BCE : Sortir du libéralisme

mardi 25 juin 2019.
 

Absente du débat des élections européennes, la BCE verra son président changer fin 2019. L’Allemagne veut imposer un président encore plus austéritaire. Mais les enjeux démocratiques, économiques, sociaux et financiers vont bien au-delà du nom qui sera choisi.

Il y a vingt ans 11 pays de l’Union Européenne (UE) ont mis en place une monnaie commune : l’euro. Aujourd’hui 19 pays, avec plus de 340 millions d’habitants, dépendent des décisions de la Banque Centrale Européenne (BCE). La souveraineté monétaire a été un des piliers historiques dans la construction des Etats et pourtant un groupe de pays a décidé de transférer la maîtrise de la création monétaire à une entité supranationale. Aucun transfert de souveraineté n’a été aussi important surtout à une institution dotée d’une indépendance quasi-totale vis-à-vis des Etats. Vingt ans après la création de l’euro il est intéressant de faire un bilan de la politique de la BCE.

Sous le signe du libéralisme triomphant

Les fondations de la BCE ont été mis sous le signe du libéralisme. Après les chocs pétroliers et la stagflation des années 70-80, la théorie économique orthodoxe a sonné le tocsin des politiques keynésiennes. Pour les libéraux le chômage s’explique uniquement par la rigidité du marché du travail. Dans ce contexte, la politique monétaire serait incapable de lutter contre la hausse du chômage mais apporterait l’inflation. Ce fléau détournerait les épargnants du long terme et pousserait vers le sous-investissement. Pour les économistes mainstream il existe une divine coïncidence : la meilleure façon lutter contre le chômage est d’avoir une inflation maîtrisée. Ainsi, les statuts de la BCE fixent un objectif unique de lutte contre l’inflation.

Il fallait doter la BCE d’une efficacité maximale pour atteindre cet objectif. Selon la doxa dominante, les gouvernements seraient toujours tentés de pratiquer des politiques expansionnistes. La gestion de la politique monétaire doit être isolée du jeu politique et l’octroyer à un technicien ayant horreur de l’inflation. Ainsi est justifiée l’indépendance de la BCE vis-à-vis des Etats Membres. En revanche aucune règle n’a été édictée pour assurer l’indépendance par rapport au secteur financier. Enfin, les statuts de la BCE lui interdisent l’achat des dettes publiques pour financer les déficits. Ce principe est une traduction de la pensée ordolibérale. Selon cette pensée, graver dans le marbre ce principe responsabiliserait les Etats et les investisseurs en leur annonçant que la BCE ne les sauvera pas pour leur imprudence. Ceci devrait être suffisant pour limiter la prise de risque.

Le premier âge de l’euro

Les premières années de la monnaie unique semblaient confirmer la fable libérale. Le taux d’inflation moyen de la zone euro observé entre 1999 et 2007 a été de 2,1 % en ligne avec la cible visée. En outre, les dettes publiques de la zone euro payaient le même taux d’intérêt, suggérant la disparition des risques financiers.

Ceci masquait le développement de failles au sein de l’union monétaire. Des écarts de taux d’inflation apparaissaient entre les pays. L’inflation était plus faible dans les pays les plus avancées comme l’Allemagne (1,6 % en moyenne) ou la France (1,8 %), tandis qu’elle était plus élevée dans des pays dits périphériques comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal (plus de 3 %). Toutefois, un faible écart d’inflation cumulé sur 10 ans génère des fortes disparités de prix. En l’absence de correction par le taux de change ceci anéanti l’appareil productif des pays périphériques et concentre l’activité dans les pays centraux.

La formation de bulles spéculatives dans les pays périphériques a masquée ces évolutions. Ainsi, l’Espagne, la Grèce, l’Italie ou l’Irlande ont pu compenser la disparition de leur secteur exportateur par des bulles sectorielles, dans des secteurs des biens non échangeables, financées par la faiblesse des taux d’intérêt réels dans un contexte de dérégulation financière et de libre circulation du capital. L’exemple du BTP fleurissant en Espagne ou en Irlande permet d’illustrer cette dynamique. La croissance dans ce secteur a permis de masquer le choc concurrentiel tout en affichant des bonnes performances économiques. Ces failles ont été mises à découvert par la crise financière globale, déclenchée aux Etats-Unis en 2008.

La fin des illusions

Suite à la faillite de Lehman Brothers, la BCE a réagi en diminuant son taux d’intérêt directeur, même si l’obsession de l’inflation l’a poussé à le faire de façon moins agressive que les autres banques centrales. Pire, en 2011 Jean Claude Trichet a relevé les taux d’intérêt alors que la reprise restait poussive et les dettes publiques commençaient à être attaquées par les spéculateurs. En outre, il a menacé les gouvernements irlandais, espagnol et italien de leur couper l’accès aux liquidités s’ils ne mettaient pas en place un programme d’austérité et de réformes structurelles. Le ministre des finances irlandais de l’époque a déclaré que la BCE lui a « mis un pistolet sur la tempe ». La menace a été mise en exécution dans les pays qui ont osé avoir une attitude réfractaire : Chypre et la Grèce, avec des conséquences sociales catastrophiques.

Le dogmatisme des dirigeants de la zone euro a failli tuer le patient emportant même les pays jugés vertueux selon les canons libéraux. Une fois que l’austérité été garantie et que les récalcitrants avaient été disciplinés, Mario Draghi -l’actuel président de la BCE- devait changer de politique. Le 26 juillet 2012, il a déclaré que la BCE ferait « tout ce qui était nécessaire » pour sauver la zone euro. Ce discours a été immédiatement interprété par les investisseurs comme le signal que la BCE serait prête à distribuer des liquidités illimitées, comme le faisaient depuis un bon moment les autres banques centrales. Ces simples mots ont permis de rétablir la confiance des marchés. La fin de la mise en place des recommandations libérales les plus basiques a suffi pour arrêter le pire de la crise. La zone euro entrait ainsi dans une ère de politique monétaire non conventionnelle. Même sans prêter directement aux Etats, la BCE a acheté 2 600 milliards euros de titres publics, ramenant les taux d’intérêt de long terme à des niveaux historiquement bas, qui se maintiennent encore aujourd’hui. Le but était surtout d’assainir les bilans bancaires tout en maintenant la pression sur les Etats.

Sortir du libéralisme

Si le pire de la crise est derrière, les failles de l’euro restent patentes. Les marchés financiers restent gavés aux liquidités gratuites, mais cette politique génère des risques financiers majeurs. Le système tient grâce à l’émergence de bulles financières. Pour sortir d’une crise qui dure depuis plus de 10 ans, la politique monétaire ne doit plus accompagner la spéculation mais la bifurcation écologique du système de production et de consommation. Les taux nuls doivent être utilisés pour financer des investissements publics fondamentaux. Pour sortir du piège déflationniste il faut cesser la flexibilisation du marché du travail mais augmenter les salaires. Il faut enfin sortir du dogme libéral.

Luis Alquier


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message