte-drapeaux en rangs, nous rentrions en nous tandis que jaillit la sonnerie « aux morts ». Puis « La Marseillaise » que je chantai fermement, quoiqu’on la joue ici bien lentement. D’esprit je me trouvais heureux d’être là comme on ne se le figure pas ! Mon beau pays ! Un pas derrière la maire de Barbaste, Bernadette Jayles, que je crois connaître depuis toujours, je me tins attentif aux usages locaux en la circonstance pour m’y plier aussi naturellement que je le pouvais. Du plus loin qu’il m’en souvienne, hasard et puis devoir avant de devenir un rite personnel, j’ai pratiqué le onze novembre comme une communion avec ma patrie Républicaine. Ce n’est ni la victoire sur le Reich, ni le retour de l’Alsace Lorraine dans la République qui m’ont accroché sur cette date. Il y avait pourtant de quoi. C’est la liste des morts. D’année en année j’en ai mesuré la longueur, je l’ai comparée en pensée au nombre de la population qui vivait alors dans les villages, j’ai compris l’ampleur de la tuerie en entendant les noms de familles que portent en commun trois, quatre, cinq disparus mentionnés à la file. L’effroi m’a gagné au fil du temps. Et maintenant que je suis un homme sensible aux nuances et flamboiement de l’automne, j’ai le cœur qui saigne en y pensant. Car je sais qu’il s’agissait de politique, de volonté humaine, qu’il n’y avait aucune fatalité à tout cela.

A Massy, en Essonne où j’ai pratiqué le rite tant d’année au petit cimetière du Mont Gaudon, on voyait, côté face du monument, la liste des morts de la grande guerre et, côté pile, la liste des volontaires de la levée en masse de 1792. C’est si rare ! Le moment venu on rendait hommage aux morts à deux voix. L’une lisait les noms inscrit sur le monument, l’autre disait à chacun d’eux : « mort pour la France ». C’était long, comme c’était long ! A mesure de la liste, les deux voix semblaient psalmodier une mélopée. Un jour j’ai tenu le rôle d’avoir à dire « mort pour la France » après chaque nom. En le disant, en le répétant, j’entendais le nom de mon pays comme un son de ces grands tambours de basse, battu à la cadence d’un pas de marche. Mais à mesure, c’est comme si je les voyais, tous ceux-là dont on nommait les fratries, devant moi, ombres pâles et grises comme ces matins de novembre où les brumes s’effilochent. Si tous nos morts dans cette guerre étaient rangés épaule contre épaule, ils formeraient un ruban d’hommes allongés sur sept cent kilomètres. Plus jamais ça ! Jaurès évoquait les « morts d’orient » dont « la puanteur » arrivait à ses contemporains comme « l’odeur du remord ». Le remord pour moi, ce serait de n’avoir rien dit quand il était temps. Nous l’avons fait à chaque étape où s’est construite la machine infernale de l’actuelle Union européenne austéritaire. C’est le chaudron ou cuit la catastrophe de notre temps. Pour le reste, mon discours à Barbaste m’a donné le moyen de dire ce que je pensais à propos du bilan de cette séquence de l’Histoire, pour notre usage contemporain. Les camarades l’ont déjà mis en ligne. Je veux saluer cette équipe bénévole qui agit autour de moi en grande modestie et rend possible toute cette diffusion des idées ! Puis j’ai encore cité Jaurès, beaucoup, au fil des meetings que j’ai animés, vous le savez. L’Histoire, mes chers lecteurs, n’est pas une matière morte. C’est non seulement une culture commune dans un grand pays instruit, mais un terreau d’expériences pour penser et agir dans le présent.


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