La lutte contre la mortalité maternelle ne progresse pas

lundi 5 mars 2012.
 

A cinq ans du rendez-vous fixé par les Nations unies (ONU) pour remplir les Objectifs du millénaire, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) s’alarment au sujet de la question de la santé maternelle. Si l’ONU s’était engagée, en 2000, à "réduire de trois quarts le taux de mortalité maternelle" en 2015 dans le monde et à "rendre l’accès à la médecine procréative universel", les progrès enregistrés sont proches du néant.

"Une femme dans le monde meurt chaque minute à cause de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement", rappelle Oxfam France, porte-drapeau d’une campagne qui doit être lancée, vendredi 12 mars, contre cette "non-assistance à mère en danger" et associe Médecins du monde, Action for Global Health et Avocats pour la santé dans le monde. Sur 530 000 décès annuels de femmes pendant leur grossesse ou à l’accouchement, la moitié ont lieu en Afrique subsaharienne et un tiers en Asie du Sud.

Les moyens accordés à la planification familiale ne progressent pas davantage. En Afrique subsaharienne, 20 % des femmes qui le souhaitent n’auraient pas accès à la contraception, un pourcentage sous-estimé selon les experts. La planification familiale peut pourtant agir directement sur le taux de mortalité maternelle dans les pays en développement : selon une étude du ministère de la coopération britannique, "32 % des décès maternels pourraient être évités grâce à l’accès à des moyens de contraception modernes", en évitant les grossesses trop précoces et trop rapprochées par exemple. Un meilleur accès à la contraception permettrait aussi de réduire les avortements non médicalisés, à l’origine de 13 % de la mortalité maternelle.

Comment expliquer que la maîtrise de la fécondité puisse être à ce point négligée ? En 2005, les ONG ont difficilement obtenu que l’objectif sur la santé maternelle soit assorti d’une exigence de planification familiale. Mais la gêne à aborder ces questions est encore palpable dans les institutions et sur le terrain.

La faute en revient en partie aux difficultés de financement. Les pays concernés peinent à consacrer 15 % de leurs dépenses publiques à la santé, comme ils s’y étaient engagés en 2001. Et l’aide est insuffisante. "Selon l’Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale, il faudrait dégager 36 milliards de dollars pour se donner les moyens d’atteindre les objectifs en matière de santé maternelle, quand l’aide internationale, publique et privée, est de 20 milliards de dollars", pointe Julien Potet, d’Oxfam France.

Cette situation est notamment le fruit de réticences d’ordre moral et politique. L’administration Obama, qui a débloqué 12 millions de dollars pour la promotion de la contraception en Afrique et en Asie, a certes rompu avec les années Bush, quand tout financement aux organisations pratiquant ou facilitant l’avortement était interdit. Mais, aujourd’hui encore, le gouvernement canadien de Stephen Harper maintient cette ligne conservatrice.

"L’approche planning familial n’est pas très bien perçue, les politiques coercitives de contraception menées en Inde puis en Chine ayant joué contre le sujet, explique Catherine Giboin, de Médecins du monde.

Aujourd’hui, on reprend cette question non plus sous l’angle du contrôle de la démographie, mais du point de vue du droit des femmes." Au Niger, où l’ONG participe à un programme mis en place en 2007 par l’Union européenne, l’accès à la contraception n’est abordé que par le biais de "l’espacement des naissances", une notion acceptée par l’islam, quand celle de la limitation des naissances est proscrite, explique le docteur Joël Le Corre, chargé de mission de Médecins du monde dans ce pays.

Avec 7,1 enfants par femme, le Niger, où 60 % des jeunes femmes ont un enfant avant l’âge de 19 ans, affiche le taux de fécondité le plus élevé au monde. La gratuité des soins aux femmes enceintes et de l’accès à la contraception, décidée par le gouvernement nigérien, et le soutien des imams ont permis au programme auquel contribue Médecins du monde dans la région de Tahaoua d’obtenir des résultats tangibles. "Le taux de prévalence de la contraception est passé de 8 % à 14 %", indique M. Le Corre.

Avec un taux d’accès à la contraception situé entre 5 % et 10 %, quand il oscille entre 60 % et 90 % en Asie et en Amérique latine, l’Afrique noire cependant est loin du compte. "Une croissance de 2,5 % à 3 % du taux de fécondité, ce qui est aujourd’hui le cas dans une quinzaine de pays d’Afrique subsaharienne, est insoutenable et condamne l’Afrique à l’aide extérieure", assure Jean-Pierre Guegan, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’un des rares démographes à oser enfourcher le cheval de bataille de la planification familiale en Afrique subsaharienne.

Si la baisse - lente mais réelle - de la fécondité observée ces dernières années dans cette région du monde se poursuit mais ne s’accélère pas, "l’hypothèse haute des Nations unies d’un nombre moyen de trois enfants par femme en 2050, qui conduit à 2 milliards d’habitants, pourrait se révéler trop basse, et la population de l’Afrique subsaharienne pourrait encore doubler entre 2050 et 2100 et dépasser alors les 4 milliards", affirme M. Guegan.

Autant d’arguments qui plaident en faveur de la planification familiale, le plus essentiel étant sans doute que les femmes africaines ont, elles aussi, droit à la maîtrise de leur propre fécondité.


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