Festival de Cannes : Il n’y a pas que le tapis qui est rouge

lundi 27 mai 2013.
 

Cette année donc, je vais au festival de Cannes. C’est la première fois. Je ne crois pas que je passe sur le tapis rouge. Caramba, j’y ferais tache avec mon jean et ma veste Schmoll. Mais quand même le tapis est rouge et je peux penser que c’est un bon début. En fait je vais prendre ma part de notre travail politique dans le domaine. Je vais faire le porte-parole et le porte-projecteur. Et faire mon instruction personnelle qui est bien loin d’être achevée, si elle doit l’être un jour. Parfois il y a même tout à faire et dans ce domaine-ci spécialement où je me sens aussi profane et intrigué qu’un gosse dans la réserve du père Noël. Je suis invité à l’inauguration de la 11ème édition du festival « Visions Sociales ».

Ce festival « Visions Sociales » s’attache à montrer un cinéma d’auteur ambitieux. Il met chaque année en avant des films qui questionnent l’ordre social et l’état du monde. Organisé en marge du festival de Cannes, il est accessible à tous. Pas de droit d’entrée, pas de badges ou de quelconque passe-droit. Tout un chacun peut assister aux projections, aux rencontres, aux ateliers. Caramba, pas de tapis rouge ! Cette année, c’est le réalisateur Costa-Gavras qui en est le parrain. J’aurais l’air moins bête que d’habitude, moi qui ne retiens tragiquement aucun titre ni aucun auteur car le dernier film de Costa-Gavras, « Capital », je l’ai vu. Et ensuite (vous allez être jaaaaaloux), j’ai dîné avec le maître et son épouse. Je regardais cet homme comme si j’avais rencontré tous ses personnages en même temps. Un autre réalisateur de nos repères sera aussi de la partie, Gilles Perret, qui viendra présenter « Les Jours Heureux », un film qui retrace l’histoire du Conseil national de la Résistance et de son programme. Je suis allé voir l’avant-première de ce film à Paris mercredi. D’accord, je suis une brute rouge, coupeur de tête et buveur de sang, mais je sors le soir moi aussi et c’est pour essayer de me rendre meilleur.

Ma visite va me permettre de voir « Le grand retournement », une adaptation de la pièce de Frédéric Lordon par Gérard Mordillat. Je suis curieux de découvrir à l’écran cette œuvre. J’ai trop fait faux bond à Mordillat qui essaie régulièrement de m’inviter à venir partager ses repas culturels. On m’a dit que cette fois-ci Gérard ne sera pas là quand moi j’y serai. On va se croiser. J’aurai le temps de réfléchir avant de lui donner mon avis. La pièce de Lordon est un objet qui vaut le détour. Mes camarades des commandos culturels du Parti de Gauche l’ont déjà jouée à maintes reprises, notamment à la Fête de l’Humanité. Je ne suis pas totalement en terrain inconnu. Le lieu où se déroule le festival ne me laisse pas indifférent. Il s’agit du Domaine d’Agecroft, plus couramment appelé « Château des Mineurs ». Ce domaine, racheté par le CE d’EDF-GDF en 1994, a en effet appartenu aux Charbonnages de France pendant cinq décennies. Dès 1948, les mineurs du Nord-Pas de Calais et leurs familles ont pu y passer chaque année plusieurs semaines de vacances. L’initiateur de cette opération qui visait à organiser « pour les mineurs, des vacances de seigneur » est Léon Delfosse, le syndicaliste. Il est décédé mais la petite flamme qu’il avait allumée continue son œuvre, non ? « Si tu choisis d’être du côté des opprimés, tu peux faire des erreurs mais tu peux pas te tromper de camp » dit le dernier intervenant du film de Gilles Perret.

Je vais faire un tour au Carlton. Peut-être au bar. Mais servent-ils du rouge ? Ou même du lait-fraise, l’une de mes principales boissons fétiches ? Ha ! ha ! Assez musardé ! Non, pas de lait-fraise dans les fauteuils club du plus emblématique des hôtels de Cannes. Je vais au Carlton voir la CGT qui lutte, leur hôtel actuellement mis à mal par la gestion d’un patron qatari. Depuis son rachat en février 2012, une forte suspicion de revente plane sur l’hôtel. Ange Romiti, le représentant du personnel CGT de l’hôtel, dénonce un « acte de vulgaire spéculation financière, sans projet pérenne pour l’entreprise ». Et tout le reste de mon séjour est à l’avenant. Comme quoi tout n’est pas que paillette et strass. Et quand bien même ça le serait qu’il y aurait des salariés pour que ça le soit car c’est le travail humain qui fait tout.

