Tony Blair vote Sarkozy

mardi 6 février 2007.
 

Le 30 janvier 2007, Nicolas Sarkozy est venu en territoire conquis : Londres-la-néolibérale n’avait d’yeux que pour le candidat de la "rupture". Ce jour-là, il a été reçu en grandes pompes par Tony Blair, l’homme de la "gauche moderne" dont les dix années de gouvernement ont consolidé la révolution thatchérienne. Dix années pendant lesquelles la Troisième voie blairiste a fait le "bonheur" des Britanniques :

- privatisation des services publics par l’entremise des scandaleux partenariats privés-publics (une "modernisation" ratée étant donné l’état toujours déplorable des hôpitaux, des écoles et des transports) ;

- accroissement choquant des inégalités ;

- privatisation des retraites ;

- un mode de gouvernement autoritaire qui a dépolitisé et découragé la population ;

- généralisation des emplois jetables mal rémunérés ;

- camouflage de millions de chômeurs de longue durée en "invalides" ;

- non remise en cause des lois anti-syndicales des conservateurs ;

- tentative (plutôt réussie) d’exporter le modèle britannique au reste de l’Europe ;

- politique communautariste (qui, selon les services secrets, explique en partie les attentats de juillet 2005) ;

- soutien inconditionnel aux délires géopolitiques des néoconservateurs (l’Irak, entre autres guerres illégales).

Blair, on le connaît bien ici, depuis le temps : un fieffé menteur, un vieux comédien grimé récitant des platitudes, un cynique ancienne manière. Dix ans que l’on observe les Blair se faire héberger à l’œil par des amis milliardaires du show-biz et des médias dans quelque villégiature de rêve. Blair, enfin, un modèle, un ami, un frère, un compagnon de combat pour MM. Bush, Berlusconi, Aznar, Barroso et toute la clique des ultra-libéraux qui ont trouvé chez cet homme un alter ego. Alors, pourquoi pas Sarko ? Lorsqu’à Downing Street, Sarkozy trébuche sur les mots (« Les socialistes européens peuvent être fiers de ce qu’a fait l’un des nôtres », avant de rectifier « l’un des leurs »), il parle enfin avec sincérité. Oui, Blair est bien « l’un des leurs ». Le Tony privé qui partage avec sa femme Cherie quelques jours de vacances avec Nicolas et Cécilia dans la campagne toscane est bien un proche de Sarkozy. Le Tony public de la Troisième voie libérale-paternaliste qui ressemble point par point au projet sarkoziste, est aussi un proche de Sarkozy. Alors que Tony vote Sarko, quoi de plus normal.

Sarkozy est un habile politique qui a compris l’intérêt électoral à camper symboliquement sur les terres de gauche désertées par sa concurrente directe. Il parsème depuis peu ses discours de références à Blum et à Jaurès (demain Mitterrand et Jospin ?). Le candidat du front unique de la gauche, c’est Sarko ! Il faut oser le faire. Il ose et pourquoi se priverait-il d’ailleurs de telles incursions ? Personne au PS (à l’exception des faibles protestations de Hollande) ne semble désireux ou capable de confondre l’intrus. Cette stratégie conforte la frange bonapartiste et bushiste de la « gauche intellectuelle » qui s’est ralliée au sarkozisme : Max Gallo, le républicain « fier d’être français » (cela ne vous rappelle rien ?), André Glücksmann, le Laurel Néo-con (pour une fois sans son Hardy BHL), Alain Finkielkraut, le Georges Frêche de la philosophie du pot de chambre, et autres esprits mineurs, ont fait le choix de la « rupture » sarkozienne. Récapitulons : Jaurès, Blum, la gauche bonapartiste et bushiste, Blair : toutes les composantes de la gauche éternelle votent Sarko ! Sarkozy incarne donc le peuple, les luttes du mouvement ouvrier et démontre que le néolibéralisme est de gauche - d’une « gauche moderne » - puisque Blair soutient sa candidature. CQFD ! Tout cela se tient. Le piège est en train de se refermer sur la candidate socialiste.

Que fait-on pendant ce temps dans le camp socialiste ? De faux naïfs et des demi-habiles continuent, contre vents et marées, de présenter le blairisme comme une expérience de « gauche ». Sarkozy vient de recevoir le soutien public de Blair à Londres. Comme contre-attaque, la conseillère pour l’Europe et les relations internationales de Ségolène Royal va intervenir à une conférence organisée par le British Council à Paris : « Faut-il faire, peut-on faire du blairisme en France ? ». Cette dame a encore un doute, il faut donc en débattre urgemment... La candidate socialiste, elle-même, n’en démord pas : Blair a « rénové » et « sauvé » les services publics britanniques (faux !) et son « dynamisme » politique est un exemple à suivre. Ségolène Royal nous ressort mot pour mot le prêt-à-penser sarkoziste. Pourquoi un tel entêtement dans l’erreur qui pourrait s’avérer suicidaire ? Est-elle mal informée ? Est-elle mal entourée ? Pour rassembler la gauche et battre Sarkozy (ce qui reste largement possible), il faut au contraire que Royal annonce sans tarder que le blairisme constitue un échec global, qu’il s’agit de la plus grande escroquerie de l’histoire de la social-démocratie européenne ; une perversion scandaleuse des idéaux et des politiques de gauche. Pour être l’anti-Sarkozy, Ségolène Royal doit commencer par être l’anti-Blair.

De : Philippe Marlière lundi 5 février 2007

Philippe Marlière est maître de conférences en science politique à l’université de Londres. Dernier ouvrage paru : La Troisième voie dans l’impasse. Essais sur Tony Blair et le New Labour (Paris, Syllepse, 2003). A paraître : La Mémoire socialiste. Sociologie du souvenir politique en milieu partisan (Paris, L’Harmattan, printemps 2007).


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