BANQUES PRIVÉES : OÙ SONT LES 1000 MILLIARDS D’EUROS DE LA BCE ?

lundi 23 avril 2012.
 

En décembre 2011, la Banque centrale européenne (BCE) a déversé une manne financière exceptionnelle dans le circuit bancaire, au motif d’éviter une nouvelle crise. Les banques privées de la zone euro ont ainsi empoché plus de 1 000 milliards d’euros de prêts, à un taux historiquement bas de 1 %. Que sont devenues ces liquidités ? Par Thierry Brun sur politis.fr.

Le capitalisme financier regorge d’idées pour tirer profit de la dette publique des États européens. Le système bancaire européen peut remercier l »un de ses éminents représentants, Mario Draghi, président de la Banque centrale européen (BCE) et ancien de Goldman Sachs, banque qui s’est fait une spécialité de spéculer sur la dette des pays en difficulté. Car le système bancaire européen a bénéficié, fin décembre 2011 et fin février de 1 018 milliards d’euros de prêts à trois ans de la BCE, à un taux historiquement bas de 1 %, ce qui a mis en appétit les marchés financiers.

Mardi 17 avril, l’Espagne est en effet parvenue à emprunter avec succès plus de 3 milliards d’euros, soit plus qu’escompté. Mais à quel prix ? Les taux d’intérêt exigés par les marchés financiers sont en nette hausse. Par exemple, le rendement moyen de l’emprunt à 18 mois a atteint 3,1 % contre 1,7 % précédemment. Cela signifie que l’Espagne alourdit au fil des mois la charge de sa dette publique, laquelle devrait s’envoler cette année, grimpant de 68,5 % du PIB à la fin de l’année 2011 à 79,8 % à la fin de l’année 2012, selon les prévisions du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy.

Pour tenter de réduire les déficits dès cette année, le même gouvernement cherche à récupérer 27,3 milliards d’euros. Il s’agit de ramener le déficit public à 5,3 % du PIB cette année puis à 3 % en 2013, après 8,51 % en 2011. Résultat : le pays est frappé par un chômage record et a renoué avec la récession au premier trimestre, selon la Banque d’Espagne. Après une faible croissance, de 0,7 %, en 2011, le gouvernement a prévu un recul du 1,7 % du PIB sur l’ensemble de 2012. Selon ses prévisions, le taux de chômage devrait bondir jusqu’à 24,3 % à la fin 2012.

Ainsi, les seules sommes qui seront engouffrées cette année dans les intérêts de la dette, soit 28,8 milliards d’euros, ou encore dans le montant des indemnités chômage (28,5 milliards) sont équivalentes aux économies promises par l’Espagne. Difficile dans ces conditions de redresser la barre de l’économie. Depuis quelques mois, les objectifs gouvernementaux ont donc été jugés peu réalistes par les marchés qui ont fait de la dette espagnole un produit spéculatif, certes à risque.

Pour les marchés, la France est logée à la même enseigne : la dette publique française augmente toujours. Le 5 avril, le taux d’intérêt des emprunts d’État (OAT à dix ans) a grimpé à 3,05 %, et ces derniers jours, il était encore à plus de 3 %. Conséquence, la prévision du montant des intérêts des emprunts doit être revue à la hausse par le ministère du Budget. Une hausse non négligeable : la première estimation était fixée à 45 milliards d’intérêts à acquitter pour l’année 2011. Aujourd’hui, les experts tablent sur 49 milliards.

La dette souveraine européenne ne cesse d’augmenter du fait aussi de la spéculation sur les marchés obligataires, laquelle a été relancée en grande partie par… la BCE de Mario Draghi, qui a injecté plus de 1 000 milliards d’euros dans le système bancaire privé européen. Parallèlement, le Pacte Sarkozy-Merkel de décembre 2011 (pour l’instant ratifié par deux pays, la Grèce et le Portugal, sur douze) n’a pas amélioré la situation des États en difficulté : le plan impose la mise en œuvre simultanée de politiques budgétaires restrictives dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, qui se traduisent par une chute de la production, une baisse des recettes fiscales et… une dégradation de la dette publique. Il faut y ajouter d’autres facteurs aggravant les déficits publics, notamment les cadeaux fiscaux successifs aux entreprises et aux contribuables les plus riches et… l’interdiction que les gouvernements se sont imposés de faire financer les déficits publics par la BCE, laquelle a pourtant refinancé les banques de la zone euro.

Les pays de la zone euro étant toujours englués dans la crise de la dette, que font donc les banques de la manne exceptionnelle de la BCE ? « Les plus frileuses replacent ces liquidités aux guichets de la BCE à un taux peu attractif plutôt que de prendre le risque de financer des entreprises, des ménages ou d’autres banques. Cependant, d’autres banques se livrent à des opérations de “carry trade” beaucoup plus juteuses. Elles empruntent à 1 % auprès de la BCE et prêtent ensuite aux gouvernements à des taux plus élevés » », analyse l’Expansion.

A ce jeu les banques espagnoles sont les plus actives : elles ont acheté 32 milliards d’euros d’actifs publics en janvier (22 milliards en décembre 2011). De leur côté, les banques italiennes ont aussi été très actives. Elles ont accru leurs achats d’obligations souveraines de la zone euro en février. Les obligations françaises deviennent un produit attractif. Ainsi,Eurex, l’un des plus importants marchés de produits financiers dérivés du monde a anticipé de futurs mouvements spéculatifs de grande ampleur de la part des investisseurs et des banques en créant un contrat à terme sur la dette française. Eurex parie en quelque sorte sur une demande importante d’obligations françaises en raison de la montée des taux d’intérêt et des futures décisions du prochain Président de la République.

Dans cette activité intense des marchés, l’économie réelle est restée la grande oubliée du système bancaire européen, qui dispose pourtant de 1 000 milliards d’euros de prêts accordés par la BCE. Si l’on examine les données publiées par la même banque centrale, le flux de prêts aux entreprises non financières a… diminué de 3 milliards d’euros en février, tandis que le flux de prêts aux ménages n’a pas changé. En réalité, les banques ont plutôt durci leurs conditions d’accès au crédit.

Les prêts de la BCE ont cependant servis à racheter des titres de dette publique (entre 10 et 20 % de cette dette étant refinancés chaque année), ce qui a conduit à une réduction, certes provisoire, des tensions au sein de la zone euro. En période électorale en France, cette bouffée d’air frais n’a rien d’anodin mais n’a pas réglé les problèmes.

L’objectif de restriction budgétaire des États de la zone euro entraînant la récession, selon les perspectives économiques pour l’économie mondiale pour 2012 et 2013, intitulées « Qui sème la restriction récolte la récession » de l’Observatoire français des conjonctures économiques, ceux-ci sont contraint à une rigueur toujours plus grande… qui ne fait qu’alimenter la spéculation et l’incertitude sur les marchés financiers.

Grâce aux prêts sans condition de la BCE, les marchés financiers parient à nouveau sur le risque que dans les prochains mois un pays de la zone euro ne puisse augmenter son déficit en raison de la crainte que les agences de notation ne le dégradent et que les marchés ne provoquent une hausse des taux d’intérêt.

Ainsi, les politiques économiques peuvent être paralysées du fait de la spéculation sur le risque de faillite de certains pays de la zone euro. La BCE peut pourtant envisager une autre politique, souvent réclamée par les économistes non orthodoxes, qui réduirait considérablement la spéculation sur les marchés financiers. Elle consiste à faire en sorte qu’un État puisse se financer auprès de sa banque centrale, même dans la zone euro.


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