Donc, comme je viens en formation, je suis bien content aussi d’aller à la rencontre des professionnels du cinéma. Statut des intermittents, exception culturelle, financement du cinéma, les sujets à fouiller sont nombreux ! Je rencontrerai notamment les représentants de l’ACID, association du cinéma indépendant pour sa diffusion, qui s’inquiètent de la dissolution de l’exception culturelle dans le Grand Marché Transatlantique. On devine que je n’ai pas l’intention de rater le réveil de mes compatriotes contre ce projet que je dénonce dans le désert depuis plus de cinq ans ! Ils viennent de lancer un appel pour fustiger « L’Ecran du plus fort ».

Le cinéma est au croisement de nombreux grands domaines de l’action politique. Et malgré les apparences, les questions qui s’y posent sont à l’image de celles qui s’imposent aujourd’hui dans tous les secteurs d’activité : les mêmes abus libéraux, les mêmes logiques oligarchiques, provoquent les mêmes tensions et suggèrent des combats semblables pour y résister.

Il y a d’abord le rapport Lescure. C’est l’objet du moment. Il était censé assurer l’équilibre entre les droits des artistes et ceux des citoyens à l’ère des contenus numériques. Ce rapport soi-disant « donnant-donnant » veut rassurer les professionnels et consentir à plus de bienveillance pour les internautes. D’un point de vue général, le fait que la mission ait été confiée à Pierre Lescure fait réfléchir dans le secteur. Mes camarades du Front de Gauche de la culture me disent que cela témoigne une fois de plus de la confiance gouvernementale a l’égard de l’oligarchie et des puissants de la caste médiatique pour résoudre les problèmes que pose le nouvel ordre du monde. Pierre Lescure a été successivement P-DG de Canal+, membre du conseil de surveillance des sociétés Le Monde et Lagardère, administrateur du groupe Havas et du suisse Nagra. Pourquoi pas. Mais il n’y avait donc ni parlementaire assez aiguisé, ni professionnel assez agile d’esprit pour faire le travail ? En tout cas, le rapport laisse mes camarades amers. Ils le trouvent insignifiant et complètement à côté de la plaque face à la logique ultra-capitaliste du marché numérique. Ses propositions ne reposent que sur la vertu espérée des acteurs les plus voraces de ce marché comme les fournisseurs d’accès Internet, moteurs de recherche et industriels du divertissement. Ni les artistes, ni les citoyens ne peuvent y trouver leur compte.

Le fait est que loupe à la main, on voit vite que ce rapport est à peine conforme aux demi-mesures qu’annonçait Hollande dans ses 60 engagements. Grandiose de généralité, il est vrai : « Je remplacerai la loi Hadopi par une grande loi signant l’acte 2 de l’exception culturelle française, qui conciliera la défense des droits des créateurs et un accès aux œuvres par internet facilité et sécurisé. » La mission Lescure propose en effet la suppression de l’Hadopi. Hourra ? Non. Car elle préconise le transfert de ses compétences au CSA. Pour le reste, il faudra compter sur la magnanimité des hébergeurs et référenceurs, autrement dit les moteurs de recherche tels que Google. Il leur serait demandé de coopérer en nettoyant eux-mêmes les contenus qu’ils hébergent. Et en ne référençant pas les sites proposant des contenus pirates. Moui ! Pas sûr d’aimer l’idée tant que ça en plus du reste… En tous cas, c’est bien peu : une petite contribution sur le matériel connecté et la bonne volonté des requins, voilà pour la protection des artistes. En ce qui concerne le téléchargement, aucun droit réel n’est donné au public dans ce rapport. L’instauration d’une « sorte de licence légale pour télécharger les œuvres » est un sommet d’embrouille. Comme on ne sait pas ce que c’est on sait juste que ce n’est pas la licence globale. Mais le plus probable c’est que ça ne veuille rien dire du tout. Le hollandisme est contagieux en quelque sorte.

Sans abuser de votre patience je ne finis pas ce survol sans vous rappeler ce que nous proposions. Sinon madame Vallaud-Belkacem va encore tweeter « avez vous autre chose que des bons mots à nous proposer ? » « Si madame, lui ai-je répondu, « L’Humain d’abord », vous ne pouvez pas comprendre ». Notre idée c’était donc de garantir le respect des droits, moraux et à rémunération, des artistes, auteurs et interprètes en mettant à contribution le marché publicitaire, les fournisseurs d’accès et les opérateurs de télécommunications. Le point de départ était l’abrogation de l’Hadopi et non le transfert de ses compétences au CSA. Nous proposions également la création d’une plateforme publique de téléchargement. Lescure n’a rien lu ni rien retenu de tout ça. Pensez donc ! Que les rouges aient quelque chose à dire sur la culture voilà qui serait aussi étonnant qu’un domestique qui choisirait le menu de son maitre.

