Pierre Gattaz, nouveau patron d’un Medef « de combat »

samedi 6 juillet 2013.
 

La bataille a fait rage. Mais d’ores et déjà, Pierre Gattaz est assuré de l’emporter. Il sera le 3 juillet prochain le patron du Medef (Mouvement des entreprises de France) pour une durée de 5 ans. Après Laurence Parisot qui avait représenté le secteur des services, son élection voit le retour en force de l’industrie dans la direction du syndicat patronal. Mais pour les salariés, la différence ne sera pas vraiment sensible. On connaît le bilan de la première qui entendait faire de la précarité la règle naturelle du travail. On devine le programme du second à ses déclarations : « Je suis apolitique. Je suis pour un Medef de combat. »

« Accompagner » l’inflexion sociale-démocrate

« Pas contre le gouvernement, prend-il soin de préciser, mais contre la crise. » Une telle orientation ne dérangera pas François Hollande gagné aux méthodes austéritaires que l’on connaît et qui conviennent parfaitement au Medef. Si bien que Pierre Gattaz peut même songer à proposer ses bons offices pour « accompagner encore plus » l’inflexion sociale-démocrate prise par le gouvernement Ayrault. Il irait jusqu’à envisager une cogestion économique du Medef et du gouvernement et rêve qu’ensemble, ils puissent « piloter le projet de loi de finances 2014 ».

Celui qui se défend d’être un héritier a de qui tenir. Son père, Yvon, l’a précédé dans la carrière. Président du CNPF (l’organisation patronale antérieure au Medef) de 1981 à 1986, il professait une philosophie de l’histoire sans équivoques : « Les syndicats ont été nécessaires au XIXe siècle, utiles puis abusifs au XXe. Inutiles et nuisibles au XXIe, ils doivent donc disparaître. » Il ne faut guère attendre une vision plus subtile de la réalité sociale de la part du fils. D’autant qu’elle est conforme à ses intérêts. La famille se classe au 277e rang des fortunes françaises et contrôle à 87% l’entreprise Radiall spécialisée dans les composants électroniques. Lui-même, sans rivaliser avec les salaires des dirigeants du Cac 40, bénéficie tout de même d’un salaire de 300.000 euros par an et clame qu’il « ne faut pas avoir peur de s’enrichir ».

Un homme d’influence

Son programme, son personnage, sa détermination ne pouvaient que lui attirer le soutien des fédérations patronales les plus influentes comme les assurances (FFSA), les banques (FBF) ou la métallurgie (UIMM). Il a trouvé dans cette Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie dont il est un des animateurs un lieutenant à la hauteur de ses ambitions : Jean-François Pilliard qui en est le délégué général. Il sera chargé des affaires (anti)sociales. Un choix qui en dit long si l’on se rappelle qu’Eugène Schneider avait ainsi formulé l’objectif de l’UIMM naissante : « organiser l’entente des patrons afin de résister aux grèves des ouvriers. » L’orientation n’a pas molli avec le temps. Ainsi en 1972, l’Union a financé une campagne de tracts, autocollants et affiches pour dénoncer le Programme commun de la gauche. Très récemment, en 2007, la presse a révélé l’existence d’une caisse noire pour faire face à d’éventuelles grèves. L’origine de ces fonds n’est pas clairement identifiée et proviendrait de retraits en liquide et de détournement de fonds publics. En octobre prochain, l’UIMM comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Paris en tant que personne morale pour travail dissimulé dans l’affaire des retraits de fonds suspects (à hauteur de 16,5 millions d’euros) entre 2000 et 2007. Mais Pierre Gattaz a aussi dans sa manche le GFI (Groupe des Fédérations Industrielles) qu’il préside et qui, regroupant 80% de l’industrie nationale, constitue une force de frappe certaine. Il est également membre du think tank patronal La Fabrique de l’Industrie, initié par le GFI, l’UIMM et le fameux Cercle de l’industrie. Ce cercle, création de Dominique Strauss-Kahn pour faire du lobbying au niveau européen, fonctionne avec une double vice-présidence, l’une représentée par une personnalité de l’UMP et l’autre du PS. Pierre Moscovici était vice-président de ce Cercle jusqu’à sa nomination comme ministre de l’Économie en 2012. Il y a croisé Louis Gallois qui a présenté le « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » au gouvernement Ayrault et qui est à l’origine du l’origine du « choc » fiscal réclamé par le milieu patronal. Ou bien encore Didier Migaud, nommé par Sarkozy premier président de la Cour des Comptes qui estime indispensable périodiquement et encore très récemment de réaliser de nouveaux tours de vis.

Faire payer les salariés

Ainsi, malgré les haussements de ton et les postures combattantes que Pierre Gattaz ne manquera pas d’adopter à l’égard du gouvernement après son intronisation à la tête du Medef, il ne devra pas lui être trop difficile de se faire entendre. L’oligarchie, d’accord sur l’essentiel, ne fait pas de sectarisme sur les détails. François Hollande a - certainement pour montrer ses bonnes dispositions - décoré en avril dernier Yvon Gattaz de la Grand-croix de la Légion d’honneur. Les revendications du fils devraient trouver l’oreille du gouvernement Ayrault. Il répète déjà sa prestation : « Dès le 4 juillet, annonce-t-il, je rappellerai au gouvernement qu’il faut arrêter de nous asphyxier avec les prélèvements obligatoires et les charges. » Cette argumentation pas tout à fait nouvelle vise concrètement à faire « transférer 50 milliards d’euros de charges sur le travail vers la fiscalité ». Pour financer l’opération, une première moitié proviendrait d’une hausse de 3 points de TVA et serait ainsi directement ponctionnée sur les ménages, la seconde moitié résulterait d’une baisse des dépenses publiques qui pénaliserait les mêmes.

Un dialogue social sous conditions

Les intentions comme le message sont clairs. Le nouveau Medef sera de combat, contre les salariés dont il n’est curieusement guère question, les concepts abstraits d’entreprise, de charges, de travail, etc. mobilisant son champ lexical. Et il peut compter sur la bienveillance d’un gouvernement élu en principe sur un tout autre programme. Ce qui dispense Pierre Gattaz d’en faire trop et lui permet de s’afficher démocrate : « Le dialogue social, je le revendique, fortement, hautement, au niveau du terrain en priorité. » Mais si l’on entend bien, sa « priorité » rappelle les réflexions du père sur le rôle des syndicats devenus aujourd’hui ringards et nuisibles . Sa conception du dialogue social vise l’inversion de la primauté des accords nationaux sur les accords de branche, puis d’entreprise et d’établissements. Déterminer les modalités du travail au plus petit niveau, celui de l’entreprise, est le rêve ultime des libéraux précisément hostiles aux représentations organisées des salariés. D’ailleurs chez Radiall, dans l’entreprise familiale, les syndicats ont longtemps brillé par leur absence. Et lorsqu’il a fallu se résoudre à en supporter un, il a d’abord été « maison ». Certes, avec la représentation des syndicats nationaux, les choses ont changé, mais manifestement pas l’état d’esprit de la dynastie Gattaz. Admirateur de Churchill, son dernier rejeton semble vouloir reprendre sa rhétorique : « Je n’ai rien d’autre à vous offrir que de la sueur, des larmes et du sang… » Au seul profit de sa classe, bien sûr.

Jean-Luc Bertet, Arthur et Boris Morenas


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