Echec de la « Nouvelle » social-démocratie ( par Philippe Marlière, Maître de conférences en science politique à l’université de Londres)

samedi 26 septembre 2009.
 

Les trois axes de la « Nouvelle » social-démocratie

Après les brèves expériences néo-keynésiennes du PS français (1981-1982) et du PASOK grec (1981-1984), les fondements de la « Nouvelle » social-démocratie étaient posés pour contrer l’offensive néolibérale venue des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.

L’interventionnisme d’Etat en matière économique laissa place à une synthèse « défensive » que l’on peut qualifier de « sociale-libérale ». Celle-ci combine trois axes : un axe social-démocrate classique (maintien d’un Etat social fortement réduit et conditionnel), un axe postmatérialiste (défense de l’environnement, sécurité alimentaire, liberté sexuelle, égalité homme-femme), censé répondre au défi de « l’individualisation » des modes de vie et, en dernier lieu, un axe d’inspiration néolibérale (stabilité monétaire, rigueur budgétaire, privatisations, baisse des impôts, éloge de l’entreprise et des entrepreneurs, reprise des discours libéraux sur la disparition des classes sociales - donc fin de la lutte de classes - ; sur la « droitisation » des sociétés, et reprise de pans de discours sécuritaire sur la délinquance et l’immigration).

Dans les années 90, la « Troisième voie » blairiste n’a rien inventé. Lorsqu’on lit les ouvrages d’Anthony Giddens, on est frappé de constater qu’il s’appuie sur les trois axes qui sont apparus à partir des années 80 lors d’expériences gouvernementales (PS, PSOE, PASOK). La « Troisième voie » a nettement privilégié l’axe néolibéral, son discours sur l’autonomie individuelle est resté au stade du slogan et ses correctifs sociaux ont été très insuffisants. Après douze années de gouvernement New Labour, les inégalités sociales sont aujourd’hui plus importantes en Grande-Bretagne que sous Margaret Thatcher. La « Troisième voie » blairiste, dont se sont réclamés les « modernisateurs » sociaux-démocrates est un échec patent.

Echec des « modernisateurs » sociaux-démocrates

Avant son recentrage des années 80, la social-démocratie s’était définie à travers son action contre les injustices sociales (économiques et culturelles). A ce titre, elle a toujours été perçue par le public comme une force de gauche. Après vingt années de « modération » économique, de cogestion néolibérale et d’alliances avec la droite sur le plan national et européen, la nature de gauche des partis sociaux-démocrates est incertaine. En tout cas, elle n’apparaît plus comme allant de soi pour un nombre croissant d’électeurs. L’« Europe sociale », revendiquée par les sociaux-démocrates, n’a connu aucune avancée majeure, car elle est rejetée par une majorité des partis issus du Parti des socialistes européens (PSE). La « Nouvelle » social-démocratie est totalement passée à côté du mouvement altermondialiste ; un courant qui, en dépit de ses insuffisances et de ses contradictions, a pourtant contribué à renouveler les idées dans le camp de la gauche.

Les sociaux-démocrates devraient distinguer entre questions fondamentales (les alliances) et questions accessoires (les primaires). En Allemagne, le SPD n’a pas convaincu ses électeurs qu’une alliance gouvernementale avec la droite puisse permettre de mener des politiques progressistes : selon toute vraisemblance, il perdra lourdement les prochaines élections législatives. Sous la 4e République, la SFIO a conduit une expérience similaire avec le MRP (l’ancêtre du Modem) dans les gouvernements de Troisième force, ce qui a accéléré son déclin. Le Parti démocrate italien regroupe des ex-communistes, des démocrates-chrétiens et des libéraux. Pour apparaître plus « moderne » encore, il vient d’inviter le postfasciste Gianfranco Fini à son congrès de Gênes. Ces ouvertures successives à droite n’ont aucunement bénéficié à la gauche italienne, qui va de désastre électoral en désastre électoral. Inversement, les seules victoires du PS en France (1936, 1981 et 1997) ont été acquises dans le cadre de dynamiques d’union de la gauche.

Manuel Valls, un de ces autoproclamés « modernisateurs », estimait récemment que l’événement majeur de ces dernières années avait été la chute du Mur de Berlin. Il est très symptomatique qu’il n’ait pas mentionné à la place un autre événement plus récent : la faillite du système capitaliste, qui a échoué sur le plan économique, social et écologique. Dans sa « Lettre à un militant qui n’en peut plus », Jean-Christophe Cambadélis, qui n’est pourtant pas issu de la gauche du PS, écrit : « Tu t’interroges, comme beaucoup, sur les raisons pour lesquelles la social-démocratie européenne ne profite pas de la crise totale du capitalisme financier. La raison en est simple. Elle est la clé de tout. Nous sommes désormais perçus comme un élément du ‘système’ » (capitaliste, ajouterais-je). Ceci perception populaire explique dans une large mesure pourquoi les électeurs rejettent aujourd’hui la « Nouvelle » social-démocratie.

Retour à gauche

Les sociaux-démocrates sincères devraient commencer par faire le bilan de la « Nouvelle » social-démocratie, cette voie blairiste dont ils se sont inspirés et qui a si lourdement échoué. Son néolibéralisme à peine tempéré est-il compatible avec leur combat pour la justice sociale ? En réalité, une social-démocratie soucieuse de réaffirmer son identité de gauche devrait placer au cœur de son action les questions qui soucient le plus les salariés (les retraites, les salaires, la protection sociale, la répartition des richesses) et faire des choix progressistes : les socialistes français veulent-ils la retraite à 60 ans pour tous ou sont-ils pour la retraite par points à 67 ans préconisée par le Modem ?

La social-démocratie ne pourra réaffirmer son identité de gauche, rassembler la gauche et retrouver les faveurs de son électorat que si elle tranche dans le vif ces questions fondamentales et replace sans équivoque le combat pour la justice sociale au cœur de son action.

Philippe Marlière


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