Le 8 novembre 1932, trois ans après le début de la crise de 1929, le président républicain sortant est balayé par le candidat des démocrates, qui a promis au peuple américain une « nouvelle donne ». Les bases de l’État providence sont jetées, tandis que la société se met en mouvement.
C’est deux jours avant la Fête nationale qu’a commencé le second épisode refondateur (après l’abolition de l’esclavage) de l’histoire des États-Unis. Le 2 juillet 1932, Franklin Delano Roosevelt, prononce son « discours d’acceptation » lors de la convention démocrate réunie à Chicago. Devant les délégués, il promet au peuple américain « une nouvelle donne », un « New Deal ». Le pays, laminé par la grande crise de 1929, entend cet appel au changement. Le 8 novembre 1932, FDR écrase le président républicain sortant, Herbert Hoover, remportant 57,5 % des voix et 472 grands électeurs contre 39,5 % et 59 grands électeurs pour son adversaire.
Lorsque ce grand bourgeois de la côte est entré à la Maison-Blanche en janvier 1933, le New Deal se limite à un plan d’urgence économique même si le nouveau président, à la réputation de réformiste et de progressiste, est persuadé de la nécessité de l’expérimentation de politiques radicalement nouvelles. Dans un premier temps, il faut remettre le bateau américain à flot. Pour cela, lui et son célèbre brain-trust, son cercle de conseillers, veulent en finir avec le laisser-faire. Lors des « Cent Jours », la nouvelle majorité commence par réglementer le secteur bancaire : adoption de la loi Glass-Steagall (révoquée en 1999 sous Clinton), qui sépare les activités de dépôt et d’investissement, création du « gendarme » de la Bourse, la Securities and Exchange Commission, imposition aux établissements d’un examen de solvabilité, mené par le département du Trésor.
Étapes suivantes : l’agriculture (limitation de la production pour stabiliser la rémunération, subventionnement des agriculteurs, rééchelonnement de leurs dettes) et l’industrie (la « loi de redressement industriel national » encourage les industriels à signer des codes de concurrence loyale et accorde aux ouvriers la liberté de se syndiquer et de négocier des conventions collectives). Une partie des industriels y adhère. D’autres, derrière Henry Ford, sont vent debout.
C’est ici que se termine ce que les historiens appellent le « premier New Deal » et que commence le « second New Deal », qui jette les bases de l’État providence, dont la pierre angulaire sera en 1935 la loi sur la Sécurité sociale établissant, pour l’ensemble du pays, un droit à la retraite pour les plus de soixante-cinq ans, une assurance chômage et des aides pour les handicapés.
Malgré les critiques qui s’intensifient, les démocrates sortent largement confortés des élections législatives de 1934. Surtout, la société se met en mouvement. Avant même le scrutin, des grèves éclatent dans de nombreuses entreprises, qui visent à faire reconnaître les syndicats. Pour une partie du patronat, pas question que les salariés se syndiquent. En juillet 1935, le Congrès approuve le Wagner Act, qui impose la création de syndicats. Il faudra encore la mobilisation des ouvriers eux-mêmes pour faire céder les derniers capitalistes récalcitrants, dont l’antisémite Ford. Le 26 mai 1937, la bataille de l’Overpass, au cours de laquelle les milices d’Henry Ford agressent les syndicalistes de l’United Auto Workers, devant l’usine de River Rouge à Dearborn, marque un tournant décisif. En 1940, 33 % des ouvriers de l’industrie ont une carte syndicale en poche.
« L’organisation de syndicats de branche fut accompagnée, relate Eli Zaretsky dans son récent ouvrage Left (lire sa recension dans la page Parlons-en) par des efforts massifs en matière d’éducation ouvrière, de loisirs populaires, de création de stations de radio, d’associations de secours mutuel, de coopératives d’assurances, de camps de vacances, d’organismes de crédit, de coopératives de logement, de crèches, de théâtres publics et d’innovations artistiques. »
L’épisode le plus marquant de cette mobilisation demeure la campagne, d’inspiration ouvertement socialiste, du mouvement Epic (End Poverty in California), qui se développa durant toute l’année 1934. L’inspirateur n’était autre que le romancier Upton Sinclair (l’auteur, en 1905, de la Jungle qui révéla les conditions de travail dans les abattoirs de Chicago). Il obtint l’investiture du Parti démocrate pour l’élection de l’automne 1934 au poste de gouverneur de Californie et surtout sillonna, avec des militants, l’État de long en large, diffusant les idées progressistes. Roosevelt ne lui apporta jamais son soutien et il fut battu. Mais ce qui fut, a posteriori, baptisé « campagne du siècle » inspira des générations de militants et servit de point de référence aux acteurs américains de la transformation sociale. « Ce que les socialistes et les communistes ont apporté, ce n’est pas tant l’idée de propriété publique que la transformation de la démocratie américaine à travers la mobilisation des classes populaires », analyse Eli Zaretsky. C’est aussi cela, l’héritage du New Deal.
un espoir déçu en 2008 Une crise économique d’une ampleur tellurique. Un raz de marée électoral. Un démocrate élu sur le thème du changement. L’analogie s’arrête là, car il s’est avéré que Barack Obama n’était pas Franklin Delano Roosevelt, pas seulement en termes de caractère. Là où le second était passé outre les réticences de son propre camp et s’était appuyé sur les mouvements de la société, le premier a recherché en permanence le consensus avec des républicains de plus en plus ultras et s’est enfermé dans les cercles du pouvoir à Washington. Les espoirs d’un « nouveau New Deal », formalisés par Paul Krugman (voir page Parlons-en) et portés par des pans entiers de la société américaine, ont été déçus. Les mêmes « supporters » de cette nouvelle « ère progressiste » estiment, pourtant, que les conditions (évolution des mentalités, « choc » provoqué par la grande crise) sont toujours réunies pour la mise en œuvre de ce nouveau New Deal.
Christophe Deroubaix
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