Emploi : la communication du mensonge

mercredi 18 septembre 2013.
 

La situation de l’emploi connaîtrait donc une embellie. Le ministre du travail l’affirme en prétendant qu’une « inversion » de la courbe s’amorce. Comprenez, derrière cet oxymore, le chômage continue d’augmenter mais moins vite. La réalité est pourtant tout autre.

Mais cette réalité est difficile d’accès tant il est vrai que les modes de calculs des indicateurs sont complexes, tant il est vrai qu’ils changent au gré des effets d’annonces recherchés. Car, « l’inversion » de la courbe du chômage ne tient qu’à un changement de formulation des questions posées au chercheur d’emploi. Et lorsqu’il en trouve un de boulot, il est petit et précaire. Ainsi, le chômage continue d’augmenter. Ainsi, les conditions de travail se précarisent comme jamais auparavant.

Au début de l’année 2013, au moment même où le président de la république promet une inversion de la courbe du chômage, l’INSEE change la formulation des questions de son enquête emploi. Ce changement de formulations induit une sous déclaration de l’inactivité. Par exemple, L’INSEE ne demande plus :

« êtes vous à la recherche d’un emploi, même à temps partiel ou occasionnel »

mais

« êtes vous à la recherche d’un emploi ».

Cette simple et légère modification du questionnement a pour effet de générer une sous déclaration d’environ 90 000 demandeurs d’emploi réels. C’est ainsi que le nombre de demandeurs de catégorie 1 (ne travaille pas du tout et recherche un emploi à temps plein) passe, le temps de la réponse à une simple question différemment posée, de 2 999 000 à 2 909 000. Mais l’INSEE, soudainement pris d’un surcroît d’honnêteté, et bien évidement pour éteindre le feu des critiques qui commencent à poindre, annonce qu’il continuera durant quelques mois encore à publier les deux taux de réponses, celui avec l’ancienne formulation, celui avec la nouvelle. Ainsi, avec l’ancienne formulation, le taux de chômage de catégorie 1 s’établit à 10,9% de la population active, avec la nouvelle formulation, 10,6. Le ministre du travail, Michel Sapin, lui, ne fait pas dans la nuance et affirme donc une inversion de la courbe du chômage.

Lorsque le demandeur d’emploi a fini par retrouver un emploi, ce n’est jamais, ou presque, en CDI. Dans les faits, seuls 3% des retours à l’emploi se font sur la base d’un contrat à Durée Indéterminée au premier trimestre 2013. Dans la réalité, 97% des embauches se font donc avec un contrat de travail des plus précaires. C’est ainsi que 8 chômeurs sur 10 qui retrouvent un emploi signent actuellement un CDD, et les derniers « chanceux » accèdent à l’ultime précarité : l’intérim temporaire. L’ANI, qui devait permettre la sécurisation des parcours professionnels et le retour du CDI, telles en étaient en tous les cas les promesses du Medef et du ministère du travail, conduit en réalité à la précarité la plus totale. Puisque pratiquement 100% des embauches (97% concrètement) transforment le salarié en un « journalier » des temps modernes qui ne peut plus se projeter dans l’avenir, qui ne peut plus envisager d’acheter sa voiture, son logement. Il devient un chercheur d’emploi permanent qui se jette chaque matin et chaque soir dans cette solitude insupportable de la bourse du travail. img.php_-300x225.jpeg Au 19e Siècle, l’ouvrier se présentait tous les jours devant les portes de l’usine dans l’espoir que son physique plaise au contre maître faiseur de tris. A présent, il livre quotidiennement sur les sites internet de recherche d’emploi ses compétences et sa précarité qui le dévalorise…Cette évolution indique une victoire du libéralisme financier qui a toujours fait ce rêve d’un employé ultra flexible, en concurrence constante avec ses collègues travailleurs et chômeurs en même temps. Cette nouvelle catégorie du « travailleur/chômeur » n’est pas encore présente dans les typologies du BIT ou de l’INSEE, mais elle est bien présente à l’esprit des salariés toujours en poste avec un CDI.

Car jamais, absolument jamais, le taux de démissions n’a été aussi faible depuis qu’on le mesure. Ainsi, ils n’ont été que 1,3% à quitter leur poste de travail volontairement au premier trimestre de l’année 2013. Pour une raison simple et évidente. Les salariés en poste ont compris que le CDI était une espèce de contrat en voie de disparition. Tout comme ils ont compris que le salariat, sans doute la seule avancée significative qu’aura permise la sociale démocratie, est lui aussi en voie d’extinction. Car jamais le nombre de salariés en CDI n’aura été aussi bas dans notre pays.

La situation de l’emploi se dégrade non seulement dans les chiffres, mais également au niveau des conditions de travail elles mêmes. Et ce dès l’embauche, avec pour seule perspective de retour à l’emploi un retour vers le passé et la condition de travailleur « journalier ». Puis, cette dégradation continue au point que personne n’ose ou ne peut plus changer d’employeur. Cette dégradation conjuguée à une mise en concurrence entre chômeurs ou collègues de travail finissent par achever le rêve de l’économie capitaliste : l’homme est relégué au rang d’outil de production qu’on loue au jour le jour selon les stricts besoins de l’entreprise, au même titre que la grue ou le serveur informatique selon les besoins d’un chantier ou d’un projet.

En France comme en Grèce, en Espagne comme en Allemagne, au Portugal comme en Grande Bretagne, les « sociaux démocrates » ont accompagné cette évolution renonçant ainsi à leur principal conquête : le salariat. Ce renoncement s’opère en même temps que leur conversion totale au libéralisme et au libre échangisme non contraint. La justification de leur conversion a toujours été la même. Une dette, la dette, que l’on doit rembourser. Pourtant, cette dette résulte essentiellement des modifications des modes de calculs introduits par les néo libéraux monétaristes à la fin des années 70, dans le seul but d’acheter les services publics des états et les livrer aux marchés. Pour cela il devenait indispensable de ruiner ARTIFICIELLEMENT les états afin de les forcer à vendre les biens publics, en faisant courir la durée de remboursement des emprunts des états non plus sur la durée totale de l’emprunt, mais sur une seule année. C’est ainsi que du jour au lendemain, les dettes souveraines ont été multipliées par 5, 6 et même 10 dans certains pays. Toujours au nom de cette supposée dette, qui inclut les investissements productifs, ce qu’aucune entreprise privée ne fait au moment d’établir son bilan d’endettement, on précarise le travail pour qu’il soit moins rémunéré. Le chômage redevient cet outil de pression tant désiré, comme il l’était au 19e Siècle.

En parallèle du travail, la retraite, fruit du travail, est naturellement, logiquement, automatiquement attaquée. Toujours au motif de la dette qui rendrait impossible la répartition. En France comme en Grèce, en Espagne comme en Allemagne, au Portugal comme en Grande Bretagne, on allonge la durée des cotisations, on recule l’âge légal de départ. Alors qu’en réalité, la seule manière efficace de financer les régimes de retraites par répartition n’est autre part que dans la défense de l’emploi et des conditions de travail. Car le taux d’activité et la durabilité dans l’emploi sont les deux seuls sources efficaces et pérennes au financement d’un système de retraite fait de solidarité entre les générations.

Au lieu de cela, la sociale démocratie européenne a préféré abandonner le salariat pour devenir le social libéralisme. Elle a alors épousé tous les codes du marché : chantage, bluff, pression et mensonge.

Sydne93

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