Je viens maintenant sur le fond le plus profond de l’enjeu du moment. C’est le problème de l’Europe et des accords de libre-échange avec les Etats-Unis. Je récapitule les épisodes de l’affaire. Depuis les accords du GATS signés en 1994, la culture et l’audiovisuel bénéficient en principe d’une dérogation aux règles du libre-échange. Mais le 13 mars 2013, la Commission, par la voix de l’androïde Karel De Gucht, commissaire européen chargé du commerce, a remis en cause « l’exception culturelle française ». Pour le robot libéral l’idée que quoi que ce soit puisse ne pas être une marchandise est un bug que son programme d’auto-réparation nettoie comme n’importe quel virus humain qui entrerait dans ses rouages. La Commission a donc adopté un projet de mandat intégrant la culture, le cinéma et l’audiovisuel aux transactions concernant les services dans les accords de libre-échange du Grand Marché Transatlantique. Pourquoi se gêner ? Les dirigeants français sont toujours compréhensifs, se disent les androïdes. « A la fin, a déclaré Hollande, ça se finit toujours par un compromis ». Ben voyons ! Messieurs les anglais, écrivez les premiers !

Cette charge a provoqué un tollé chez les réalisateurs qui ont lancé une pétition pour s’y opposer. Les frères Dardenne, Michael Haneke, Ken Loach, Stephen Frears et bien d’autres ont si bien dénoncé cette forfaiture que ses instigateurs ont dû feindre jusqu’à l’absurde de rétropédaler. Ainsi Karel De Gucht a-t-il dit que « les pays européens qui le souhaitent resteront libres de maintenir les mesures existantes. Et la France restera libre de maintenir ses mécanismes de subventions et de quotas. » La pauvre machine à réciter les mantras aurait-elle disjoncté ? Car l’instant d’après elle couine : « Les négociations prendront en compte les différentes sensibilités sectorielles de l’UE et le secteur audiovisuel en fait évidemment partie. » Comment est-ce possible ? Comment peut-on négocier plusieurs positions en même temps ? En tous cas quatorze ministres européens de la culture (dont Aurélie Filippetti) ont même signé une lettre pour « exclure le secteur audiovisuel de l’accord de libre-échange ». Mais pourquoi prétendre soustraire la culture du champ de négociation alors-même qu’elle est incluse dans l’agenda ? Peut-être est-ce le résultat annexe d’une autre manipulation. La posture de Filippetti et la fermeté feinte de Hollande sur l’exclusion de la culture et de l’audiovisuel des accords de libre-échange avec les Etats-Unis ne seraient-ils pas destinés à cacher le fait que les solfériniens ont cédé sur tous les autres secteurs (santé, environnement, commerce, transports maritimes, transports aériens…). Hélas donc, compte tenu des déclarations de la Commission il y a fort à prévoir que l’amendement proposé par la commission du commerce du Parlement européen, ralliée à la position française demandant que « l’exclusion des services de contenus culturels et audiovisuels, y compris en ligne soit clairement stipulée dans le mandat de négociation » ne passera sans doute pas le vote du 22 mai en séance plénière.

Après Cannes, je me rendrai à Antibes, à l’invitation de Gérard Piel, président du groupe Front de Gauche du Conseil régional PACA. Avec mon camarade Hervé Lavisse, co-secrétaire départemental du PG des Alpes-Maritimes, ils ont tenu à me montrer l’envers du décor du « quai des milliardaires »… privatisation du littoral, pollution extrême, exploitation sans vergogne d’une main d’oeuvre indienne et sri-lankaise considérée comme « jetable ». A côté, des sans abris n’ont pour seul recours que de squatter des épaves. L’un d’eux est mort il y a quelques jours à la porte d’un hôtel inoccupé, à deux pas seulement des yachts… Je pense que de tout ça, il ne restera que ce que je ferai sur place. Que feront les lepénophiles de l’info type Barbier de « L’Express », ou les psychologues de comptoir du « Monde » ? Rien sans doute. Ou bien à « L’’Express » mon « emportement » « hypocrite » contre le Carlton, alors que j’y ai bu un lait-fraise, et au « Monde » mon étrange compassion pour les sans abris, alors que « peu importe qu’il soit propriétaire d’un appartement à Paris, une maison dans le Loiret et qu’il déclare 500 000 euros de patrimoine ». Au « Monde » la morale de vie c’est « profite et tais-toi ». A « l’Express » c’est « profite et cache-toi comme Le Pen, Barbier te le rendra avec un copié-collé d’une affiche du FN en première page ! »


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