Les tendresses du « Monde » pour le FN

vendredi 21 juin 2013.
 

Un moment je me suis demandé si je n’allais pas devenir la tête à claque du show médiatique qui a entouré le meurtre de Clément Méric. Ainsi quand j’ai entendu par exemple Christophe Barbier de « L’Express » interroger le sénateur Jean-Vincent Placé sur la responsabilité de mon langage dans « le climat de violence ». La formulation de sa question reprenait mot pour mot les arguments du barbare Serge Ayoub. Je connais le sens de cette pose éditoriale. Ce genre de question, du seul fait de leur formulation puis de leur répétition par toute la volière médiatique, fabriquent comme on le sait un environnement. J’ai d’ailleurs retrouvé l’argument tournant en boucle sur les réseaux sociaux venus aussi bien de l’extrême-droite que du PS. J’avais la nausée. Auparavant nous avions eu droit à une longue série de dénonciations indignées des mêmes contre la « récupération politique ». L’opération permettait bien sur de stigmatiser le Parti de Gauche. Mais surtout elle avait deux visées concrètes : si la riposte au meurtre ne doit pas être politisée c’est que le fait qui l’engendre ne l’est pas lui non plus ! Bref il n’y a pas meilleur moyen de transformer en fait divers un meurtre politique ! L’autre résultat était d’isoler la mouvance « anti-fa » présentée comme sectaire et hostile à toute forme de présence de militant politique. En réalité il s’agissait d’isoler les « anti-fa » seuls avec l’espoir de débordements violents. C’est contre cette manœuvre que mes amis s’arcboutèrent en entourant d’amitié, de solidarité et de camaraderie les réseaux anti-fa avec lesquels nous étions en contact tout au long de la nuit pendant laquelle Clément agonisa.

La nouvelle de la bagarre était parue dès 19 heures sur le site du journal « 20 minutes ». Cela suffit pour que le corporatisme joue à fond : aucun organe de presse ne la relaya du fait du traditionnel mépris des médias officiels pour la presse gratuite. Aucun journaliste ne vint rôder autour de l’hôpital pour pêcher les informations. Pourtant cette nuit-là il y avait au moins deux cent jeunes venus aux nouvelles et beaucoup repartis en larmes. Les dirigeants de notre service d’ordre national, le réseau Gracchus Babeuf, y vinrent. Ils y passèrent la nuit aux côtés de leurs camarades. C’est eux qui nous alertèrent et nous donnèrent l’analyse du contexte. Alexis Corbière me contacta à Rennes où je me trouvais. Pour eux tous, c’était un nouveau franchissement du niveau de violence des groupes de l’extrême-droite. Il venait après celui du premier mai ou l’on avait vu sortir les couteaux et les bombes à acide. C’est alors qu’il fut décidé, en parfaite harmonie avec les responsables anti-fa présents sur place, de donner l’alerte politique et de ne pas laisser l’affaire se diluer dans les faits divers. L’AFP réagit au quart de tour et donna une dépêche à partir du communiqué informatif d’Alexis Corbière. Dans la nuit tous les responsables de notre parti se mirent en mouvement pour préparer le rassemblement de la place Saint-Michel. Objectif central : entourer politiquement et syndicalement au maximum la mouvance « anti-fa » pour éviter son isolement et les provocations. Les échanges entre nous nous trouvèrent unis sur la même conviction : si après un meurtre les « anti-fa » étaient stigmatisés et mis sur le même plan que les assassins, ce serait une déroute pour tous et un encouragement incroyable donné aux groupes d’extrême-droite. Notre idée était aussi d’élever le niveau de prise de conscience de toute la gauche sur le sérieux du problème qui nous est posé à tous. Car il est évident à nos yeux que Manuel Valls, qui en sait autant que nous depuis des mois et qui dispose de surcroît d’une vision des faits mieux alimentée, a totalement sous-estimé la situation et bloqué la prise de conscience nécessaire. Peut-être parce que ça l’arrangeait pour laisser pourrir les manifestations contre le mariage pour tous. Impossible de comprendre sans cela qu’il ait déclaré en octobre dernier « réfléchir à l’interdiction » du groupuscule responsable de l’occupation du chantier de la mosquée de Tours et qu’il n’ait rien fait. Et cela alors même que cette inertie permis une véritable escalade attestée de tous côtés par nos amis sur le terrain.

J’ai déjà dit ce qu’il faut penser de la campagne contre « la récupération politique ». Puis il fallut subir le spectacle inouï de ce Serge Ayoub paradant sur les plateaux de télévision. Puis l’incroyable veulerie de ceux qui avalèrent tout rond les explications de madame Le Pen prétendant ne pas connaître ces groupes et leurs responsables. Le paroxysme de cette ambiance glauque fut la page du « Monde » consacrée à un tendre portait de Serge Ayoub. L’homme est dépeint comme une sorte de baroudeur romanesque que l’on retrouverait même protégeant des « femen » de la vindicte des groupuscules fascistes. Pas un mot, là encore, des liens de ce dernier avec Marine Le Pen. La stupeur vient du nom de la signataire de l’article. Il est en effet rédigé par quelqu’un qui est une spécialiste du dossier et qui a été la première à révéler ce lien dans un chapitre d’un de ses livres. Qu’est-ce que tout cela pouvait bien vouloir dire ? Le sentiment du danger me serrait la gorge. A cette heure encore je ne comprends pas tout ce qui s’est passé. Je sais qu’il s’est passé quelque chose. Le plus évident c’est que la population droitière des rédactions a évolué dans le même sens que tout le reste de la droite dans la direction décomplexée que lui a proposé Nicolas Sarkozy en son temps et que résume si bien Patrick Buisson dans son interview au journal « Le Monde » (titre respectueux du contenu et photo correcte) quand il parle d’un nouveau « populisme chrétien ». Ceux-là parfois aussi jubilent à voir les musulmans maltraités et humiliés par ces groupes et leur vouent une tendresse parfois agacée mais quand même bienveillante.

Dans ce ciel tout noir des percées ont fini par venir. Un soir, « Le Petit Journal » fut grand en étant seul à montrer le lien entre les Le Pen et les groupuscules d’Ayoub. Et ce mardi dans l’hémicycle, Jean-Marc Ayrault redevint socialiste le temps de ces interventions où il refusa d’arrache-pied l’amalgame entre l’extrême-droite et ceux que la droite appelle « l’extrême-gauche » sans pouvoir citer un seul nom à mettre en parallèle avec les violences meurtrières des groupuscules lepénisants.


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