Barroso : un ennemi pour l’Europe

jeudi 11 juillet 2013.
 

- par Costa-Gavras, Bérénice Béjo, Daniele Luchetti, Radu Mihaileanu et Dariusz Jabłoński

Nous avons à la tête de notre Europe un homme cynique, malhonnête et méprisant qui nuit aux intérêts européens !

Voilà le constat lapidaire que nous faisons à l’issue d’une journée passée au Parlement européen où nous avons côtoyé le meilleur - l’engouement des représentants du peuple européen en faveur de la culture - et le pire - la rencontre avec un Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui reste désespérément sourd à la nécessité de défendre le droit des européens à soutenir et promouvoir leur culture.

Depuis 3 mois, la mobilisation des milliers de professionnels de la culture, et de tous les grands cinéastes que compte le continent européen, ne faiblit pas pour demander l’exclusion de l’audiovisuel et du cinéma des futures négociations commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis.

Cette mobilisation est à la hauteur du sentiment de trahison qui a été ressenti par tous les cinéastes à la lecture du projet de mandat de négociation mis sur la table par la Commission européenne et qui fait de la culture, de notre culture européenne une simple monnaie d’échange dans des discussions commerciales.

Ce président de la Commission qui aime se dire l’ami des artistes, est bien le même que celui qui a décidé de sacrifier la diversité culturelle au nom de prétendus intérêts commerciaux. C’est malheureusement plus sûrement le sien et les intérêts de sa carrière future qu’il entend protéger en recueillant les fruits d’un accord commercial avec les Etats-Unis.

20 ans après la reconnaissance de l’exception culturelle à l’occasion des accords du GATS, 6 ans après la ratification par l’Union européenne de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, nous n’imaginions pas que la Commission européenne renierait tous ses engagements et renoncerait à défendre le droit pour chaque peuple du continent européen de pouvoir soutenir sa création.

Quelle déception ! Il n’y a pourtant ni surprise ni naïveté de notre part face à une Commission qui s’ingénie à détruire, depuis plusieurs années, beaucoup des dispositifs qui permettent à la culture européenne d’être ce qu’elle est, diverse, dynamique et ambitieuse.

M. Barroso se plait à nous voir comme de grands enfants, encore bercés d’illusions ou de romantisme, qui n’avons pas compris tout le bien qu’il nous voulait. Il a bien tort car soyons clair, cet homme hier ne nous a pas convaincus. Il nous a même inquiétés, il nous a déçus. Mais, il nous a renforcés dans nos convictions de ne jamais céder dans la défense de l’exception culturelle, mieux, dans la défense de l’Europe.

C’est un homme tendu et sans ressort que nous avons vus hier, débitant le discours prémâché que ses équipes rabâchent maintenant depuis des semaines. Les contre-vérités ont succédé aux approximations, quand ils ne laissaient pas la place à de coupables silences.

On nous propose des lignes rouges pour défendre coûte que coûte l’exception culturelle ? C’est plutôt la Commission qui réinvente là des lignes Maginot qui ne garantissent aucunement la possibilité de conserver le droit de défendre la culture à l’ère numérique. Car ces lignes rouges n’ont pour vocation qu’à figer l’existant et qu’à envisager un avenir incertain, qui devra de surcroît être soumis à une négociation âpre avec les américains.

On nous promet, la main sur le cœur, de ne pas négocier l’exception culturelle mais on refuse d’exclure l’audiovisuel du mandat des négociations. Pour quel motif ? Car le mandat doit être le plus large possible et ne rien exclure, nous dit-on. Et pourtant, les américains ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils comptaient exclure des secteurs stratégiques pour eux, le secteur bancaire en particulier ! Nous nous interdirions donc de défendre la culture mais ne verrions aucun inconvénient à ce que les américains protègent leurs banques. Avec de tels négociateurs, nous pouvons craindre le pire !

On nous annonce qu’il y aurait des intérêts offensifs dans l’audiovisuel. On nous dit même qu’ils sont nombreux. Mais, lesquels ? Mis à part une règle sur la propriété des médias, identique en Europe par ailleurs, il n’y en a pas. Aucune.

La vacuité des arguments défendus par la Commission n’est sans doute rien au regard de l’exercice de communication malhonnête auquel s’est livré le Président Barroso à l’issue de la réunion. Car cet homme n’a pas hésité à publier un communiqué se félicitant d’avoir rassuré les cinéastes alors même qu’il déclarait quelques minutes avant, devant les caméras, qu’il n’avait sans doute pas réussi à nous convaincre.

Cette manœuvre misérable n’honore pas un homme dont on pouvait attendre une hauteur de vue et un sens de l’intérêt général desquels il s’est définitivement éloigné.

Au final, il a méprisé hier la délégation de cinéastes dont nous faisions partie et qui étaient les porte-parole d’une Europe fière de sa culture et de son identité et confiante dans sa capacité à soutenir sa création à l’ère numérique.

Il a méprisé le Parlement européen, la seule instance européenne démocratique élue, qui a adopté il y a 15 jours à une majorité écrasante une résolution demandant l’exclusion des services audiovisuels et cinématographiques du mandat de négociation. Nous y avons rencontré hier des femmes et des hommes formidables, des militants de la diversité culturelle qui sont indignés par cette bureaucratie bruxelloise sourde et aveugle.

Il méprise aussi l’avenir et l’insulte même. Nous sommes des européens convaincus. Mais, nous voulons une Europe qui prépare le futur, qui construit cette diversité culturelle numérique si nécessaire. Il n’y a pas de raison que les géants du Net, souvent américains et toujours experts en matière d’optimisation fiscale sur le territoire européen, s’exonèrent éternellement de toute obligation à l’égard de la création, de sa diffusion et de son financement. Rien ne justifie que l’Europe devienne un robinet pour écouler les seuls stocks d’œuvres américaines. Nous aimons évidemment le cinéma américain. Il a produit des chefs d’œuvres inoubliables et continue à inventer, à émouvoir, à enrichir le cinéma mondial. Mais, nous voulons aussi que le cinéma européen, africain, asiatique continuent à s’épanouir.

M. Barroso n’en a cure. Alors, nous nous retournons aujourd’hui vers les Etats-Membres de l’Union qui auront la lourde responsabilité, le 14 juin, de dire si oui ou non cette Europe est encore capable de dignité et d’ambition.


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